© Image Globe

Le dernier cadeau de Labille aux Ardentes

Le paysage des festivals de musique wallons s’enrichit d’une nouvelle venue, la Fête des Solidarités, soutenue par les mutualités socialistes. L’opérateur choisi, Festiv@Liège, fait jaser. Le réseau PS a joué à plein. Enquête.

Jean-Pascal Labille (PS) rêvait d’une fête de l’Huma en Belgique francophone… Juste avant de se mettre en retrait du secrétariat général de Solidaris (Mutualités socialistes) pour devenir ministre fédéral des Entreprises publiques, il a jeté les bases de son projet. Le 16 janvier, au nom de l’ASBL Fête des Solidarités créée par Solidaris, le Liégeois a attribué un contrat de 951 447,20 euros (TVA comprise) à Festiv@Liège pour mettre en place la Fête des Solidarités, à Namur.

Festiv@Liège est l’ASBL organisatrice des Ardentes, le festival techno-rock de Liège qui, en six ans, a réalisé une percée fulgurante (67 000 spectateurs en 2012), en creusant le sillon d’artistes hyperconnus et de choix plus pointus, dans une ambiance urbaine et jeune qui a conquis le public principautaire.

Festiv@Liège est présidé par Gaëtan Servais, autre figure bien connue des allées du pouvoir et cofondateur des Ardentes avec Fabrice Lamproye (directeur artistique). Gaëtan Servais est aussi le directeur général de Meusinvest et possède une belle collection de mandats étiquetés PS. L’appel d’offre auquel a répondu Festiv@Liège mentionnait des « services d’organisation d’actions de terrain à la Citadelle de Namur », en l’occurrence la future Fête des Solidarités, qui s’y tiendra le week-end des 7 et 8 septembre prochains. Au programme : Marc Lavoine, Suarez, Eiffel, Ska-P, Caravan Palace… Une belle affiche, ambitieuse. Public attendu par les organisateurs : une vingtaine de milliers de personnes.

Le projet fait jaser en raison de l’importance de la somme dégagée et parce qu’il introduit un nouveau festival au sein d’un univers professionnel sous pression. Une lettre anonyme a circulé dans divers milieux. Elle émane d’une personne se disant PS et affiliée à la mutualité socialiste, mais choquée par l’utilisation de « l’argent des affiliés » par les « rouges liégeois ». Enquête.

Self-supporting dans trois ou quatre ans

Le projet d’abord. « La Fête des Solidarités s’inscrit parfaitement dans le projet Horizon développé par Solidaris, justifie Martin Wauthy, directeur marketing de l’Union nationale des mutualités socialistes-Solidaris et responsable journalier de l’ASBL Fête des Solidarités. » Avec ses 40 % d’affiliés wallons et 35 % de Belges francophones, Solidaris est un acteur social et politique important dans le domaine de la santé et du bien-être. La Fête des Solidarités sera à la fois un divertissement grand public, un festival musical démocratique (25 euros pour les deux jours), avec des stands d’associations et d’ONG humanitaires et un moment de débat sur l’avenir de notre société : l’égalité homme-femme, la solidarité intergénérationnelle, l’idée européenne, la finance mondiale, la laïcité, la consommation, etc.

« Nous sentons, entre autre grâce à nos enquêtes, que les gens sont en attente de changement mais ne savent pas nécessairement comment agir, relève Martin Wauthy. Nous voulons aussi faire avancer la réflexion en invitant des personnalités comme l’économiste français Daniel Cohen, l’homme de gauche français Pierre Larrouturou ou le libéral européen Guy Verhofstadt. Bien sûr, cela représente un budget important, mais il sera couvert comme tout événement de ce type par le sponsoring, des subsides, le ticketing, des recettes de catering et un investissement de la mutualité en tant que telle, au début du moins. Le festival doit devenir self-supporting au bout de trois ou quatre ans. »

Des dés pipés ?

Les dirigeants mutuellistes sont bien conscients qu’ils prennent un risque. C’est pourquoi ils ont fait appel à des professionnels de l’organisation de festivals et/ou d’évènements. Solidaris a souscrit volontairement aux règles européennes en matière de marchés publics.

Mais pour les spécialistes du secteur, les dés étaient pipés. Soutenu par des poids lourds du PS, Festiv@Liège partait gagnant. Trois autres sociétés avaient été invitées à prendre part à la compétition : Expansion Sales & Marketing, Yellow Events et Tour des Sites Organisation ASBL. Aucune n’a soumissionné. Seul Festiv@Liège a déposé une offre détaillée (27 pages), le 10 janvier 2013. Le 15 janvier, celle-ci a été modifiée sur un point à la demande de l’acheteur. Le 16 janvier, l’ASBL liégeoise obtenait « la cotation finale la plus élevée ». Jean-Pascal Labille pouvait l’annoncer derechef à Gaëtan Servais. En six jours top chrono. Tellement rapide que les statuts de l’ASBL Fête des Solidarités n’avaient pas eu le temps de sortir au Moniteur.

La somme évoquée dans l’appel d’offre – près d’un million d’euros – ne sera dépensée qu’au gré des services prestés pour faire décoller la fête. Si la mayonnaise ne prend pas, il n’y aura pas d’acharnement thérapeutique, fait-on comprendre du côté de Solidaris. Il s’agit d’appliquer le même business plan qu’aux Ardentes : investir massivement pour installer le concept, puis laisser la Fête se débrouiller seule.

