Nicolas De Decker

« Le gouvernement flamand, le devoir du faible et la faute du pauvre »

Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Al’échelle de l’histoire, le suffrage universel aura été la réponse victorieuse des démocrates à toutes les dictatures, et en particulier à celle du prolétariat. A ceux qui proclamaient que le gouvernement moderne n’était qu’un comité chargé d’administrer les affaires communes de la classe bourgeoise tout entière, le suffrage universel démontra implacablement que le gouvernement moderne s’intéressait d’autant plus aux classes populaires qu’il dépendait de leur consentement.

En ce sens la démocratie libérale servit davantage les intérêts prolétaires que la dictature du prolétariat, et l’élection, sur le terrain de la lutte des classes, apaisa au moins autant la faim des forçats que l’insurrection, parce que la liberté de voter accordée aux classes dominées obligea les classes dominantes. Mais aujourd’hui que les classes populaires se désintéressent du gouvernement moderne, le gouvernement moderne se charge pour elles de leurs affaires communes, et c’est à coup de suffrage universel qu’il leur administre ses raclées.

En Flandre, le gouvernement moderne qui vient de s’installer s’intéresse en effet beaucoup aux classes populaires. Ce nouveau gouvernement moderne est de droite. Il aime l’ordre et en donne beaucoup : les pauvres en Flandre auront donc davantage de devoirs, les chômeurs en Flandre auront davantage de contraintes, les nouveaux arrivants en Flandre auront davantage d’obligations. Maintenant, en Flandre, les plus pauvres seront obligés de travailler même quand ils ne trouvent pas de travail. Ils n’auront plus le choix, les pauvres. Ils n’avaient déjà pas le choix de ne pas payer leurs impôts, ils n’auront désormais pas le choix de refuser le travail obligatoire. Même lorsque ce n’est pas leur faute s’ils ne travaillent pas : demain, en Flandre, le pauvre, il aura juste le droit de faire ce qu’on lui dit de faire.

Sauf qu’il a aussi gagné un droit, le pauvre. Celui de ne plus devoir venir emmerder le gouvernement moderne qui se chargera d’administrer ses affaires communes. Il a gagné le droit de se taire : le vote ne sera plus obligatoire en Flandre aux élections communales et provinciales. L’abstention, toujours croissante dans les pays occidentaux, est systématiquement plus forte chez les moins diplômés et chez les plus pauvres. Elle le sera encore plus une fois acquise la liberté de ne pas aller voter. Les classes dominantes, accordant l’apparence d’une liberté aux classes dominées, en seront encore moins les obligées. Toujours moins dépendantes de leur consentement, elles en deviendront encore plus libres d’imposer toujours plus d’obligations aux classes dominées. C’est Henri Lacordaire, un catholique libéral, qui l’écrivait hier :  » Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime, et la loi qui affranchit « . En Flandre demain l’électeur pauvre n’ira plus voter, l’électeur riche se choisira le comité chargé d’administrer les affaires de la commune, le devoir du faible sera de faire ce qu’on lui dit de faire, et la faute du pauvre non plus seulement de ne pas s’être trouvé un travail, mais aussi de n’avoir pas daigné donner son avis alors qu’il en avait le droit. Qui s’étonnera que le faible et le pauvre prennent alors leur droit à l’insurrection comme un devoir ?

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