Claude Demelenne

Le PS doit, malgré tout, négocier avec la N-VA (carte blanche)

Claude Demelenne essayiste, auteur de plusieurs ouvrages sur la gauche

Bien sûr, la N-VA est un repoussoir. Il n’existe pourtant pas d’autre issue, pour les socialistes, que de négocier avec le « diable » Bart De Wever.

Ce n’est pas glorieux. Mais il n’existe pas d’autre alternative pour sortir de la crise belge. Tout cela finira par un troc : davantage d’autonomie pour la Flandre, contre une solidarité financière maintenue pour la Wallonie. Une Belgique toujours plus charcutée, saucissonnée, dynamitée, contre l’assurance donnée aux Wallons qu’ils survivront même en cas de scission de la sécurité sociale. Existe-t-il un autre scénario ? Oui, celui de la paralysie totale, des élections à l’automne, du triomphe du Vlaams Belang, de la chienlit. Personne n’en veut. Il est donc urgent, pour le PS, de négocier avec la N-VA. Une déclaration de Jan Jambon, la veille de la Fête flamande du 11 juillet, ouvre quelques perspectives.

Prendre au mot Jan Jambon

Main tendue, vraiment ? Ou piège grossier ? L’avenir nous le dira. Pour l’heure, les socialistes francophones n’ont pas le choix. Ils doivent prendre au mot Jan Jambon et ses propos dans le quotidien De Tijd, relégués à l’arrière-plan suite au coup de gueule de Bart De Wever sur l’avortement.

En une dizaine de lignes, le ministre-président flamand résume la position de son parti, actuellement la plus grande force politique de Flandre. Ne pas répondre à ses propos serait une faute politique. Bien sûr, la N-VA ne nous est pas sympathique, bien sûr il serait plus agréable de négocier avec une autre Flandre, ouverte, tolérante, progressiste. Celle-ci existe, hélas elle ne pèse pas lourd, à peine un quart de l’électorat au Nord du pays.

Un « grand accord » ?

Que dit Jan Jambon ? Il propose «  un grand accord » aux socialistes francophones. Au départ d’un constat simple : « Si nos souhaits respectifs divergent à ce point au plan socio-économique, prenons en acte. Scindons les compétences pour que les Wallons puissent enfin mener la politique de gauche que ses électeurs souhaitent et pour que nous, en Flandre, puissions faire ce que demandent nos électeurs ». Ce n’est pas absurde. La Wallonie est l’une des régions les plus à gauche d’Europe. La Flandre est l’une des régions les plus à droite d’Europe. Au Parlement fédéral, les partis flamands ont 87 élus. Parmi eux, seulement 20 sont de gauche. Les partis francophones ont 63 élus. Parmi eux, 42 sont de gauche.

Les paysages politiques sont toujours plus différents, au Nord et au Sud. Les attentes des citoyens sont tout sauf identiques. La N-VA – sans parler du Vlaams Belang – est détestée en Wallonie. Le PS l’est tout autant en Flandre. La liste est longue des désaccords Nord-Sud. Deux exemples récents, parmi des dizaines d’autres : la majorité des élus flamands s’opposent au vote de la « loi avortement » accordant de nouveaux droits aux femmes, massivement défendue par les élus francophones. La majorité des élus flamands sont partisans d’une limitation dans le temps du droit aux allocations de chômage… limitation massivement combattue par les élus francophones. Dans ce contexte chahuté, la cohabitation dans le cadre d’un fédéralisme d’union devient problématique.

Le drame belge

La scission quasi totale de la Belgique affaiblirait gravement la Wallonie, qui est bien plus pauvre que la Flandre. Une statistique résume le drame belge : le risque de pauvreté en Wallonie (21,8%) est deux fois supérieur à celui de la Flandre (10,4%). Si la Sécu était scindée, la Wallonie aurait un gros problème de financement. Actuellement, en moyenne, un Wallon alimente moins la Sécu qu’un Flamand. Si la Flandre optait pour un « bye bye Belgium », la Wallonie plongerait encore un peu plus dans le rouge (sans mauvais jeu de mot!).