L’arrivée de ce nouvel acteur a mis la planète des festivals en ébullition car Festiv@Liège est déjà ultra dominant. Outre les Ardentes, l’ASBL organise les Fêtes de Wallonie, le Ronquières Festival et maintenant la Fête des Solidarités. Elle va être renforcée par ce nouveau contrat portant sur un événement distinct des autres, certes, mais qui augmentera son volume d’affaires et sa puissance logistique. Suarez est « booké » à la Fête des Solidarités et aux Ardentes, Mikka aux Ardentes et à Ronquières, BB Brunes aux Ardentes et à Ronquières… Le soupçon de passe-droit passerait pour un mauvais procès, ourdi par des jaloux, si Gaëtan Servais, président de Festiv@Liège, ancien membre de cabinets socialistes (Elio Di Rupo, Jean-Claude Van Cauwenberghe, Marie Arena, Philippe Courard) et administrateur de divers organismes publics, n’avait déjà sollicité abondamment ses réseaux pour aider son festival fétiche : sponsoring du Forem sous Marie Arena ; important contrat de sponsoring de Trace, société privée d’intérim et de titres-services détenue à 80 % par la Région wallonne et dont la gestion a été très contestée en 2011 ; subside de la Ville de Liège ; engagement de personnel APE (Aide à la promotion de l’emploi) payé par la Région wallonne, etc.

Les dents grincent Le gâteau s’amenuisant, les opérateurs déjà installés ont tendance à sortir leurs griffes quand un nouvel événement se crée qui pourrait susciter des surenchères et désorganiser le marché. A ses débuts, en 2006, les Ardentes avaient soufflé Indochine aux Francofolies de Spa, distantes d’une cinquantaine de kilomètres à peine.

Les Francos (160 000 festivaliers en 2012) fêteront cette année leur vingtième anniversaire en moins bonne posture (Spadel et Randstad ont retiré leur sponsoring mais ING arrive), avec un public et une programmation à rajeunir d’urgence. Pour 2013, c’est M qui était pressenti comme tête d’affiche mais, très cher (150 000 euros), il a été raflé par les Ardentes, de même que BB Brunes. Le monde des festivals est petit et interconnecté. A l’automne 2012, bien avant que le contrat de la Fête des Solidarités soit attribué à Festiv@Liège, le programmateur de celui-ci, Fabrice Lamproye, faisait déjà des offres à M pour les Ardentes et la Fête des Solidarités. Finalement, M ne viendra pas à Namur.

Des dents grincent également du côté de la FGTB, mais pour d’autres raisons. A l’origine, la FGTB wallonne était coorganisatrice de l’événement solidaro- namurois. En août 2012, il était encore question de la ventilation des interventions financières des uns et des autres dans le dispositif financier des Solidarités. Thierry Bodson, secrétaire de l’Interrégionale de la FGTB wallonne, y a mis le holà. L’élément déclenchant aurait été la volonté de Jean-Pascal Labille d’associer le PS à la Fête de l’Huma wallonne. Par gros temps social, pas une bonne idée aux yeux du syndicaliste. « Quand on travaille avec Solidaris, il y a toujours l’Action commune qui vient derrière, commente un vieux briscard du monde syndical. Thierry Bodson n’a pas voulu de cette proximité avec le PS au moment où les travailleurs et les allocataires sociaux contestaient les mesures du gouvernement Di Rupo. » Les ambitions, côté FGTB, ont été revues à la baisse. Le syndicat sera malgré tout présent avec un stand dans le village des associations.

Solidaris défend son bébé Se sachant observée, Solidaris tient absolument à rester dans les clous. Sur le fond, elle défend son bébé. « Depuis des années, les trois grandes mutualités (socialistes, chrétiennes et libres) investissent dans des campagnes de communication et l’achat d’espaces publicitaires, rappelle le directeur marketing de Solidaris. Or le coût de la Fête des Solidarités restera très nettement en dessous de ces budgets pour un bénéfice sociétal sans commune mesure. Le slogan et l’objectif de la Fête est le suivant : pour une société plus juste, plus ouverte et plus solidaire. Je crois sincèrement que c’est surtout cela que les gens attendent. »

Solidaris se défend aussi d’avoir privilégié les Ardentes. « C’est absurde, depuis des années, avec nos actions de prévention, nous sommes partenaires dans les Apéros namurois, les Francofolies et les Ardentes, poursuit Martin Wauthy. Aujourd’hui, ne serait-ce qu’en Wallonie, quels sont les grands opérateurs capables d’aider à la mise sur pied d’un événement tel que la Fête des Solidarités ? Impact Diffusion, qui organise les Francofolies, et Festiv@Liège, organisateur des Ardentes et du Ronquières Festival… On favorise des Liégeois ? Le fait est qu’ils le sont, j’imagine aussi que les Spadois reprochent aux Liégeois de l’être. Dans le monde dans lequel on vit, ce type de repli identitaire et sous-régionaliste mène droit dans le mur, il faut dépasser ces visions courtes. Cela suscite de la jalousie, c’est attendu dans un milieu où la concurrence est rude, mais je tiens à faire remarquer qu’il n’y a pratiquement pas d’offres conjointes des Ardentes et de la Fête des Solidarités. Le jeu n’est pas fermé. »

Enfin, Martin Wauthy justifie le contrat passé avec l’organisateur des Ardentes. « Tout s’est déroulé strictement dans les règles et Festiv@Liège sera rétribué pour sa prestation », indique-t-il. Reste à faire passer la pilule d’un tel investissement, à l’heure où tous les frais des mutualités ont été gelés et même si, Le Vif/L’Express l’a appris à bonne source, P&V Assurances mettra aussi la main à la poche.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire