Pour la patronne d'Engie, "les entreprises vont devoir se mettre en position d'écoute de la société." © ENGIE/LA COMPAGNY/LAISNE THOMAS

« Le mouvement vers un monde zéro carbone est irréversible »

Isabelle Kocher
Isabelle Kocher Directrice générale du groupe Engie

Le 2 décembre, 75.000 Belges manifestaient pour le climat dans les rues de Bruxelles. « Il y a une aspiration profonde à changer de modèle », nous explique Isabelle Kocher, directrice générale du groupe Engie. Nous lui avons donné carte blanche pour faire le bilan de l’année qui s’achève.

Isabelle Kocher

Française née en 1966, Isabelle Kocher est directrice générale du groupe Engie, ex-GDF Suez, groupe mondial de l’énergie et des services. Elle est une des femmes d’affaires les plus puissantes au monde, et une des rares francophones à exercer un tel niveau de responsabilités. Fort de 150.000 salariés dans 70 pays, le groupe Engie a enregistré, en 2017, un chiffre d’affaires de 65 milliards d’euros.

De l’année 2018, je retiens d’abord ces images qui montrent les effets délétères du changement climatique et la difficulté, malgré les alertes, à changer de modèle. Les images de l’incendie dévastateur en Californie, qui a déjà fait des dizaines de victimes et un millier de disparus. Celles des fortes vagues de chaleur au Japon et en Europe cet été, des inondations record en Inde. Ces images aussi qui montrent un climato-scepticisme en vogue, alors que plusieurs gouvernements prennent ouvertement leurs distances avec l’Accord de Paris. Ou de la défiance des populations, inquiètes des effets de cette transition écologique sur leur pouvoir d’achat et leur niveau de vie.

L’année 2018 aura également été celle d’un cap pour la révolution énergétique. Pour peu que l’on prenne le temps de regarder, les signes encourageants ne manquent pas. Cette année, les capacités installées, solaires et éoliennes, dans le monde ont dépassé 1 TW – soit l’équivalent de 1.000 réacteurs nucléaires. L’Allemagne a inauguré le premier train à hydrogène. Les ventes de véhicules électriques en Europe ont connu une hausse de 42% au premier semestre par rapport à 2017. Les maires de 19 métropoles (Londres, Copenhague, Johannesburg, Montréal, Toronto, Vancouver, Paris, Los Angeles, New York, San Francisco, Tokyo…) se sont engagés à ce que l’ensemble des bâtiments n’émettent aucune émission d’ici 2050.

Il ne s’agit pas là seulement de chiffres, de grandes masses agrégées et abstraites. Il s’agit avant tout d’avancées concrètes sur le terrain. A titre personnel, j’ai pu voir lors de mes nombreux déplacements, en Europe et au-delà, des projets émerger, capables de transformer en profondeur l’environnement et les conditions de vie des populations. Rencontrer des hommes et des femmes totalement engagés pour que la transition écologique devienne réalité. A Lommel, nos équipes construisent le plus grand parc solaire du Benelux. A Zeebrugge, avec GreenPorts, nous étudions la conversion de l’électricité produite par les parcs éoliens en mer du Nord en hydrogène. A Namur nous travaillons sur un plan de mobilité ambitieux. Je l’ai vu aussi lorsque j’ai inauguré, cette année, des parcs solaires en Inde ou au Chili, le premier démonstrateur Power-to-Gas, qui produira de l’hydrogène renouvelable à Dunkerque, ou encore une unité de biométhanisation dans la région Centre-Val de Loire en France.

« En 2018, les capacités solaires et éoliennes installées dépassent l’équivalent de 1000 réacteurs nucléaires. »© Philippe Clément/Belgaimage

L’aspiration au changement de modèle

Au-delà d’un basculement industriel, il s’agit d’un changement de société. Les attentes des citoyens sont de plus en plus fortes. En Belgique, 75.000 Belges manifestaient pour le climat le 2 décembre dans les rues de Bruxelles. En France, plus de 20.000 étudiants ont signé le manifeste pour un réveil écologique, dans lequel ils s’engagent à ne pas travailler pour des entreprises insensibles aux sujets de l’environnement ou du climat. Des YouTubeurs ont lancé la campagne #OnEstPret, dans laquelle ils relèvent des défis pour diminuer la pollution et diffusent les bonnes pratiques auprès des citoyens. Les millenials se disent prêts à investir davantage dans les fonds socialement responsables, même s’ils sous-performent.

