Gilles Vanden Burre : " Notre objectif est juste d'éviter les conflits d'intérêts. " © JEAN MARC QUINET/reporters

« Le débat sur le conflit d’intérêts est impossible ! »

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

L’Ecolo Gilles Vanden Burre ne désespère pas de susciter une vraie discussion parlementaire sur sa proposition de loi concernant le passage dans le privé d’anciens cabinettards. Il va devoir s’accrocher…

Il y a deux ans, nous révélions le conflit d’intérêts touchant l’ancien chef de cabinet de Johan Van Overtveldt ( Le Vif/L’Express du 7 avril 2016) : Mathieu Isenbaert avait quitté le ministère des Finances pour aussitôt ouvrir un bureau d’avocats spécialisé dans la défense des multinationales contrariées par la décision de l’Union européenne de condamner les rulings très avantageux dont elles avaient bénéficié. Un dossier épineux géré par le cabinet Van Overtveldt.

Très vite, le député Ecolo Gilles Vanden Burre avait déposé une proposition de loi visant à instaurer une période tampon de dix-huit mois pour éviter, à l’avenir, ce genre de conflit d’intérêts. C’est peu dire qu’il n’a pas été suivi. Le groupe de travail parlementaire sur le renouveau politique n’a pas retenu sa proposition, l’an dernier. Celle-ci vient d’être rejetée, à nouveau, en commission de l’Intérieur. Mais Vanden Burre est obstiné. Il revient, ce jeudi 21 juin, avec son texte en séance plénière de la Chambre, dans l’espoir de forcer un débat dont visiblement la plupart des partis ne veulent pas.

Pourquoi avoir redéposé un texte qui a déjà été rejeté par la majorité, il y un an ?

Parce qu’il y a de nouveau de l’actualité en matière de conflit d’intérêts, notamment avec le chef de cabinet du ministre de la Défense, Steven Vandeput (N-VA), qui est devenu lobbyiste pour la firme aéronautique Lockheed Martin. Il fallait retaper sur le clou. D’où notre proposition d’instaurer, pour les ministres, les chefs de cabinet et leurs adjoints démissionnaires ou en fin de mandat, une période tampon de dix-huit mois les empêchant de rejoindre directement une entreprise active dans les matières qu’ils traitaient au cabinet.

Aucune loi ne réglemente cela actuellement ?

Aujourd’hui, en Belgique, rien n’empêche, par exemple, le ministre de l’Agriculture de devenir, du jour au lendemain, le patron de Veviba ; ou le chef de cabinet du ministre de l’Energie de devenir, sans délai, lobbyiste pour Engie ; ou encore le ministre des télécoms de démissionner un lundi pour être nommé, le mardi, CEO d’Orange, le principal concurrent de Proximus, dont le ministre a la tutelle.

Pourquoi votre proposition ne vise-t-elle pas tous les membres de cabinet ?

Les chefs de cabinet et leurs adjoints ont accès à des négociations et des documents très confidentiels, ce qui est moins le cas des autres membres. En outre, certains experts sont de passage dans les cabinets. Nous n’étions pas convaincus de viser ces profils-là. Et puis, nous voulions nous montrer mesurés et réalistes politiquement dans l’espoir de convaincre les autres partis.

Malgré cela, il y a une forte résistance. Votre texte vient d’être rejeté en bloc par la commission de l’Intérieur. Comment l’expliquez-vous ?

Je suis très surpris. Bien sûr, je ne m’attendais pas à ce qu’on vote la proposition telle quelle, mais j’espérais qu’il y ait au moins une vraie discussion sur le sujet. Notre proposition est d’ailleurs ouverte et négociable sur le fond. Or, aujourd’hui, il n’y a pas de place pour un débat parlementaire sur les conflits d’intérêts. J’ai suggéré de procéder à des auditions. La majorité a refusé et a voté unanimement contre mon texte dès l’article 1er, qui est l’article de conformité à la Constitution commun à toutes les propositions de loi. On n’est donc pas allé plus loin. Le message était clair :  » On dégage et on passe à autre chose.  »

D’où votre demande de mettre le texte à l’ordre du jour de la séance plénière de la Chambre, ce 21 juin. Pour provoquer le débat coûte que coûte ?

Oui. La proposition ayant été rejetée en commission, je n’aurai que deux minutes pour convaincre. Je me concentrerai sur les exemples étrangers : la France qui, après l’affaire Cahuzac, a créé, en 2014, la Haute autorité pour la transparence de la vie publique qui, avec ses 40 employés temps-plein, a un pouvoir décisionnel en matière de conflit d’intérêts. D’autres pays voisins ont instauré une période de cooling-off, à l’instar de ce que nous proposons : les Pays-Bas, l’Italie et l’Espagne pour l’exécutif, l’Allemagne, l’Irlande, le Portugal pour l’exécutif et le législatif. Tout cela démontre que notre texte s’inscrit dans une réalité internationale.

La N-VA se sent directement visée par la proposition de loi

N’êtes-vous pas soutenu par le PS ou le CDH dans l’opposition ?

Aucun député de ces partis n’a pris la parole en commission. Seul le SP.A nous a soutenus. Le MR m’a fait comprendre en coulisse que le risque de ce genre de texte est qu’on ne trouve plus de profils compétents pour les cabinets. Or, nous ne voulons absolument pas empêcher les reconversions dans la société civile, et certainement pas chez Ecolo. Notre objectif est juste d’éviter les conflits d’intérêts. C’est surtout la N-VA qui est contre la proposition. Une de ses critiques est la durée de la période tampon (18 mois), qui est pourtant calquée sur celle des commissaires européens qui bénéficient certes d’une indemnité pour cela. Mais, encore une fois, notre texte est discutable. Par ailleurs, nous n’avons même pas prévu de sanction, juste une interdiction contrôlée par la commission fédérale de déontologie et avec une possibilité d’appel.

La N-VA se sent directement visée par votre proposition qui, dans ses développements, fait référence à l’affaire du chef de cabinet de Van Overtveldt…

Ce n’est pas le seul exemple donné. Je ne veux viser personne en particulier. Mon souci est de préserver les intérêts de l’Etat. Point. L’état des lieux sur la confiance des citoyens dans le monde politique est désastreux. Il est urgent d’inverser la vapeur. Je pense qu’adopter des règles raisonnables et proportionnées s’inspirant d’expériences voisines serait une bonne chose. Il n’y a pas d’enjeu idéologique, ici. Quel parti est contre la bonne gouvernance ou le goed bestuur ?

Lors de la brève discussion en commission, le député N-VA Brecht Vermeulen, qui a présidé le groupe Renouveau politique, a suggéré une clause de confidentialité, avec sanction à la clé, plutôt qu’une période tampon. Une bonne solution ?

Cela signifie que ces clauses de confidentialité feraient l’objet d’une négociation individuelle au cas par cas. Ce serait comme dans le privé, lors de la signature d’un contrat d’engagement. Le risque est que chacun négocie une particularité, une clause spéciale. C’est beaucoup moins transparent et cela ne responsabilise pas de manière collective. Dans notre proposition, tout le monde serait logé à la même enseigne.

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