Bart Brinckman © Thomas Sweertvaegher

Le conflit entre la N-VA et De Standaard: le journaliste s’explique

Walter Pauli
Walter Pauli Walter Pauli est journaliste au Knack.

Bart De Wever a souvent critiqué le quotidien flamand De Standaard mais jamais ses critiques n’ont été aussi virulentes que lors de sa dernière attaque. Pour la première fois, le journaliste visé, Bart Brinckman, revient dans une interview du Knack sur le conflit qui oppose le plus grand parti du pays et son journal le plus important.

Parfois une petite fuite de gaz suffit à déclencher un violent incendie. En cause, un article intitulé « Pourquoi Geens et De Wever ont tous les deux raison ». Celui-ci n’était même pas particulièrement acerbe et avait pour sujet un conflit entre le bourgmestre d’Anvers Bart De Wever et le ministre de la Justice Koen Geens (CD&V). La réaction sur le site de la N-VA ne se fera pourtant pas attendre. Furieux, Bart De Wever s’en prend autant au journal qu’au journaliste Bart Brinckman : « Celui qui lit l’ancien journal de qualité De Standaard – ce que je ne peux malheureusement plus conseiller à quiconque – aura constaté que le sieur Bart Brinckman qui travaille pour ce même journal a carte blanche pour mener une vendetta personnelle contre moi. »

Karel Verhoeven, le rédacteur en chef du Standaard, se voit obligé de répondre sous le titre : « Non, monsieur De Wever, nous n’allons pas prendre ce chemin » :  » Que De Wever flingue à présent un journaliste, dont il a demandé à plusieurs reprises par mail qu’il soit écarté, est symptomatique. Parler d’intimidation est en dessous de la vérité. Il s’agit véritablement de harcèlement ».

Pourtant, le dernier conflit avec Bart De Wever est du jamais vu en Flandre où on a l’habitude d’au moins tenter de résoudre les querelles en tête-à-tête.

Bart Brinckman: (soupir) Nous avons déjà reçu des e-mails de Bart De Wever. Autrefois, c’est moi qui les recevais, mais maintenant il les envoie directement au rédacteur en chef opinion Bart Sturtewagen.

Le président de la N-VA en a immédiatement fait une « affaire de chefs ».

C’est assez fréquent de la part des membres de la N-VA. Au besoin, ils envoient leurs plaintes à l’éditeur Thomas Leysen. Plus ils vont haut, mieux c’est.

La dernière fois que De Wever a envoyé un e-mail incendiaire, c’était après la publication d’un portrait de Tom Meeuws, le nouveau président du sp.a anversois. J’avais remarqué que Meeuw et lui avaient certaines choses inattendues en commun, par exemple que leurs fils jouaient ensemble à la trompette à l’école de musique. De Wever m’a reproché de mettre la sécurité de sa famille en péril. Cette remarque était peut-être mal venue de ma part, mais elle était censée être ludique. Et quand on voit ce que d’autres journaux écrivent sur la famille De Wever, je trouvais sa fureur incompréhensible. Les réactions de De Wever ne nous surprennent plus. Mais cette fois, c’est devenu très personnel alors qu’au fond je lui ai donné raison dans son conflit avec Koen Geens (sur qui était responsable de l’évasion de détenus lors d’une audience de la chambre des mises en accusation d’Anvers).

Avez-vous toujours eu ces problèmes avec Bart De Wever?

Pas du tout. Quand il débutait en politique, je l’ai même aidé à ces moments les plus difficiles. Quand en 2007 le bourgmestre d’Anvers Patrick Janssens (sp.a) a présenté ses excuses pour le rôle de la police lors des razzias de juifs durant la Seconde Guerre mondiale, De Wever l’a critiqué. Il aurait mieux fait de s’abstenir : tout le monde s’est rangé derrière Janssens, la communauté juive en tête. A cette époque j’ai écrit un article pour expliquer la différence entre la réalité historique et politique. Les remarques de De Wever étaient simplement celle d’un historien qui avait compris trop tard qu’il s’agissait d’un débat politique. Il m’avait alors fait savoir qu’il appréciait mon article en ajoutant qu’il n’était peut-être pas prédestiné à la politique, parce qu’au fond il était historien.

