A l'automne 2019, Paul Magnette accède à la présidence du PS. Un an plus tard, le parti est toujours à la croisée des chemins. © belgaimage

Le PS est-il sauvé?

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Il y a trois ans et demi, Paul Magnette estimait son parti, alors présidé par Elio Di Rupo, menacé de mort. Au coeur d’une crise sanitaire et économique inédite, et après des négociations fédérales compliquées, le PS est-il sorti d’affaire?

En 2010, un politologue américain, Charles Mack, s’était intéressé à la manière dont de grands partis (les libéraux britanniques, notamment) disparaissaient. Selon lui, deux facteurs étaient principalement importants. D’une part, les choix stratégiques défaillants de dirigeants en décalage avec la société et ses alignements électoraux. D’autre part, l’existence de formations concurrentes, proches idéologiquement et « pas trop usées par l’exercice du pouvoir », écrivait-il dans When Political Parties Die. Et la conjugaison de ces deux critères atteignait, inévitablement, le parti en question en son noyau vital.

Le premier casting ministériel, plutôt jeune et féminin, de Paul Magnette a beaucoup déçu chez ceux qu’il n’a pas gratifiés.

C’est, en gros, ce qu’avait expliqué, il y a trois ans et demi, Paul Magnette.

« Le parti peut mourir », avait-il dit, ému.

Au printemps 2017, parce que les affaires Publifin et Samusocial torturent le PS, et qu’il l’appelle, en réponse, à adopter une mesure aussi radicale que symbolique sur le cumul des mandats de député et de bourgmestre, Paul Magnette pose ce constat glaçant, face à un bureau de parti qui lui est alors plutôt hostile.

Le PS d’Elio Di Rupo cumule à cette époque les comorbidités, et plusieurs sondages le situent même derrière le PTB. De fait, les élections de 2019 seront catastrophiques pour les socialistes francophones, qui n’avaient jamais, depuis l’instauration du suffrage universel masculin en 1919, récolté un aussi mauvais résultat.

Encombré de ce sombre présage et de ces pesantes contraintes, Paul Magnette accède, à l’automne 2019, à la présidence qui lui était promise depuis plusieurs années. Le Carolo est très populaire à l’extérieur du parti, son charisme et son autorité sont aussi craints que respectés à l’intérieur. Il s’est engagé à une rigueur robespierriste, et les exclusions du Tennoodois Emir Kir puis de la Verviétoise Muriel Targnion semblent indiquer un retour à une intransigeante morale socialiste, après tant d’années où une trop grande timidité avait été reprochée à Elio Di Rupo, parfois par Paul Magnette lui-même.

Une crise sanitaire, dont la deuxième vague déferle à peine, et d’interminables négociations fédérales plus loin, le PS est-il pour autant en meilleur état que lors de ce tragique printemps?

Le tout récent baromètre Le Soir-RTL n’a pas diagnostiqué la résurrection espérée: il accorde encore la première place wallonne au PS, mais à un niveau encore plus bas que sa maladive performance de mai 2019. Et le PTB, derrière lui, n’est qu’à quelques points (20,5% contre 18,9%). A Bruxelles, où les sondés ne lui attribuent que 19,1% de leurs réponses, c’est Ecolo (19,8%) qui lui ravit la première place. A titre personnel, Paul Magnette n’est plus le plus populaire de Wallonie: Sophie Wilmès et Alexander De Croo l’ont dépassé. Le PS n’est donc toujours pas sauvé. A 20,5% en Wallonie et 19,1% à Bruxelles, son noyau vital n’est pas loin du tout d’être atteint. Et la crise sanitaire aussi bien que la crise politique n’ont pas accéléré le recrutement de militants qui étaient encore 104.000 en 1999, 81.000 en 2010, mais qui n’étaient déjà plus que 48.139 en ordre de cotisation pour l’exercice 2019. Dont près d’un quart de Liégeois, nous y reviendrons.