Jan Jambon s’efforce de rassurer les Wallons : « Nous sommes prêts à négocier un mécanisme financier de transition de dix ans ou plus. Je ne dis pas cela seulement par amour pour la Wallonie, mais également par rapport à notre propre intérêt. Si nous coupons les transferts du jour au lendemain, la paupérisation, en Wallonie, sera gigantesque ». Et d’ajouter ce commentaire à propos de la galère que vivrait la Wallonie, en cas de scission pure et dure : « Ce n’est pas digne humainement.. Et nous (ndrl : les Flamands), serions également préjudiciés dans la mesure où la Wallonie demeure notre plus important partenaire commercial ».

Une main tendue ambiguë

Pas question d’acheter un chat dans un sac. S’il est peu vraisemblable que les nationalistes flamands pragmatiques cherchent à asphyxier la Wallonie, il n’est pas exclu que le mécanisme d’aide financière transitoire qu’ils envisagent aboutisse à une solidarité a minima, permettant tout au plus au Sud du pays de garder – de justesse – la tête hors de l’eau. Il n’est pas exclu également que le « grand accord » que propose Jan Jambon réserve un sort funeste à Bruxelles et aux francophones de la périphérie qui seraient soumis à une flamandisation accélérée. Dans son interview au Tijd, Jan Jambon ne s’adresse qu’aux Wallons. Il « oublie » Bruxelles et les Bruxellois francophones. Vieille habitude du mouvement flamingant qui ne tolère qu’une Belgique à deux têtes, la Flandre et la Wallonie cogérant Bruxelles.

La main tendue par Jan Jambon suscite beaucoup d’interrogations. Et même une tenace suspicion. Mais le pire serait de faire semblant qu’elle n’existe pas. Le PS doit tenter de discuter avec la N-VA. Ce qui ne veut pas dire capituler face à ses exigences. Il s’agit, au contraire, de défendre les intérêts des francophones, et plus particulièrement de la gauche francophone, dans ce qui sera demain une Belgique de plus en plus évaporée. Une Belgique qui sera malgré tout peut-être encore viable. A condition que le Vlaams Belang ne saccage pas tout l’édifice. C’est ce qui se produira si le PS, mais aussi Ecolo, n’acceptent pas d’aller dîner avec le « diable » Bart De Wever, en prenant bien soin de se munir d’une grande cuillère.

« Un grand accord »

Bon nombre de dirigeants socialistes sont convaincus qu’ils devront tôt ou tard négocier un « grand accord » avec la N-VA. Ils ne le crient pas sur tous les toits. Parce que les militants et les électeurs du PS sont majoritairement opposés à toute alliance, même temporaire, avec les nationalistes flamands. Ce n’est pas étonnant, car ces dernières années, la gauche a constamment diabolisé la N-VA. Aujourd’hui, expliquer qu’on va faire un compromis avec le « diable » sur l’avenir de la Belgique, ne passe pas parmi le peuple de gauche. Quelle autre solution, pourtant ? L’opposition éternelle au niveau fédéral (la Flandre n’est pas prête de passer à gauche) ? La sécession de la Wallonie et de Bruxelles ?

Malheureusement, il n’y a pas d’autre issue que le bras de fer avec De Wever, autour d’une table de négociations.

Eviter la chienlit

Bien sûr, la N-VA est un repoussoir. Bien sûr, Bart De Wever est insupportable. Bien sûr, son dernier diktat contre la loi avortement le rend encore un peu plus éloigné des priorités francophones. Malgré tout, pour sortir de 400 jours de crise et préparer l’après Belgique fédérale, le PS doit négocier avec le « diable » N-VA. Sinon, ce sera le chienlit. La Belgique deviendra le mouton noir de l’Europe, un Etat garrotté par une extrême droite plus haineuse encore que le Front National de Marine Le Pen.

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