Hein Deprez © Belga

Le début de la fin pour Greenyard, l’empereur belge des fruits et légumes?

Muriel Lefevre

L’empire Greenyard, de Hein Deprez, chancelle alors que l’année dernière il était sur le point de devenir l’AB InBev du secteur des fruits et légumes en s’apprêtant à racheter la multinationale américaine Dole. La vente va cependant capoter. La suite va aller de mal en pis.

Il y a plus d’un an, Hein Deprez s’apprêtait à racheter Dole. Cela aurait été le plus gros rachat d’une entreprise étrangère par une entreprise belge et aurait fait de Greenyard l’AB InBev du secteur des fruits et légumes, dit De Standaard. Soit un géant du secteur regroupant 30.000 employés et un chiffre d’affaires de 8 milliards d’euros. Les grandes banques belges soutenaient l’opération et étaient prêtes à lever 1 milliard d’euros en financement malgré le fait que le groupe frôle depuis longtemps l’endettement.

Le projet mégalo de Deprez ne verra cependant jamais le jour. David Murdock, 94 ans et propriétaire de Dole, envoi Deprez sur les roses et lui préfère un concurrent. Un gros coup dur pour celui qui avait réussi à construire à partir de rien un empire actif dans 25 pays et comptant 9 000 employés. Et qui semblait comme obsédé par cette acquisition.

Greenyard

Le groupe belge est l’un des principaux fournisseurs de fruits et légumes au monde. Cette entreprise familiale fondée par Hein Deprez en 1987 est en effet devenue l’un des géants du secteur de la transformation et la distribution de fruits et légumes avec la reprise des sociétés Univeg (fruits et légumes frais, fleurs et plantes), Pinguin (surgelés), Noliko (conserves de fruits et légumes) et Peltracom (substrats pour l’horticulture) en 2015. Aujourd’hui, le groupe est présent dans pas moins 27 pays et emploie 10.000 personnes. La famille Deprez contrôle 49,3% des parts, selon le site internet de l’entreprise. Sa valeur boursière était estimée début 2018 à 871 millions d’euros.

Celui qui a commencé en 1983 comme simple cultivateur de champignon va rapidement grimper les échelons et devenir l’un des principaux capitaines de l’industrie flamande. On dit de lui qu’il a une vision stratégique forte, une intuition et des tripes. Il va aussi démontrer un redoutable talent pour se construire des réseaux. Des relations sur lesquelles il veille comme le lait sur le feu depuis son château de Belsele. Deprez travaille jour et nuit et ne s’entoure que de personne qu’il a choisie avec soin. Il n’aime pas être contredit. Il ne supporte pas les critiques qu’il a l’habitude d’ignorer superbement. Les seuls échos tolérés sont ceux que sa soeur lui transmet de temps à autre à travers un point presse.

Un an de contrecoups

Ce qui était jusqu’à présent pouvait passer pour une succès story a priori sans gros nuages va se fracasser sur la fameuse loi de Murphy, dit de Standaard. Depuis un an, tout ce qui a pu tourner au fiasco l’a fait sans faillir. Il y a d’abord eu la crise de la listériose dans les légumes surgelés. Cette bactérie va faire des victimes parmi les consommateurs et se révéler catastrophique pour l’entreprise. Rien que le rappel des produits va couter pas moins de 30 millions, mais surtout plomber durablement son image de marque. Viendra ensuite la sécheresse qui va toucher le secteur du frais, un domaine où prévaut une concurrence particulièrement sanglante. Cette même sécheresse va aussi entraîner une hausse des prix aussi dans le secteur des fruits et légumes en bocaux qu’il est difficile de répercuter dans les supermarchés.

