Theo Francken en visite dans un centre d'accueil pour réfugiés. Sa gestion de la question des migrants est appréciée des citoyens, si l'on en croit sa cote de popularité. © WOUTER VAN VOOREN/ID PHOTO AGENCY

Le réfugié, fabrique à préjugés

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Envahissant, profiteur et malhonnête avec ça. Il s’en colporte des choses sur le compte du migrant. Theo Francken en tête, la suédoise montre un zèle modéré à dissiper le soupçon. De l’info à l’intox…

Francken superstar. Une valeur en hausse, à la Bourse des cotes de popularité politique, y compris désormais en Wallonie. Son rayon, c’est pourtant l’ingrate gestion de l’asile et de la migration. Le secrétaire d’Etat N-VA y est manifestement apprécié pour le boulot accompli. Il sait trouver les mots qui percutent et enchantent pour traduire sa vision du problème :  » abus/abusif « ,  » fermeté « ,  » éloignement « ,  » fraude « , parsèment les 33 pages de sa dernière note de politique.  » Hospitalité  » et  » solidarité  » y brillent par leur absence. Le migrant n’a pas fini de traîner dans ses maigres bagages une réputation peu flatteuse.

« Ils nous envahissent ! »

Les compteurs tournent toujours mais ne s’affolent plus : 35 476 demandes d’asile avaient été actées en 2015, 18 710 l’ont été en 2016. L’équivalent de 0,30 % de la population totale au plus fort de l’afflux, de 0,17 % l’an dernier.  » Une goutte d’eau dans l’océan, dans un pays de plus de onze millions d’habitants « , ose le Ciré (Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers). Les 15 478 statuts d’asile délivrés en 2016 ne suffiraient pas à remplir la moitié des 50 000 places du stade Roi Baudouin. Loin de là.

« Ils nous coûtent une fortune »

Chers, très chers migrants. Ils signifient des milliers de bouches à nourrir, loger, blanchir, soigner. Il en coûte au contribuable belge de tendre la main à son lointain prochain : 180 euros par jour pour un résident assigné en centre fermé, 40 euros par jour s’il est accueilli en centre ouvert. On connaît des jetons de présence ou des bonus autrement plus dispendieux.

Theo Francken aime rappeler l’ampleur du sacrifice budgétaire consenti pour affronter cette crise sans précédent de l’asile, et qui plus est  » dans une période où le citoyen est assujetti à des mesures d’économies « . A ce propos, le migrant n’y est pour rien.

De fait, l’Etat fédéral n’a pas lésiné sur les moyens pour faire face à la  » tempête migratoire  » : 613 millions mobilisés en 2016 pour satisfaire les besoins pressants de Fedasil, l’agence fédérale chargée d’accueillir les demandeurs d’asile ; 202,2 millions consacrés à financer le revenu d’intégration et à soutenir les CPAS dans l’accompagnement, l’intégration et l’insertion socio-professionnelle des réfugiés reconnus.

La facture, tous départements confondus, aura atteint le milliard. Soit moins d’un pourcent du budget total de l’Etat fédéral 2017 (102,5 milliards). D’autres tirelires publiques ont été cassées pour des causes désespérées. Quasi dix ans plus tard, la crise financière et le sauvetage des banques en détresse laissent encore une ardoise de 7,8 milliards.

L’accueil, c’est bien. L’éloignement, c’est mieux. Cette année, Fedasil hérite d’une dotation fédérale de 259 millions, amputée de 22 millions. La machine à rapatrier (près de 11 000 étrangers renvoyés en 2016) exige davantage de carburant. Elle obtient 85 millions d’euros, 20 % de plus qu’en 2016, et 34 % de plus qu’en 2014.

« Il sont reçus comme des rois, aux frais de la princesse »

Finie l’assistance financière, jugée trop facilement détournée de sa vocation. Place, depuis 2007, à une aide matérielle fournie par l’Etat, dans l’un des 70 centres ouverts à l’intention du demandeur d’asile. Theo Francken plante le décor :  » L’accueil est sobre, fait d’un lit, de pain et d’un accompagnement.  »  » Des repas, des installations sanitaires et des vêtements « , traduit moins lugubrement Fedasil.

Question gîte et couvert, la suédoise (N-VA – MR – Open VLD – CD&V) a repensé le modèle. Il fallait éviter aux candidats à l’asile de s’emballer un peu trop vite. Comme le dit le secrétaire d’Etat :  » Les places d’accueil individuelles étaient perçues comme une sorte de ligne droite vers un statut de séjour.  »

Le logement collectif est désormais la norme.  » Les familles dorment généralement dans une chambre séparée qui offre une certaine intimité, les personnes isolées partagent un dortoir commun « , précise Fedasil.