Gérer la concurrence

Ce qui rend le PS de Paul Magnette encore plus vulnérable que les défunts exemples avancés par Charles Mack, c’est, d’abord, qu’il doit souffrir deux concurrents proches idéologiquement et moins usagés fonctionnellement.

Le PTB comme Ecolo partagent avec le PS de nombreux points de programme, mais leur pureté n’a pas, elle, été minée par des décennies de participations gouvernementales parfois compliquées. Les verts et les rouges foncés ont tous deux pris des voix au PS en mai 2019, plutôt chez les électeurs diplômés et optimistes pour les premiers, plutôt dans un électorat en colère et peu qualifié pour les seconds. Les deux le voient différemment. Il est un partenaire inévitable, donc privilégié, pour Ecolo, et un adversaire à dépasser, donc privilégié aussi, pour le PTB. En retour, le PS tente de mouiller les uns et d’éclabousser les autres.

Paul Magnette espère qu’au terme de la législature les écologistes ne paraîtront plus si purs, et que les communistes sembleront encore plus inutiles. Monter dans un gouvernement fédéral avec Ecolo, avec l’ouverture de nouveaux centres fermés, sans certitudes absolues sur la sortie du nucléaire, et sans PTB, sans retour de la pension à 65 ans et sans salaire minimum à 14 euros/heure, c’est éparpiller la concurrence. Aux électeurs en colère du PTB, le PS continuera à dire « qu’en quarante ans d’existence, le PTB n’a rien obtenu, contrairement aux socialistes », comme l’a encore répété, dimanche 18 octobre, Paul Magnette sur RTL-TVI. Et aux électeurs optimistes d’Ecolo, le PS devra expliquer que l’exercice du pouvoir l’abîme moins. Eclabousser d’un côté, mouiller de l’autre.

Karine Lalieux, Thomas Dermine, Ludivine Dedonder et Pierre-Yves Dermagne: leur répartition géographique rompt avec les équilibres géopolitiques traditionnels, eux-mêmes liés à la préservation du noyau vital des socialistes francophones.
Karine Lalieux, Thomas Dermine, Ludivine Dedonder et Pierre-Yves Dermagne: leur répartition géographique rompt avec les équilibres géopolitiques traditionnels, eux-mêmes liés à la préservation du noyau vital des socialistes francophones.© belgaimage Photonews belgaimage Photonews

Un gouvernement PS – N-VA aurait soumis les socialistes à des attaques mortellement complémentaires: l’opposition PTB aurait insisté sur les compromissions socio-économiques imposées par l’exercice du pouvoir, tandis que l’opposition écologiste se serait déchaînée sur ses renoncements culturels. A cet effet, Paul Magnette peut remercier Jean-Marc Nollet (Ecolo) et Georges-Louis Bouchez (MR) qui, avec leurs homologues flamands, ont empêché l’alliance fédérale entre socialistes francophones et nationalistes flamands l’été dernier.

Débarrassé, involontairement, de la N-VA, mais contraint de satisfaire les libéraux, Paul Magnette a bouclé un accord de gouvernement dont les principales conquêtes résident surtout dans ce qu’il ne contient pas. Droite et gauche se sont mutuellement annulées au cours des négociations, et si la gauche en colère reprochera l’absence du retour de la pension à 65 ans, d’un véritable impôt sur la fortune ou de salaires minimum à 14 euros/heure, la gauche optimiste, espère-t-on au boulevard de l’Empereur, se félicitera de l’absence de nouvelles économies dans la sécurité sociale et les soins de santé, de déductions fiscales et sociales pour les entreprises, ou de limitations des allocations.

Qui fait quoi?

Mais un choix stratégique porte, en démocratie parlementaire, au moins autant sur ce qu’on fait ou ne fait pas que sur qui le fait, ou ne le fait pas. Dans les jours qui ont précédé et suivi la composition du gouvernement De Croo, le qui a même été beaucoup plus discuté que le quoi.

