Dave Sinardet

Le compromis à la belge. Brrrrr !

VENDREDI DERNIER, LES DÉS ÉTAIENT JETÉS. Après quatre années de crises et de « crisettes », après près de 500 jours de négociations, un accord sur la sixième réforme de l’Etat a vu le jour ! Au moment même où le pays s’était résigné à l’idée de ne peut-être plus jamais connaître un gouvernement de plein exercice. Or les accords communautaires sont tombés les uns après les autres. Irréel, tout ça.

Mais des discussions sans fin se profilent déjà sur le contenu de tous ces accords. Ainsi pour le dernier en date, celui des élections simultanées. Un compromis réfléchi, certes, mais surtout alambiqué, dont seuls les politologues et de fervents amateurs tirent quelque plaisir. Une tentative pour marier l’eau et le feu, prête à répandre le brouillard. Bref, l’essence même du compromis – horresco referens – à la belge. Brrrrr !

En fait, le compromis sur les élections simultanées est plutôt flamand que belge. Ou, plus exactement, il implique surtout deux partis flamands : le SP.A, qui a remué ciel et terre pour forcer un compromis, et le CD&V qui s’est démené pour qu’il n’en soit rien. Tous les autres partis y étaient favorables, mais sans se donner à fond. Seul Ecolo a fortement insisté, mais moins que le SP.A.
Le fait qu’il s’agisse essentiellement d’une bataille entre Flamands est démontré par un projet de compromis antérieur de Di Rupo. Les Flamands auraient été autorisés à résoudre la question entre eux. Ce projet prévoyait de décider dès maintenant que les élections européennes et fédérales auraient toujours lieu simultanément, même après 2014, mais que les Régions seraient compétentes pour organiser leurs élections à une autre date. La Flandre serait ainsi maîtresse chez elle, avec, en prime, une autonomie plus large, non réclamée.

Mais le CD&V ne l’a pas entendu de cette oreille. Le parti social-chrétien sait très bien qu’aujourd’hui son opposition aux élections simultanées ne recueille pas une majorité des deux tiers au parlement flamand. Subitement, cette nouvelle autonomie flamande n’avait plus d’attrait. Le CD&V étant aussi conscient qu’une majorité spéciale n’existe pas non plus pour consacrer la simultanéité définitive des élections fédérales et européennes, les négociateurs ont également décidé de soumettre le moment de ces scrutins à un vote, à tenir après 2014. Et de ne donner la liberté de choisir qu’après ce vote aux Régions elles aussi.

Ainsi le SP.A et le CD&V se tiennent-ils mutuellement sous leur férule, par un compromis à la belge, dont personne ne comprend le sens mais qui leur permet de crier victoire tous les deux. Conclusion : les compromis à la belge constituent le ciment idéal entre les Flamands.

Ironie du sort : la scission de BHV – un compromis de fait, celui-ci, entre Flamands et francophones, surtout entre le CD&V et le MR – est finalement beaucoup plus pur et, donc, moins belge que le compromis « flamand » portant sur les élections simultanées. Ce dernier fait penser à un autre accord politique que le CD&V et le SP.A, au pouvoir en Flandre avec la N-VA, ont signé : la liaison Oosterweel, à Anvers. Tellement entortillé qu’après un an (presque) rien n’en a été réalisé et que le risque augmente chaque jour qu’il restera lettre morte.

Nous devons toutefois pousser un soupir de soulagement en nous réjouissant que des compromis sont encore possibles dans un pays aussi compliqué que le nôtre, où il faut réconcilier des opinions et des intérêts particulièrement antagonistes. Même si le prix à payer pour la stabilité politique en Flandre repose souvent sur des compromis impénétrables, affreux, bref belges.
Dave Sinardet – Politologue à la VUB et à l’université d’Anvers

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