Jonathan Holslag

« Le marché n’est pas libre »

Jonathan Holslag Jonathan Holslag est professeur en relations internationales à la VUB.

De plus en plus de secteurs sont dominés par un petit nombre de très grandes entreprises. Au lieu de les dorloter à coup d’astuces fiscales, Jonathan Holslag estime que l’état doit soutenir les entrepreneurs qui renforcent la société.

Je suis persuadé que les petites sociétés comme les nôtres doivent veiller à ne pas fragiliser encore davantage leur économie prise dans l’économie mondiale turbulente. Ces derniers mois, cette position m’a souvent valu le reproche de défendre le protectionnisme. Le marché libre servirait davantage notre prospérité. En théorie, c’est évidemment le cas, mais dans le contexte international actuel, ce parti pris idéaliste est dangereux.

La base du libéralisme économique est claire comme de l’eau de roche: la liberté encourage les gens à donner le meilleur d’eux-mêmes. La liberté est un droit et une responsabilité. En économie, cela signifie que les entreprises de différents pays se concurrencent, se spécialisent, produisent davantage avec moins de moyens de sorte la prospérité augmente dans le monde entier. Il n’y a rien à redire à cela et nous devons continuer à aspirer à l’idéal du libre-échange. Mais il est naïf de placer l’idéal avant la liberté.

Car le marché n’est pas libre. L’économie est même de plus en plus influencée par les états qui organisent leur marché de façon à ce que des trillions d’épargne de familles soient envoyés vers des entreprises non rentables, par des états qui veulent gagner en compétitive en gaspillant les matières premières auxquelles les prochaines générations ont droit. Les états tentent de manipuler la globalisation à coup de subsides, de matières premières bon marché et de toutes sortes d’astuces fiscales.

Un marché libre exige de la diversité et de la concurrence entre un grand nombre de joueurs. En réalité, on voit que les secteurs sont de plus en plus dominés par un petit nombre de très grandes entreprises. Si à l’époque il y a avait encore beaucoup d’épiciers, à présent ce sont uniquement les grandes chaînes qui déterminent les produits présentés dans les rayons : Walmart, Ikea… Par conséquent, ces rayons sont de plus en plus remplis par de très grands producteurs qui décident à leur tour du sort de l’agriculteur ou du fournisseur de matières premières. Ces agriculteurs aussi sont devenus des géants. Si évidemment on peut produire meilleur marché à cette échelle, cette stratégie présente d’importants inconvénients.

Guidance ne signifie pas nécessairement protectionnisme

Le manque de transparence constitue un premier désavantage. Le prix payé par le consommateur au magasin n’est finalement qu’une façon de déterminer la valeur d’un produit. L’impact du processus de production sur notre environnement joue un rôle au moins aussi important pour la détermination de la valeur du résultat final.

Pour chaque camion qui roule d’Anvers à Hasselt, la société paie facilement 150 euros de nuisances

Tout cela nous conduit à un autre inconvénient: lesdits coûts externes. Les entreprises peuvent offrir des prix bas en étant très efficaces, mais souvent aussi en laissent la société débourser une bonne partie des coûts. Si on reprend l’exemple du supermarché, il peut sembler un tour de force d’avoir des produits issus du monde entier à temps dans les rayons. Mais pour chaque camion qui roule d’Anvers à Hasselt, la société paie facilement 150 euros de nuisances. Et un porte-conteneurs triple E qui relie Shanghai à Anvers inflige un coût de 10 millions d’euros de pollution au monde.

Le libre marché n’existera probablement jamais, mais si on veut vraiment y aspirer, on ne peut partir de principe que c’est le secteur privé qui résoudra le problème, car les grandes entreprises n’y ont aucun intérêt. L’état devra réorganiser le marché de façon à permettre aux gens de faire des choix rationnels. Il devra internaliser les coûts externes de façon à ce qu’on réalise ce qu’un paquet de cornflakes coûte vraiment à la société. Dans l’enseignement, il devra miser sur la prise de conscience, l’économie et l’éthique. Pour avoir des consommateurs rationnels, il faut des citoyens conscients.

Un état qui n’essaie pas de sensibiliser ses citoyens menace la prospérité. Guidance ne signifie pas nécessairement protectionnisme. C’est une réponse à la politique de pouvoir économique nuisible, à la manipulation de la globalisation. C’est l’opportunité de rétablir notre marché et de soutenir les entrepreneurs qui renforcent la société. Il faut aspirer à une politique de pression éclairée pour retransformer le marché en chantier d’une société forte.

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