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Le dossier noir qui embarrasse le PS louviérois

Des fonds européens ont-ils servi à renforcer le pilier socialiste dans la région du Centre ? La question agite le landerneau politique à La Louvière. Surtout depuis que le dossier Proges, qui date des années 1990, a refait surface devant la justice. Le Vif/L’Express a enquêté sur cette affaire intrigante, dans laquelle la banque Delta Lloyd réclame 600 000 euros à la ville de La Louvière et à la Région wallonne.

Retrouvez dans notre édition papier davantage d’informations au sujet de l’affaire Proges :

– la réaction de l’actuel bourgmestre de La Louvière, Jacques Gobert.

– d’autres déclarations exclusives d’élus louviérois MR, Ecolo et CDH.

– des documents inédits, montrant la nature « éminemment politiques » de l’association Proges.

Les optimistes n’y verront qu’un énième exemple de gestion douteuse des subsides européens dans la province du Hainaut. Les plus cyniques décèleront, dans ce dossier trouble, de bien curieuses pratiques de la part d’anciens responsables socialistes de La Louvière. « Il s’agit de la faillite du système clientéliste PS, comme à Huy ou à Charleroi », tonne Giuseppe Maggiordomo, conseiller communal CDH. « Dans cette affaire, les intérêts de la Ville sont ceux des « camarades » », lance l’élue Ecolo Muriel Hanot.

Le ton est donné. Depuis plusieurs années, à la faveur de séances souvent houleuses, le dossier Proges revient régulièrement sur la table du conseil communal. Tel le monstre du Loch Ness. Un dossier qui est loin d’avoir livré ses derniers secrets.

La Justice pourrait être tentée d’y voir clair. Le 23 mars prochain, le tribunal de Mons décidera quelle suite donner à une plainte pénale déposée par un ancien administrateur de l’asbl Proges. De cette plainte dépend une action civile intentée par la banque Delta Lloyd qui, créancière de l’association, réclame 600 000 euros à la Ville de La Louvière, mais aussi à la Région wallonne. Si elle est ouverte, une instruction judiciaire pourrait s’avérer fort gênante pour les caciques socialistes de la cinquième ville de Wallonie.

De quoi s’agit-il ? Au début des années 1990, La Louvière a l’opportunité de décrocher la lune : les fonds Urban II, le programme européen de revitalisation des villes et des quartiers en crise. L’ancienne cité minière de Bois-du-Luc est la cible rêvée. Ce quartier déshérité, en proie à une forte insécurité, dont le taux de chômage est un des plus élevés du pays, a besoin d’un coup de pouce. D’autant qu’il constitue un terrain de chasse propice pour le Front National. En outre, avec sa fanfare, ses processions, son patro, son unique école libre, le coron reste traditionnellement lié au pilier catholique.

Les responsables socialistes ont-ils voulu faire d’une pierre deux coups ? Revitaliser un quartier abandonné, tout en y renforçant leur implantation ? Ont-ils profité de la manne européenne pour poursuivre un objectif politique ?

A La Louvière, dès 1994, les édiles mettent le grappin sur une ASBL d’économie sociale déjà en activité : la CAISC, dirigée par Jean-Marie Dillis, un proche du PS. Le deal proposé : vous recevez les subsides à condition de modifier le conseil d’administration. Lequel sera loin d’être pluraliste. La CAISC est vite rebaptisée Proges, pour Promotion et Gestion de l’Economie Sociale. Parmi ses administrateurs, on retrouve quantité d’éminences socialistes : Jean Degré, l’influent échevin des Finances de la Ville ; Pierre Olivier, chef de cabinet du bourgmestre Michel Debauque ; Daniel Nervenne, conseiller au département enseignement de la Ville (actuellement haut fonctionnaire détaché aux subsides européens) ; Bernard Braglia, secrétaire régional FGTB ; Liliane Del Cul, alors compagne de Degré et coordinatrice des Femmes prévoyantes socialistes (FPS) du Centre. Cette dernière sera remplacée plus tard par Brigitte Podevyn (FPS). Siège également au conseil Léon Bosman qui coordonne le programme Urban pour la Ville.