En réaction à un modèle de développement économique qui s’est jusqu’ici imposé aux dépens de la planète, il y a une aspiration profonde à changer de modèle et à tenir plus systématiquement compte des enjeux sociaux, sociétaux et environnementaux de l’activité économique, à privilégier des biens et services qui réconcilient bien commun et intérêt individuel.

J’ai l’habitude de dire qu’une entreprise qui ne sait pas s’adapter à cette évolution des mentalités est tout simplement condamnée.

Ces exigences vont au-delà de politiques de responsabilité sociale et environnementale (RSE), aussi ambitieuses soient-elles. Les citoyens attendent des entreprises qu’elles placent la RSE au coeur de leur business, non qu’elles en fassent un à-côté, un ornement destiné à détourner le regard.

Les grandes entreprises commencent à appliquer les exigences RSE à l’ensemble de leurs offres et opérations. Ikea a ainsi annoncé, en avril, l’objectif d’être un business entièrement circulaire d’ici 2030. Au-delà de cette date, l’entreprise ne devrait plus être approvisionnée qu’en énergies renouvelables et n’utiliser que des matériaux recyclés.

Je suis convaincue que le mouvement vers un monde zéro carbone est irréversible.

L’utilité sociale des entreprises

Dans le secteur de l’énergie, ce changement a déjà produit des effets puissants. Il est à l’origine des soutiens publics massifs aux énergies renouvelables et de la maturation rapide de ces énergies. Je suis convaincue que le mouvement vers un monde zéro carbone est irréversible. C’est pourquoi chez Engie nous avons voulu nous positionner à l’avant de la vague. Le plan de transformation que nous avons mis en oeuvre entre 2016 et 2018 nous a permis de nous concentrer sur les activités alignées avec ce nouveau monde. Nous avons choisi de nous désengager du charbon – depuis 2015, nous avons réduit de deux tiers nos capacités de production d’électricité à partir de charbon. Nous continuons de nous développer dans les énergies renouvelables: en Belgique, nous sommes déjà le premier producteur d’électricité renouvelable du pays. Nous aidons nos clients à optimiser leur consommation d’énergie et à améliorer leur confort. Comme à Liège, où nous déployons les solutions d’Engie Cofely dans 40 bâtiments scolaires pour en améliorer l’efficacité énergétique. Ou à Knokke, où nous utilisons 60 capteurs IoT (des capteurs connectés à l’Internet) pour avoir une vue globale en temps réel du trafic, optimiser le ramassage des déchets, contrôler le bruit, la qualité de l’air et le niveau des eaux.

Faire la démonstration de leur utilité sociale, être au diapason des nouvelles attentes des citoyens: voilà ce qui attend les entreprises à l’avenir.

Ces dernières devront plus encore s’ouvrir sur leur environnement, les besoins de leurs clients et savoir reconnaître les tendances de fond. Cette volonté est à l’origine de la grande consultation interne et externe, Imagine 2030, que nous avons réalisée chez Engie cette année. Nous avons demandé aux collaborateurs de capter les évolutions et attentes profondes de la société et de les restituer sur une grande plateforme digitale, sur laquelle ils pouvaient échanger. Les résultats doivent nous permettre d’identifier les grandes tendances économiques, sociales, démographiques… qui façonneront le monde en 2030 et définir la stratégie du groupe en conséquence.

2018 a été une année charnière de bascule dans ce nouveau monde. Un monde où les exigences économiques et sociales doivent se réconcilier, où l’utilité sociale fait jeu égal avec la rentabilité pour des entreprises qui vont devoir se mettre en position d’écoute de la société et contribuer ainsi à un progrès plus harmonieux.

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