L’hébergement en appartement ou en studio est réservé aux plus vulnérables : femmes enceintes, isolés avec des enfants malades, personnes handicapées. Ou à celles et ceux qui ont une forte probabilité de décrocher le statut tant convoité.  » Chaque demandeur d’asile adulte en logement individuel reçoit 60 euros par semaine pour subvenir à ses besoins de base « , précise le Ciré.

Le candidat réfugié reçoit de l'aide pour organiser la scolarité obligatoire de ses enfants.
Le candidat réfugié reçoit de l’aide pour organiser la scolarité obligatoire de ses enfants.© STÉPHANE MORTAGNE/BELGAIMAGE

Le candidat réfugié n’est pas abandonné à son sort. Il a droit à un accompagnement médical, psychologique, social, juridique. Reçoit de l’aide pour organiser la scolarité obligatoire de ses enfants.

« Ils sont payés à ne rien faire »

Difficile de leur en faire le reproche durant les quatre premiers mois de séjour au cours desquels l’accès au marché du travail leur est interdit.

Le quotidien du demandeur d’asile sera rythmé par quelques tâches domestiques :  » Les résidents lavent eux-mêmes leur linge et veillent à ce que leur chambre soit en ordre. Ils participent à l’entretien des espaces communs « , rappelle Fedasil. Ils peuvent aussi se rendre utiles, si l’envie leur prend d’étoffer un peu leur argent de poche qui est de 7,40 euros par semaine. Suivre des cours de langue, de cuisine, de couture ou d’informatique est une excellente manière de se rendre employable. Car le candidat à l’asile est à présent vivement incité à se remuer.  » Son activation sera suivie de près « , s’engage Theo Francken.

Le migrant au travail ne perd pas l’aide matérielle qu’il reçoit, mais il contribue à financer les frais liés à son accueil. Fedasil, connectée depuis mai dernier à la Banque Carrefour de la sécurité sociale (BCSS), a les moyens de vérifier qu’il en est bien ainsi. Depuis 2013, plus d’un million d’euros ont été versés à titre de contribution financière par quelque 900 demandeurs d’asile qui ont cotisé en travaillant.

« Ils abusent de notre hospitalité »

En tout candidat réfugié pourrait sommeiller un profiteur, prêt à bien des artifices pour décrocher un droit au séjour. Theo Francken a appris à connaître les tours de ces malhonnêtes.

C’est le réfugié qui, une fois reconnu, ose retourner en touriste dans le pays qu’il prétend avoir fui. C’est le candidat à l’asile qui se fabrique une reconnaissance de paternité bidon. C’est le migrant qui recourt frauduleusement au visa étudiant.

Quand les députés le pressent de quantifier ces abus qui ont de quoi frapper les esprits, le secrétaire d’Etat peine à livrer des chiffres. Barbara Pas, élue Vlaams Belang, brûle ainsi d’en savoir plus sur ces  » fraudes aux vacances  » : sa curiosité reste jusqu’ici inassouvie. Signalé par les officiers de l’état civil de la Région bruxelloise,  » le phénomène des bébés papiers « , bien réel, reste un mystère d’ordre statistique : impossible jusqu’ici de glaner des données chiffrées, vu l’absence de base légale pour s’attaquer à ces reconnaissances frauduleuses de paternité. Qu’à cela ne tienne :  » phénomène  » il y a et il est  » en nette augmentation « , ce qui justifie un arsenal législatif pour le contrer.

L’Office des étrangers veille au grain. En 2015, 2 943 dossiers ont été examinés pour suspicion de fraude à l’accès et au séjour en Belgique et en 2016, 109 retraits du statut de réfugié ont été enregistrés.

« Ils débarquent trop souvent sans raisons valables »

Beaucoup de candidats, très peu d’élus ?  » Près de six demandeurs d’asile sur dix obtiennent, en première instance, le statut de réfugié « , note le Ciré. Le taux de reconnaissance est en hausse depuis quatre ans : il est passé de 22 % en 2012 à 60,7 % à l’été 2015, pour atteindre en 2016 les 58 % de demandeurs d’asile acceptés en tant que réfugiés.