Et, si la chose a un peu été éclipsée par les conséquences du premier casting ministériel de Georges-Louis Bouchez, le premier casting ministériel, plutôt jeune et féminin, de Paul Magnette a beaucoup déçu chez ceux qu’il n’a pas gratifiés. Comme, inévitablement, tous les castings de l’histoire du monde consécutifs à une défaite électorale, mais pas seulement.

Indépendamment des qualités personnelles de Pierre-Yves Dermagne, Karine Lalieux, Ludivine Dedonder, Thomas Dermine et Eliane Tillieux (respectivement vice-Premier ministre, ministre des Pensions, ministre de la Défense, secrétaire d’Etat à la Relance et présidente de la Chambre), leur répartition géographique rompt avec les équilibres géopolitiques traditionnels, eux-mêmes liés à la préservation du noyau vital des socialistes francophones.

A Liège, dans le Hainaut et à Bruxelles, où le PS est le plus embêté par la concurrence du PTB et d’Ecolo, les socialistes ne disent rien mais n’en pensent pas moins.

Les Liégeois de l’arrondissement, dont la fédération avait signifié par écrit la volonté de voir un des siens promu au gouvernement fédéral, sont mécontents que Frédéric Daerden soit resté ministre du Budget en Communauté française. Celui-ci prépare une prise de pouvoir, annoncée depuis plusieurs années, dans sa fédération. Le président actuel, Jean-Pierre Hupkens, ne sera pas candidat à une succession ouverte au printemps prochain, et les socialistes liégeois sont déjà, comme en leurs plus belles années, mais en moins nombreux, en train de se compter.

Les Hennuyers de la province déplorent, pour certains, l’obtention d’un ministère qui n’apporte que peu de bénéfice politique, la Défense, par une Tournaisienne, Ludivine Dedonder, qui ne vient pas des vieux bassins industriels de Mons-Borinage ou du Centre, dont la fédération avait signifié, elle aussi, sa volonté de voir Laurent Devin accéder à un exécutif. C’est pourtant là que le PTB trouve le plus d’électeurs en colère. D’autres hésitent à voir dans le Carolo Thomas Dermine, fugace directeur de l’Institut Emile Vandervelde – qui disait naguère à L’Echo être « libéral sur l’économie mais à la fois aussi sur les valeurs, la relation à l’Europe, etc. » – l’incarnation du virage à gauche que semblait vouloir imprimer Paul Magnette. Vidé de ses ressources par la longue fin de mandat d’Elio Di Rupo, puis par le départ au gouvernement de Thomas Dermine et de plusieurs de ses derniers cadres dans les cabinets ministériels fédéraux, l’Institut Emile Vandervelde doit faire table rase de son passé. Les choix que posera Paul Magnette pour le relancer, ou pas, diront beaucoup de ce que sera, sous sa présidence, le Parti socialiste, entre un parti tout absorbé par la gestion quotidienne de l’action gouvernementale et une formation qui veut peser sur le débat public et la société civile.

Les Bruxellois de la région s’inquiètent ou se réjouissent de la promotion de Karine Lalieux parce qu’ils sont toujours très strictement divisés, et que cette promotion avive cette division. Karine Lalieux avait, à l’automne 2019, fait vigoureusement campagne contre Ahmed Laaouej, élu de justesse président de la fédération bruxelloise du PS face à Rachid Madrane.

Tous, Liégeois, Bruxellois, Hennuyers se demandent pourquoi la circonscription de Namur, avec ses six sièges, a été plus choyée, avec la présidence de la Chambre et le ministère de Pierre-Yves Dermagne, que celles du Hainaut (18 sièges), de Bruxelles (15) et de Liège (15).

C’est ainsi équipé que le président qui menaçait son parti de mort il y a trois ans et demi devra le faire revivre d’ici autant de temps: en 2024 se tiendront des élections législatives, régionales, européennes et communales qui acteront, du PS, sa mort ou sa résurrection.

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