Aujourd’hui, je pense qu’il a mis son métier d’historien de côté. Ou mieux : qu’il a mis ses connaissances historiques au service de son projet politique. Quand on l’entend, l’histoire de Flandre est programmée à aboutir à l’indépendance flamande.

Nos relations se sont compliquées dès 2010. Cette année-là, il avait permis à la N-VA de remporter une victoire écrasante aux élections fédérales. Vous connaissez la suite : la N-VA a essayé de former un gouvernement avec le PS et ils ont échoué. À cette période, De Standaard a choisi le camp des partis qui souhaitaient faire réussir une nouvelle formation du gouvernement. À la rédaction, on avait le sentiment que ça suffisait. Nous trouvions aussi que De Wever avait manqué une opportunité historique. C’est toujours notre conviction. Du coup, nos colonnes contenaient plus de critiques envers la N-VA qu’à leur habitude. Quelle que soit la coalition qui dirige le pays, les médias sont toujours un peu plus souples pour les partis de l’opposition que pour ceux du gouvernement.

Les médias n’écoutent-ils pas trop souvent les explications de gauche? Une étude récente allemande nous apprend que la plupart des journalistes étaient d’abord très bienveillants envers le discours du ‘Wir schaffen das’ d’Angela Merkel.

Je m’entends bien avec le Secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration. La semaine de sa prestation de serment, Theo Francken (N-VA) a été mis en cause suite à un ancien commentaire Facebook qu’il avait posté sous un article sur la migration publié par The Economist. Certains l’ont traité de raciste. J’ai alors écrit un article pour réfuter cette accusation. Je peux vous assurer que tout le monde n’a pas trouvé ça fantastique. Francken l’a apprécié à sa juste valeur.

Vous connaissez les sensibilités à droite, car vous venez d’une famille nationaliste flamande.

Le 11 juillet, nous avions toujours le plus grand Lion flamand du quartier : il flottait à la fenêtre de ma chambre, qui était du côté de la rue. Mes parents étaient partisans de (Volksunie) et ensuite de Bart De Wever – bien que la semaine dernière, ce n’était plus aussi facile pour ma mère qui a presque 85 ans. Elle vient d’une famille profondément catholique de Bruges. Mon grand-père était un VNV qui a choisi le CVP après la guerre : chez lui, le catholicisme pesait un petit peu plus que le nationalisme flamand. Ma mère a été envoyée à Hemelsdaele, l’école catholique de filles de référence à Bruges. Comme la noblesse et la bourgeoisie y envoyaient également ses enfants, on y parlait beaucoup français. Cela a marqué ma mère à vie.

Ma mère possède encore un service « acheté à oncle Albert ». Comme ce dernier avait écopé d’une interdiction professionnelle pour avoir collaboré, après la Seconde Guerre mondiale il a dû gagner son pain comme voyageur de commerce, jusque dans les années soixante. Ce grand-oncle, Albert De Jonghe, était pourtant l’un des historiens les plus importants de la Seconde Guerre mondiale. Il a même écrit un livre pionnier sur le sujet : Hitler en het politieke lot van België (Hitler et le sort politique de la Belgique). Il connaissait Bruno De Wever, le frère de Bart qui était une étoile montante parmi les historiens. Et c’est ainsi que moi aussi j’ai commencé. J’étudiais l’histoire à Gand et j’ai pu écrire mon mémoire avec Herman Balthazar. Celui-ci sélectionnait les meilleurs étudiants, et ensuite son assistant Bruno De Wever nous accompagnait. Je me suis également spécialisé dans la collaboration, en étudiant l’Office National du Travail.

Ensuite, j’ai étudié les sciences de communication et j’ai écrit un autre mémoire, sur insistance de Bruno De Wever, sur la manière dont le discours négationniste a infiltré les médias de qualité à la fin des années septante. Non seulement, j’ai appris beaucoup de choses sur la pensée négationniste, mais aussi sur la paresse intellectuelle de rédactions qui pensaient survoler le sujet. Quod non.