Un statut de  » réfugié reconnu  » ne se décroche pas comme une lettre à la poste.  » Le Commissariat général aux réfugiés et apatrides se montre très vigilant sur la crédibilité du récit. Les interviews peuvent durer des heures, les questions peuvent être très détaillées et difficiles. Cet entretien peut être très éprouvant pour les demandeurs d’asile, il leur fait revivre des moments douloureux « , relève le Ciré. Examen osseux pour déterminer l’âge, prise d’empreinte, photographies, consultation de fichiers internationaux, production de papiers (preuve de propriété, diplômes), viennent étoffer le dossier.

« Ils font venir toute la famille »

Cela s’appelle le regroupement familial. Qui n’a rien d’automatique. Qui ne peut s’envisager qu’une fois le statut de réfugié obtenu. Et qui est soumis à des conditions de plus en plus restrictives.

Avant d’être autorisé à faire venir femme et enfants mineurs, et seulement eux, le réfugié doit prouver qu’il dispose de  » ressources stables, régulières et suffisantes « , d’un logement adapté et d’une relation conjugale stable. Montant minimal des moyens de subsistance exigés : l’équivalent de 120 % du revenu d’intégration sociale, soit 1 387,84 euros net par mois. L’Office des étrangers se montrerait pointilleux : un contrat de travail temporaire satisfait difficilement à la notion de ressources  » stables « .

Se retrouver en famille n’est jamais un droit définitivement acquis.  » Chaque année, le réfugié doit justifier le respect des conditions. S’il perd son revenu et bascule dans le régime de l’aide sociale, le regroupement familial cesse ses effets. Ce qui peut signifier un ordre de quitter le territoire pour les proches « , rappelle le Ciré.

Dopée par l'arrivée d'un gros million de migrants entre 2015 et 2016, l'Allemagne a vu son PIB gagner 1,9 %.
Dopée par l’arrivée d’un gros million de migrants entre 2015 et 2016, l’Allemagne a vu son PIB gagner 1,9 %.© STEFFI LOOS/BELGAIMAGE

Le regroupement familial est la principale voie d’entrée légale sur le territoire belge : la moitié des titres de séjour accordés le sont pour cette raison, avec une nette tendance à la hausse. Elle n’est que la conséquence d’un taux de reconnaissance plus élevé des réfugiés. Nullement l’aveu d’un laxisme en la matière : désormais, il suffit que la fraude ait contribué à obtenir un titre de séjour, et non plus que cette fraude ait été déterminante, pour justifier un retrait.

« Ils vivent aux crochets de notre système social »

Reconnu et entouré des siens, le réfugié aurait pour premier réflexe de se précipiter au CPAS le plus proche de son habitat pour obtenir, et surtout, profiter longtemps de son revenu d’intégration sociale. Sauf qu’après deux ans, ils ne sont plus que 35,6 % à dépendre encore de l’aide sociale.  » Une étude menée par l’ULB et la KUL montre que quatre ans après la reconnaissance de leur statut, 55 % des réfugiés se retrouvent sur le marché du travail. Un score qui tend à se rapprocher de celui de la moyenne de la population belge, à savoir 65 % « , souligne le Ciré.

Se reposer sur l’aide sociale est d’ailleurs une arme à double tranchant :  » L’octroi et le maintien de nombreux statuts de séjour sont conditionnés au fait de ne pas dépendre du CPAS.  » Là encore, l’Office des étrangers peut aisément vérifier la chose en consultant la BCSS.

« Ils volent nos jobs et menacent notre prospérité »

Ce n’est pas dit et encore moins démontré. A la longue, un réfugié pourrait rapporter plus qu’il ne coûte. Et se révéler ainsi un bon placement à long terme. En Allemagne, on a le sourire : le gros million de migrants accueillis par la République fédérale en 2015 et 2016 a dopé son économie de 1,9 % du PIB l’an dernier. Un effet comparable à un plan de relance.

Chez nous, les économistes sortent aussi leur calculette et échafaudent des scénarios. Pas d’euphorie. Les experts de la Banque nationale sont prudemment enclins à positiver les retombées d’un afflux de réfugiés somme toute  » comparable à certains flux du passé  » que la Belgique a su absorber. Dans l’immédiat, pas de choc majeur à redouter pour le marché du travail, vu la part plus que modeste que représentent les demandeurs d’asile dans la population active. Et d’ici à 2020, l’impact sur le PIB serait de l’ordre de 0,1 %. Le coup de fouet est certes limité. Mais le surcroît de croissance sera toujours bon à prendre par les temps qui courent.