Le 24 novembre 1998, l’assemblée générale de l’asbl décide de modifier ses statuts, alors que le projet a démarré depuis huit mois. Le changement est officialisé dans Le Moniteur : « l’association favorisera notamment les initiatives d’économie sociale menées par les membres de l’action commune socialiste du Centre ». Deux membres de l’asbl, qui faisaient partie de la CAISC, claquent aussitôt la porte. Motif : ils ne peuvent « s’inscrire dans une démarche orientée politiquement ». Au même moment, Proges s’installe dans les locaux de la FGTB, à Jolimont. Le conseil d’administration justifie ce déménagement par la « volonté de montrer notre appartenance politique », comme l’atteste le procès verbal du 12 janvier 1999.

Tout au long de l’histoire de l’asbl, on retrouve ce souci de lier l’action de Proges, si pas directement au PS, en tout cas au pilier socialiste du Centre. Ce procès-verbal d’un conseil d’administration, daté du 18 octobre 2000, en atteste : « Il convient de souligner que c’est à la demande de la FGTB que certains anciens membres ont été exclus et que l’accent a été mis sur l’orientation socialiste de l’action Proges. » Pour Jonathan Christiaens, conseiller communal MR (dans la majorité à La Louvière), cela ne fait aucun doute : « On se trouve face à un cas de militantisme rémunéré par des fonds publics. »

Le programme européen comporte deux volets. L’un prévoit la rénovation d’une série d’infrastructures de Bois-du-Luc (pour un budget de 200 millions de francs belges) : voieries, égouttages, salle des fêtes, aire de sport, kiosque, voie de contournement… L’autre concerne le développement d’activités d’économie sociale (budget de 30 millions de francs belges). Moins coûteux, ce second volet n’en est pas moins le phare du programme, car il implique directement les habitants de Bois-du-Luc.

Mais très vite, les rouages de Proges se grippent. Dès le 31 mai 1999, le conseil d’administration constate la difficulté de faire fonctionner les cinq ASBL, pointant le manque de clarté par rapport à la mission des travailleurs. Des problèmes financiers apparaissent également. Proges est financé à 98 % par des subsides. Les fonds Urban ne sont versés qu’après l’envoi de pièces justificatives des dépenses. En octobre 1999, le président de Proges, Jean-Marie Dillis, et son administrateur délégué, Michel Laurent, obtiennent une importante augmentation de la ligne de crédit ouverte par l’association auprès de la banque Nagelmackers. Mais cela ne suffira pas.

La machine se déglingue. Jusqu’à ce jour fatidique du 21 septembre 2000 : les administrateurs s’aperçoivent que les problèmes de trésorerie ne permettent pas de verser les salaires. C’est le début de l’hallali. Laurent et Dillis démissionneront le 18 octobre. Les administrateurs suivront, l’un après l’autre, le même chemin. En juillet 2001, la Ville dénonce les conventions qui la lient à l’asbl. La liquidation judiciaire est prononcée en janvier 2002.

La pitoyable mésaventure de l’asbl aurait pu en rester là. Mais elle tournera au vinaigre pour la ville de La Louvière. En effet, la banque Nagelmackers – reprise par Delta Lloyd, en 2005 – veut récupérer ses gages. Soit plus de 600 000 euros. Elle s’adresse alors à la Ville qui captait les subsides européens, d’autant qu’elle a appris, par hasard, qu’une somme de 312 000 euros, provenant des fonds Urban, était bloquée sur un compte de la commune.

Pour régler le litige avec la banque, une tentative de transaction verra finalement le jour, début 2008, entre la Delta Lloyd, la Ville, la Région wallonne et les anciens administrateurs de Proges. Il est convenu que la Ville s’engage à verser à la banque les 312 000 euros, outre les intérêts, à condition que toute partie s’abstienne d’intenter une action contre une autre. En clair, les administrateurs ne se verront rien réclamer. Le couvercle pourrait ainsi se refermer sur la marmite. Mais l’un des administrateurs, Jean-François Rombaux, refuse de signer la transaction et fait capoter l’accord.

Aujourd’hui, la procédure civile intentée par la banque Delta Lloyd contre la ville de La Louvière et la Région wallonne est toujours pendante devant la onzième chambre du tribunal de première instance de Mons. De son côté, Jean-François Rombaux vient de pousser le bouchon un peu plus loin en portant plainte au pénal contre X pour mauvaise gestion de l’association ProGES. Reste à voir quelle sera l’attitude de la justice montoise vis-à-vis de cette plainte. L’heure du grand déballage a-t-elle sonné ? Réponse le 23 mars.

FRANÇOIS BRABANT et THIERRY DENOËL

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