Un journaliste qui a une opinion: c’est de plus en plus difficile. Dans le fond on vous dit : « Brinckman ne peut pas exprimer son opinion dans le journal, il n’a qu’à le faire dans les pages d’opinion – comme tout le monde. »

Les gens qui ne travaillent pas pour un média imprimé ne comprennent pas assez les ravages causés par l’internet et le smartphone. Si les journaux veulent survivre, ils doivent s’adapter. Ils ne peuvent pas le faire en remplissant les colonnes de dépêches de l’agence de presse Belga. Celles-ci se retrouvent sur nos sites web, où elles sont lues gratuitement par tous ceux qui vérifient les nouvelles sur leur smartphone. Un article moderne doit avoir de la « plus-value ». Et donc il faut, comme journaliste, analyser les nouvelles, expliquer et apporter le contexte que le lecteur ne connaît pas encore. Évidemment, les limites entre l’information et l’opinion s’atténuent. Et bien entendu, les lecteurs se plaindront que ces articles comportent une part d’opinion. D’autant plus si un article raconte une vérité qui ne leur plaît pas.

Pourtant, il bon de ne pas hurler avec les loups. Il y a deux semaines, j’ai écrit un article au sujet de Geert Versnick (on avait parlé du politique de l’Open VLD dans la presse après que Groen ait été voir la presse avec des notes de frais non réglementaires). Je n’approuve pas ce qu’il a fait, mais je trouvais les critiques de la « presse » contre la culture du grappillage exagérées car nous sommes peu à peu embarqués dans une chasse aux sorcières. Il y a eu beaucoup de réactions positives, y compris politiques. Sauf du parti qui a dénoncé le scandale.

Quand avez-vous commencé à porter une carapace contre la pression politique ?

La première fois que cela a été vraiment difficile, c’était avec Yves Leterme (CD&V). Fin 2004, son premier grand voyage à l’étranger en tant que ministre-président flamand l’a amené en Chine et à Singapour. J’y étais pour De Standaard. Presque tout ce qui pouvait mal tourner, a tourné mal. C’en était presque attendrissant. Ce n’étaient que des bagatelles, mais mises bout à bout cela donnait un bel article.

Leterme n’a pas apprécié. Il y a eu d’autres articles critiques au sujet de ce voyage, et il a hurlé contre tous les journalistes. Mais il n’a convoqué que mon rédacteur en chef Peter Vandermeersch et moi pour un piquant « entretien de réconciliation » . Après, j’ai dit à Vandermeersch que je voulais bien faire un pas de côté comme chef Politique. Il ne trouvait pas ça nécessaire. Tout comme Guy Verhofstadt (Open VLD), Yves Leterme entretenait des relations difficiles avec tous les médias. Mais Bart De Wever, c’est Verhofstadt et Leterme en pire.

Parfois, cette pression est lourde à supporter. Le film Road to Perdition commence par le plan magistral d’un garçon qui roule à vélo contre le flux d’ouvriers sur le départ. Je me sens parfois proche de ce garçon. Mais alors je me reprends et je pense : les temps sont critiques pour la presse et pour cette raison, nous devons faire de notre mieux. Je n’aime pas les journalistes qui râlent : je n’ai jamais parlé de lui de cette façon en public. De Wever est comme ça – quand il est au bureau du parti ou quand il parle des membres de son parti, il peut aussi être très cassant.

Évidemment, De Wever porte à la fois la responsabilité d’une ville et du poids de son parti. Parfois, cela mène à des explosions à la ‘Zet die ploat af!’.

À mes yeux, le mayorat de la ville d’Anvers est un job à temps plein. De Wever doit aussi être président d’un parti qui non seulement cogouverne dans des circonstances difficiles, mais qui s’est développée rapidement des gens bien et moins bien. Par ailleurs, il a quatre enfants et il court des marathons. Des marathons ! Moi aussi je cours un peu : un jour, j’ai demandé le schéma de training pour un marathon. Eh bien, je ne peux pas combiner à cela à mon métier de journaliste. Je n’aurais plus de vie.

J’ai entendu récemment de membres de la N-VA, et non des moindres, qu’il devient peu à peu impossible de cohabiter avec De Wever. Et que le conflit avec De Standaard découle de son agenda de folie. Il est complètement surbooké.

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