Et puis les migrants d’aujourd’hui sont  » majoritairement de jeunes hommes qui semblent plus éduqués que les précédentes vagues de réfugiés « , même si leur niveau d’éducation reste inférieur à celui des Belges. Ils pourraient devenir une force de travail bénéfique pour contrer en partie le vieillissement de la population. A condition de réussir le défi crucial de leur intégration sociale et professionnelle. Car un réfugié qui bosse est un réfugié qui a des revenus, qui dépense pour se loger et consomme pour faire vivre toute sa famille. Qui ne peut donc pas faire de tort à la prospérité du pays.

« Ils nous veulent du mal »

L’hypothèse n’a pas échappé à la suédoise. Raison pour laquelle sera versée dans le dossier du primo-arrivant la  » déclaration  » qu’il aura dûment signée, par laquelle il aura reconnu comprendre les normes et valeurs fondamentales en vigueur sous nos latitudes et manifesté ainsi sa volonté explicite de s’intégrer. Le document sera utilement sorti en cas d’écart de conduite contraire à l’engagement pris.

 » En filigrane, l’idée qui ressort de cette mesure est que les étrangers arrivant en Belgique sont d’emblée dépeints comme constituant un danger potentiel pour la sécurité du pays « , décode le Ciré.  » Si des actes criminels isolés, parfois surmédiatisés, peuvent survenir, il n’y a pas plus de criminels parmi les migrants et les réfugiés que dans le reste de la population.  » Sauf que ces criminels-là, s’ils se retrouvent derrière les barreaux, s’appellent plus que jamais retour, avec de moins en moins de ménagement dans le modus operandi. Theo Francken est un homme de records : 1 595 détenus ont été rapatriés par vols spéciaux (plus de trois par mois) en 2016, soit un millier de plus qu’en 2014. Le secrétaire d’Etat croise les doigts :  » Il reste à espérer que ce nombre sera encore plus élevé en 2017.  » On peut lui faire confiance.

« Ils s’incrustent »

Ceux-là ont particulièrement le don d’horripiler Theo Francken. Parce qu’ils usent des voies de recours juridiques comme autant de manoeuvres dilatoires pour repousser l’échéance du départ.  » Ces recours abusifs sont une cause d’exaspération pour le contribuable, ils représentent un coût social énorme « , peste le secrétaire d’Etat à l’Asile. Qui n’en dira pas plus sur  » l’énormité  » des sommes ainsi englouties en pure perte.

Ces réfractaires à  » l’ordre de quitter le territoire « , qui leur est finalement signifié, rejoignent alors les clandestins arrivés irrégulièrement, pour être versés dans la catégorie des  » illégaux « . Ils sont par définition dépourvus de droits, excepté l’accès à une aide médicale urgente et la scolarité de leurs enfants.

Peut-être ces incorrigibles tablent-ils sur une campagne de régularisation collective ? Espoir insensé : la suédoise a résolument fermé la porte. Il leur reste à tenter une demande de régularisation individuelle.  » Son octroi ne peut se justifier que par des circonstances exceptionnelles, non autrement définies. Cette faveur est laissée à l’appréciation discrétionnaire de l’Office des étrangers « , indique le Ciré. Risquer la démarche coûtera à l’avenir encore plus cher : la redevance administrative passe de 215 à 350 euros.

Rien de tel que toucher au portefeuille. Les régularisations se raréfient : autrefois de 8 000 à 9 000 par an, le nombre de décisions positives est passé à 2 867 en 2016.  » Cette chute libre  » ravit Theo Francken. Qui n’y voit pas d’autre explication que celle-ci :  » Aujourd’hui, on réfléchit à deux fois avant d’introduire une demande de séjour.  »

Même droit dans ses bottes, le réfugié reconnu sera bien avisé de ne pas se reposer sur ses lauriers. Car il reste en sursis. Désormais, il a droit à un séjour de cinq ans renouvelable, sous réserve d’un réexamen de sa situation. Ce n’est que passé ce délai de cinq ans, que le séjour devient illimité. Il aura tout intérêt à mettre ce  » provisoirement définitif  » à profit pour chercher à s’intégrer, puisqu’il lui appartiendra de prouver les efforts qu’il accomplit. Les parcours d’intégration, obligatoires en Flandre et en Wallonie et prochainement en Région bruxelloise, lui seront d’un précieux concours.

C’est en somme le grand retour aux sources, prôné par Theo Francken. Le retour au sens originel du statut de réfugié :  » Un instrument temporaire de protection, non un canal migratoire permanent.  » Bref, on ne retient personne. Message reçu ?

Réfugiés et étrangers : petit guide anti-préjugés, par le Ciré.www.cire.be

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