Philippe Van Muylder passe le flambeau de secrétaire général de la FGTB-Bruxelles à Estelle Ceulemans. © DENIS VASILOV

« Le syndicalisme est en danger »

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Après quinze ans à la tête de la FGTB Bruxelloise, Philippe Van Muylder fait valoir ses droits à la retraite. L’occasion d’un bilan. Sur le syndicat, sur la gauche, et sur Bruxelles.

Il dirige la régionale bruxelloise du syndicat socialiste depuis 2003, mais, ce mercredi 23 mai, il présidait son dernier congrès, avant de passer le relais à Estelle Ceulemans, qui lui succède au secrétariat général de la FGTB-Bruxelles. Forestois, licencié en philologie romane, Philippe Van Muylder, bientôt 62 ans, a vu, en quinze ans, le monde bouger et son syndicat changer. Sa gauche aussi, et sa ville itou. Pas toujours pour le meilleur, mais pas encore pour le pire.

Les syndicats, en 2018, n’affichent pas la meilleure santé de leur histoire…

Trois grands risques pèsent sur le syndicalisme. D’abord, un désengagement d’une partie importante de la jeunesse. Ensuite, une forte démobilisation des travailleurs. Et, enfin, la tentation populiste qui touche une partie des classes populaires. D’abord, la jeunesse vit à Bruxelles dans une ville cosmopolite, confrontée à des phénomènes inquiétants : les exclusions du chômage, la précarité du travail des jeunes et les discriminations à l’embauche. Si on mélange ces phénomènes, on verra, dans dix ou quinze ans, une génération qui tirera de ses expériences de travail ou de non- travail un profond sentiment d’insécurité sociale, et qui nous demandera si nous sommes encore de véritables boucliers sociaux.

Qui se prépare, donc, à aggraver le risque de démobilisation de l’ensemble des travailleurs ?

Le monde du travail en général est déboussolé, dans toute l’Europe, par l’attitude des partis de gauche et, en particulier, des partis de la gauche de gouvernement, dont un certain nombre ont cédé au charme des sirènes néolibérales. Quand on dit qu’il n’y a pas d’alternative, on nie le caractère central du travail, et on voit se substituer, et non pas se joindre, au combat contre les inégalités sociales des combats parfaitement légitimes, centrés sur des valeurs éthiques ou socioculturelles. Tout ça est très important, mais ça ne peut pas venir se substituer au coeur de métier d’une politique de gauche. Et puis, le troisième risque, le plus terrible, cette tentation populiste d’une partie des classes populaires, mobilise contre les élites, contre la démocratie, contre les corps intermédiaires.

Comment, dans le travail quotidien, faire passer ce  » coeur de métier  » avant les questions culturelles et d’identité, qui clivent aujourd’hui beaucoup plus qu’avant ?

La réponse est double. D’une part, par une politique d’alliances de progrès avec la société civile, la campagne Tam-Tam, Acteurs des temps présents, Tout autre chose, etc. D’autre part, par ce que nous appelons le syndicalisme urbain, qui ne veut en aucun cas se limiter à la vie des entreprises, et s’implique dans les grandes questions de la vie de la cité. On a beaucoup travaillé sur l’accès au logement ou le surendettement, par exemple.

Notre position, c’est de dire à tout le monde : u0022on se calme !u0022

Et il y a l’omniprésence de questions liées à l’immigration…

Et ça, c’est une troisième réponse : l’éducation permanente. Après chaque scrutin, on traverse un cycle un peu violent, qui nous oblige à exclure plusieurs membres de notre syndicat, parce qu’ils se sont présentés sur des listes d’extrême droite. Si on était une secte de cathares et de purs, personne n’aurait ces mauvaises pensées. Mais nous sommes 180 000, et nous promouvons un syndicalisme de masse. Ça veut dire que nos membres ne sont pas tous progressistes depuis six générations, et on doit travailler avec eux pour essayer de tous nous tirer vers le haut. C’est l’objectif, mais nos forces n’y suffisent pas : il suffit de regarder le nombre de gens qui ont voté pour la N-VA en Flandre, il y avait sans doute des affiliés de la FGTB là-dedans…

La FGTB wallonne a appelé à la constitution d’un gouvernement de gauche…

Bien entendu, livré comme ça sur plateau, c’est tentant… Par rapport à l’action commune socialiste, nous avons, parmi nos affiliés, des membres du PS, d’Ecolo, du PTB, voire de DéFI. Nous devons respecter leurs choix politiques. Comment rend-on cela compatible avec l’action commune socialiste ? Eh bien, un, si ces partis décident de s’associer pour mener une politique démocratique et progressiste, tant mieux. Deux, nous avons, c’est vrai, conservé un contact privilégié avec le parti qui a le plus aidé à mettre en oeuvre les valeurs de la FGTB au cours de l’histoire, le PS. Moi, je n’ai aucun problème à tirer mon chapeau à Laurette Onkelinx pour la manière dont elle a toujours défendu la sécurité sociale. Chapeau ! Mais si demain on peut faire encore plus et encore mieux avec une grande alliance de gauche, eh bien là, re-chapeau !

Certains socialistes dénoncent un  » entrisme  » du PTB dans vos structures…

Le PTB a beaucoup changé dans sa relation aux syndicats. Il y a vingt ans, quand un dirigeant composait mon numéro de téléphone, c’était pour m’engueuler :  » Qu’est-ce que tu as été signer là, camarade ?  » Maintenant, au contraire, on est presque systématiquement encouragé.

Ça vous inquiète ou ça vous réjouit ?

Ce qui m’inquiète, moi, c’est qu’il y ait encore des poches de résignation dans l’organisation, pas du tout qu’il y ait des gens qui veulent tirer l’organisation vers plus de combativité…

Vos camarades de l’action commune ne vous disent-ils pas de vous méfier ?

Ah ça ! Non peut-être… Mais nous respectons les choix politiques de nos membres, même si le PS a un bilan, tandis que le PTB n’en a pas aujourd’hui et qu’il donne parfois l’impression qu’il ne veut pas en avoir de sitôt.

Le bilan du PS, c’est aussi du passif, celui de la gauche de gouvernement, non ?

Et c’est alors que vous nous avez vus dans la rue ! Les mesures prises par le gouvernement précédent, qui avait amorcé la pompe en rendant l’accès aux allocations d’insertion plus difficile, la FGTB n’a eu aucune hésitation à descendre dans la rue pour les contester.

La FGTB-Bruxelles se positionne- t-elle sur l’institutionnel ?

Notre position, c’est de dire à tout le monde :  » On se calme ! « . On a fait les calculs : il y a plus de mandataires par habitant dans la région de Hal-Vilvorde qu’à Bruxelles… Alors, y a-t-il des évolutions nécessaires ? Probablement. Mais gardons quelques balises. Par exemple, nous avons cette différence fraternelle avec nos amis wallons, c’est de n’avoir jamais été des supporters de la régionalisation de l’enseignement, tant pour des raisons de solidarité francophone que de mobilité des enseignants. Sombrera-t-on dans le ridicule de fonder deux télévisions publiques, une RTBW et une RTBB ? Allez ! Une des grosses problématiques, la relation entre la Ville de Bruxelles et la Région, s’est largement apaisée avec l’arrivée de Philippe Close au mayorat…

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