© Reuters

Le sens et le non-sens d’un Patriot Act à la belge

Le Vif

L’avocat anversois Raf Jespers doute de la nécessité d’un Patriot Act pour tenir tête au terrorisme. « Commençons par utiliser efficacement l’arsenal existant. »

La N-VA a sorti l’artillerie lourde dans le débat sur le terrorisme. Peter De Roover, chef de fraction à la Chambre, souhaite suspendre la liberté d’expression pour les « collaborateurs au terrorisme ». Le président du parti et bourgmestre d’Anvers Bart De Wever plaide quant à lui en faveur d’une administration armée dans nos villes. Un Patriot Act belge doit permettre d’arrêter préventivement les individus dangereux et d’intercepter la circulation de datas. Et une nouvelle proposition de loi de la députée Valerie Van Peel prévoit l’obligation d’information pour les employés de ministères, de CPAS, d’hôpitaux et de syndicats : s’ils constatent quelque chose de suspect lors de visites à domicile ou d’entretiens, ils sont tenus d’en informer la justice.

Maître Raf Jespers frémit à cette pensée. Il y a six ans, l’avocat anversois, membre de la Ligue des Droits de l’homme, avait déjà écrit un livre inquiétant sur l’atteinte aux libertés citoyennes dans la lutte contre le terrorisme. « Je frémis de l’argument ‘à circonstances exceptionnelles, mesures exceptionnelles' », dit-il. « Il est dangereux d’adapter ses principes aux circonstances. Nous devons faire exactement le contraire et défendre ces principes plus que jamais. Sans respect des droits de l’homme, des libertés citoyennes et de la séparation des pouvoirs, l’état de droit démocratique est une coquille vide.

Ne sommes-nous pas en guerre contre les extrémistes musulmans, comme l’affirment Bart De Wever et François Hollande ?

RAF JESPERS: Je ne sous-estime pas la menace terroriste, mais une guerre ? C’est très différent. Je suis très inquiet par ce que je lis dans les médias.

Le pouvoir judiciaire est obligé de confronter les mesures aux droits fondamentaux. Le pouvoir exécutif se laisse surtout mener par ce qui est politiquement souhaitable. Les nouvelles propositions dans la lutte contre le terrorisme – la privation de liberté préventive, la mise sur écoute sans mandat du juge d’instruction – créent un déséquilibre entre ces pouvoirs. L’initiative se trouve de plus en plus du côté du pouvoir judiciaire.

Bien entendu, le pouvoir judiciaire peut exercer un contrôle a posteriori. C’est déjà le cas aujourd’hui : les fonctionnaires de l’Office des Étrangers ont le droit de faire enfermer des étrangers. Le contrôle judiciaire n’intervient qu’une fois qu’on a fait appel. En pratique, cette procédure ne fonctionne pas : les fonctionnaires de l’Office des Étrangers se montrent trop nonchalants. C’est ce qu’on verra toujours : donnez un instrument au pouvoir exécutif sans exercer de contrôle et l’abus est proche.

N’avons-nous pas besoin d’armes supplémentaires pour conjurer la menace terroriste?

Commençons par utiliser efficacement l’arsenal existant. Depuis le 11 septembre, plus de deux cents mesures antiterroristes ont été approuvées en Europe. Et la Belgique n’est pas en reste : pensez à la loi sur le terrorisme de 2003, déjà affinée plusieurs fois. Mise sur écoute préventive ? C’est déjà parfaitement possible. Sur ordre du juge d’instruction ou même sans cet ordre si c’est la Sûreté de l’État. Limiter la liberté d’expression ? Pas besoin de nouvelles lois : l’incitation directe ou indirecte au terrorisme est déjà un délit.

La comparaison au Patriot Act américain tient-elle debout ?

Le Patriot Act était une série importante de mesures approuvées après le 11 septembre. Une tout autre paire de manches que les idées lancées par la N-VA même s’il y a des leçons à tirer. Le but du Patriot Act était de combattre le terrorisme, mais en pratique le service de renseignements NSA s’en servait pour écouter des chefs d’État alliés et se livrer à de l’espionnage économique : nous aussi, nous ouvririons la porte à ce genre d' »usage impropre ». Et quand les Américains ont approuvé ces mesures, il s’agissait soi-disant de mesures temporaires, mais la plupart sont toujours en vigueur. C’est ce que je crains ici aussi : qu’une limitation temporaire de nos libertés devienne définitive.

Un plaidoyer en faveur de la privation de liberté préventive? Je frémis quand ce genre de proposition vient d’un parti qui a récemment fulminé contre les « terroristes syndicaux ».

Erik Raspoet

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire