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Le style Simonet

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Choisie par Joëlle Milquet, adoptée par Elio Di Rupo, la ministre de l’Enseignement obligatoire est condamnée à réussir. Et sous ses allures d’élégante, elle cache une main de fer.

S’adressant à la ministre tout juste installée à ce poste à haut risque, Elio Di Rupo (PS) la mettait en garde : « La première année s’avère la plus difficile, car on plonge dans le bain sans bouée. Mais, après, ce n’est que du bonheur. » On avait dû lui tenir des propos similaires, seize ans plus tôt, lorsque la juriste de 37 ans alors, plutôt BCBG, prend la direction générale du Port autonome de Liège, avec ses bruits de poulies, ses tonnes d’acier, ses monstres flottants… Où, les premiers temps, elle est peu appréciée. « Marie-Do est une femme comme il y a peu d’hommes », résume Robert Planchar, son prédécesseur et ex-patron de la future ministre. Cette femme-là, dont il dit « être tombé sous le charme des compétences », il l’a voulue. Il l’entraîne avec lui jusqu’au gouvernail. Pas de quota ni de parité dans le business. En affaires, on ne grimpe les marches qu’à coups de résultats.

L’histoire politique, pourtant, s’engage sur une question de sexe : il fallait une femme au CDH, de préférence du bassin liégeois (elle habite Esneux). Mieux : elle incarne la « société civile » qu’il s’agit d’associer plus étroitement à l’action politique. Le PS, paraît-il, avait déjà tenté de la débaucher. Quand, en juillet 2004, Joëlle Milquet, qu’elle ne connaît guère, lui offre d’être ministre, Marie-Dominique Simonet (au bord de la mer avec son mari notaire et leurs deux fils) refuse, mais elle accepte de la voir : 700 kilomètres aller-retour, pour venir écouter la patronne du CDH. Le lendemain, un SMS : « Pour moi, c ok. Marie-Do. » En acceptant la fonction, elle veut « porter un certain optimisme », et abolir le décalage qui peut exister entre « avoir des idées et la possibilité de les mettre en oeuvre ».

Ce sera donc elle, sans avoir porté les valises de quiconque, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. A ce département, elle peut espérer traverser une saison calme : on est peu chahuté, dans le sérail universitaire, où les syndicats ne hurlent pas très fort. Malgré une grève des étudiants, des maladresses dans un contrat d’armes en Tanzanie, une irréductible incompréhension avec le ministre-président Van Cau – il y a eu des pleurs -, elle s’en sort avec un bulletin satisfaisant. La Liégeoise est obstinée ; ses nerfs sont plus solides qu’il n’y paraît.

Son arme : l’art de la synthèse Rien à voir, pourtant, avec l’instruction obligatoire qu’elle dirige depuis juillet 2009, un ministère sous tension, gouverné par les rapports de force, très exposé, et confronté à des syndicats coriaces. Quasi un an après l’avertissement de Di Rupo, Rudy Demotte (PS) lui aurait lâché, lors d’un kern: « Tu es en train de tout réussir, Marie-Do ! » Simonet, la bonne élève au parcours sans faute ?

Entre la sphère scolaire et la politique, les relations étaient si tendues qu’il était urgent de placer quelqu’un de conciliant. Ce fut donc Simonet. « C’est une personnalité empathique, très avenante », assure un collègue ministre. Elle peut aussi se monter cocasse, franchement rigolote. « Elle met les gens très à l’aise », relève Prosper Boulangé, secrétaire général de la CSC Enseignement.

D’emblée, la nouvelle ministre affiche une volonté de dialogue et joue sur le registre de la proximité. Car sa marge de manoeuvre politique est étroite : pas question de heurter les profs de front, et de les jeter dans la rue comme en 1990 et 1995. Quant à ses moyens financiers, l’ampleur du problème budgétaire limite la nouveauté. « Ses prédécesseurs avaient des postes et des millions à distribuer. Elle, elle a des millions à gratter ! C’est moins facile », estime un ami.