Greenyard doit baisser ses prix sous la pression des supermarchés, en particulier en Allemagne et en Belgique. Du coup les marges bénéficiaires de la division fruits et légumes frais, mais aussi celles des conserves et légumes surgelés ont diminué à la fin de l’année dernière. « Les problèmes durent depuis plus d’un an et la situation ne s’améliore pas », dit Deprez. « Nous n’avons pas obtenu le rétablissement auquel nous nous attendions. Le début de 2019 n’a pas été facile non plus » précise encore Deprez dans De Tijd. La solution selon lui est de réduire les coûts, mais aussi de collaborer plus étroitement avec les supermarchés pour éviter que ceux-ci ne se fournissent directement chez les fermiers. Greenyard doit renoncer au chiffre d’affaires et aux bénéfices, mais à long terme, la stratégie sera payante selon le PDG. La vraie question demeure pourtant la suivante : est-il encore possible de gagner de l’argent en vendant des fruits et des légumes frais ?

Si les aléas du destin ne furent guères favorables à l’entreprise, Deprez en personne apportera sa contribution à la chute. Si c’est un habile homme d’affaires, il n’excelle pas dans la gestion au quotidien. C’est qu’il n’hésite pas à se sucrer au passage. En 2007, lorsqu’il a raflé géant de la pomme de terre Lutosa, il a pris soin de garder l’immobilier pour lui peut-on lire dans De Standaard. En 2009 déjà son partenaire financier de l’époque l’éjecte du poste de CEO.

Du coup, lorsqu’il a la mauvaise idée de revenir à la tête de son entreprise début 2018, cela va faire grincer de nombreuses dents chez les financiers. Au sein du conseil d’administration aussi on s’inquiète des agissements de Deprez. En septembre, il a même été contraint de brader son activité principale et historique, sa division horticulture qui regroupe le terreau et les fertilisants.

Autant d’éléments qui font que depuis quelques mois Greenyard est coeur d’une tourmente qui gagne en ampleur. Ce serait même devenu l’un des dossiers de crédit les plus importants des grandes banques belges dit encore De Standaard. En réalité, Deprez est le seul à connaître le montant de sa dette. Certains financiers l’estiment à environ 350 millions. Une estimation bien trop basse pour beaucoup qui l’estiment plutôt à 750 millions d’euros, soit trois fois la valeur boursière du groupe.

La vente de la division terreau n’aura pas épongé grand-chose et les banques commencent à paniquer. D’autant plus que ce que Greenyard a réellement besoin, ce n’est pas de financements, mais bien d’être bien plus efficace sur le plan opérationnel. Malgré son étendu réseau aux poches très profondes, il n’est pas dit que l’homme parvienne à sortir les 100 millions d’euros nécessaires pour sauver Greenyard. Pour calmer les esprits et convaincre les banquiers, Deprez vient donc aussi d’annoncer un changement de direction.

Si la bête semble avoir un genou à terre, elle n’est néanmoins pas encore morte pour autant. Deprez sait, comme personne, comment transformer une menace en opportunité. « Et si, à tout hasard, le cours de l’action baisse suffisamment, il peut devenir intéressant pour lui et ses amis de cracher de l’argent. Il a déjà gagné de nombreuses batailles. Rien ne dit qu’il ne va pas gagner celle-ci « , conclut De Standaard.

Greenyard a baissé ses prévisions pour l’année comptable en cours. L’entreprise envisage par ailleurs des changements: une « équipe de transformation » et une augmentation de capital qui n’est pas exclue. L’action a chuté de 27% lundi à l’ouverture de la Bourse de Bruxelles, à 5,6 euros. La société établie à Wavre-Sainte-Catherine (province d’Anvers) revoit en outre ses prévisions de rebitda (résultat d’exploitation récurrent avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement) à la baisse pour son exercice comptable décalé (qui prend fin en mars), entre 60 et 65 millions d’euros. Le pronostic initial était de 58-86 millions d’euros, compte tenu de la vente de la section horticole, conclue en fin d’année dernière, a ajouté un porte-parole de la firme. En novembre dernier, Greenyard avait déjà fait état d’une perte de 113 millions d’euros lors de son premier semestre comptable et un chiffre d’affaires en baisse de 3,6%, à 1,98 milliard d’euros.

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