La prison de Bruges © BELGA

Le juge n’interdit pas toute détention d’un francophone en Flandre

Vendredi dernier, le juge des référés de Bruxelles a interdit à l’Etat belge, sous peine d’astreintes, de poursuivre l’incarcération à Bruges en régime d’isolement d’un francophone, Mohamed El Jabbari. L’administration pénitentiaire a analysé l’ordonnance, mais n’y voit « nulle part une quelconque interdiction (générale, NDLR) de détenir un francophone en Flandre », a réagi jeudi un porte-parole, Laurent Sempot.

Cette décision concerne un cas particulier et ne remet pas en question la manière dont les détenus sont répartis au sein des prisons du pays, estime l’administration.

Mohamed El Jabbari, connu pour s’être évadé de la prison de Lantin en mai 2011, purge actuellement plusieurs peines qui arriveront à expiration en 2030. Il doit encore comparaître en justice pour son évasion et pour des faits commis durant les trois années de sa fuite. Il séjourne dans le quartier de haute sécurité de la prison de Bruges depuis août 2016.

A plusieurs reprises, l’administration pénitentiaire a prolongé son régime d’isolement, compte tenu du risque qu’il s’évade ou se montre violent. Mais ce risque n’a pas été réévalué sur la base d’une analyse actualisée, alors qu’aucun incident ne lui est reproché depuis son arrivée à Bruges, selon l’ordonnance du juge des référés bruxellois, que Belga a pu consulter.

L’administration se base aussi sur la difficulté d’établir une relation constructive avec le détenu mais, vu sa situation d’isolement social, les seules relations qu’il pourrait établir sont celles avec les gardiens, qui parlent néerlandais tandis qu’il n’a aucune connaissance de cette langue, pointe aussi l’ordonnance.

En décembre 2016, un psychiatre a constaté une « nette évolution négative » de M. El Jabbari, essentiellement due à sa détention dans un milieu néerlandophone, loin de sa famille.

L’ordonnance ajoute que les actes préparatoires sur lesquels se fondent le maintien de son régime d’isolement ont été dressés en néerlandais, ce qui est contraire à la loi sur l’emploi des langues en matière administrative. La proposition de régime du directeur de la prison et les rapports psycho-médicaux n’ont jamais été traduits en français et M. El Jabbari a été convoqué à un entretien en néerlandais. Il n’a donc pas pu se défendre correctement, estime le juge des référés, qui avait déjà relevé ce problème dans une décision précédente.

En conséquence, le juge a interdit à l’Etat belge de poursuivre la détention de Mohamed El Jabbari en exécution de la dernière décision qui renouvelle les mesures de sécurité particulières à son égard. Depuis, le Liégeois a été transféré à Jamioulx (Hainaut).

L’Etat belge n’a pas encore décidé s’il interjetterait appel. Mais « on a fait une analyse totalement erronée de la portée de cette décision », a déclaré jeudi Laurent Sempot. « C’est un cas individuel, sans plus. »

« Une autre conclusion serait totalement aberrante », considère l’administration pénitentiaire. « Ainsi, en matière de détention préventive, c’est le juge d’instruction qui décide dans quelle prison la personne doit être incarcérée. Il peut décider d’emprisonner un francophone en Flandre par exemple parce que les faits y ont eu lieu », relève son porte-parole.

Marc Nève, l’avocat de Mohamed El Jabbari, maintient de son côté son interprétation selon laquelle l’ordonnance signifie que, de manière générale, la détention en Flandre d’un francophone pose problème « dans le cas d’un régime d’isolement ». Le juge « a totalement donné tort à l’Etat belge », insiste-t-il.

L’administration pénitentiaire pourrait certes adapter la langue de ses actes à celle dont le détenu fait usage parmi les trois langues nationales, quelle que soit la localisation de la prison. « Mais il ne faut pas rêver. Personne à Bruges n’a envie de travailler en français. » Selon Me Nève, « les gardiens de la prison de Bruges sont bien contents de l’ordonnance. Le personnel aimerait autant ne plus devoir s’occuper de francophones ».

Si l’ordonnance rendue la semaine dernière a fait parler, c’est surtout parce que plusieurs suspects de terrorisme francophones sont actuellement incarcérés à Bruges. Me Nève, en tout cas, assure qu’il n’hésitera pas à saisir la justice pour mettre fin à la détention en Flandre en régime d’isolement de clients francophones.

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