Pour s’en tirer, Marie-Dominique Simonet dispose d’atouts. D’abord, elle bosse ! Dès son arrivée, elle s’est plongée dans ses dossiers qu’elle a très vite maîtrisés. « Elle est entourée de très bons techniciens », souligne Joan Lismont, président du secteur Enseignement libre du Setca. Elle dispose d’une arme, indispensable : l’art de la synthèse. « Elle rend service à ses interlocuteurs en résumant ce qui a été dit, même sur des sujets techniques », déclare un haut fonctionnaire de son administration.

Alors pourquoi irrite-t-elle les syndicats et ses adversaires politiques ? En moins d’un an, Marie-Dominique Simonet a affronté plusieurs arrêts de travail, quand Jean-Marc Nollet se vante de « n’avoir jamais connu un jour de grève ». La quinquagénaire est fonceuse (un revers redoutable au tennis) et endurante (une excellente nageuse). Elle a vite appris à tenir tête (sans doute son principal trait de caractère). Seulement voilà : bien qu’elle s’en défende, elle reste sous la pression de la Rue des Deux-Eglises. Le CDH a réclamé l’école, sur laquelle les socialistes Dupont et Arena ont buté, il ne veut pas échouer. Milquet, « qui la soutient beaucoup », suit ainsi de très près sa ministre (ses ministres ?). Au point que d’aucuns considèrent l’hyperprésidente du CDH comme la vraie ministre de l’Enseignement obligatoire.

Une méthode qui crispe les partenaires Derrière sa fausse naïveté se cache aussi une vraie méthode. D’abord, Simonet écoute tout le monde. Puis elle tranche, signifie, s’il le faut, que sa décision est irrévocable. « Dans notre société complexe, il n’y a pas de réponses simples. Elle assume donc sa complexité et ses aspects contradictoires. Mais elle n’est pas sectaire ! Elle a toujours été très ouverte », assure un membre de son premier cercle. Simonet, en tout cas, n’hésite pas à faire de la « provoc' », à adopter le jusqu’au-boutisme. « J’avance le plus loin qu’il m’est possible d’avancer », reconnaît-elle. Au risque de s’isoler, de s’affaiblir et de devoir finalement reculer face à la fronde. Un chaud-froid que les syndicats ne supportent pas.

Cette attitude peut parfois s’avérer payante. Comme l’abandon de l’avant-projet Robin des bois : les écoles moins défavorisées auraient dû céder 25 millions d’euros aux écoles en difficulté, ce qui avait allumé des feux. Imposé en juillet 2009 par l’olivier en gestation, son enterrement est une victoire personnelle. Est-ce tenable à long terme ? Car la stratégie atteint ses limites. D’abord, les résultats ne sont pas toujours au rendez-vous. La piste « faire travailler plus les enseignants » a déjà une place toute trouvée : les oubliettes. Tandis que son décret « Inscriptions » fut reçu comme une « pièce à casser ». Ce qui fut fait. En effet, la méthode Simonet crispe ses partenaires. Ils racontent que ses dossiers sont systématiquement repris par le gouvernement. « Avec Simonet, le kern doit toujours se réunir et arbitrer. C’est problématique », raille un chef de cabinet. Serait-elle sous surveillance ? « Rendez-vous compte : jeudi dernier, c’est le kern qui a reçu les organisations syndicales ! C’est comme si, au fédéral, le Premier ministre avait dessaisi un ministre. »

Caramba (c’est son juron préféré) ! Il lui reste des dossiers lourds en chantier : une réforme du technique et du professionnel, une nouvelle définition du métier d’enseignant, une pénurie de profs, une révision des prépensions (les très sensibles DPPR)… Il y a là de quoi mettre dix fois les profs dans la rue. Mais elle est heureuse d’être là, Marie-Dominique Simonet. « Je suis là pour faire, pas pour faire carrière. »

SORAYA GHALI

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