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Portrait du futur ministre-président flamand: « Jan Jambon est devenu pragmatique »

Han Renard

Le 26 mai dernier, Jan Jambon (N-VA) se présentait auprès des électeurs en tant que candidat au poste de Premier ministre – ce qui est remarquable pour quelqu’un qui, pendant des années au sein du Mouvement flamand, a été considéré comme un partisan de la ligne dure. Aujourd’hui, il va devenir ministre-président flamand. (Re)lisez le portrait de Jambon, publié avant les élections, quand il était encore candidat au poste de Premier ministre.

Ce portrait a été initialement publié le 9 mai 2019, alors que Jambon était encore candidat au poste de Premier ministre.

Il y a beaucoup de choses à dire sur un Jan Jambon candidat au poste de Premier ministre. « Comment un extrémiste communautaire travaillant pour une Flandre indépendante peut-il sérieusement vouloir devenir Premier ministre de Belgique ? » a demandé quelqu’un lors d’un débat préélectoral organisé par Knack. Et il n’est pas le seul à se poser la question. Chez les nationalistes flamands aussi on se demande si on est vraiment prêts à fournir un Premier ministre belge. Il y a cinq ans, pendant les négociations gouvernementales, la N-VA met ses positions communautaires au frigo en échange d’un « gouvernement de redressement socio-économique ». Faut-il recommencer pour obtenir un poste de Premier ministre ? Soit accepter une décennie de silence communautaire ? La Volksunie a été, à l’époque, massacrée pour bien moins que ça par sa base arrière.

Pourtant, après une enquête parmi ceux qui ont connu Jan Jambon au sein du Mouvement flamand, il ne fait aucun doute que les convictions et la fermeté idéologique de l’homme n’ont pas bougé d’un iota. « Ce qu’il fait maintenant n’est pas le choix de son coeur, c’est une décision purement stratégique », explique Pieter Bauwens, rédacteur en chef du site web flamingant Doorbraak, et qui a connu Jambon au Vlaamse Volksbeweging. Le candidat Premier ministre, alors qu’il n’était qu’un jeune homme d’une trentaine d’années, est celui qui va résolument engager le Vlaamse Volksbeweging sur la voie de l’indépendance flamande. Depuis, il peut compter sur le soutien des militants nationalistes flamands, pourtant généralement critiques. Rencontre avec ceux qui ont connu Jan Jambon à l’époque où il était encore un ultra nationaliste flamand.

Portrait du futur ministre-président flamand:
© Debby Termonia

Plus c’est radical, mieux c’est

Jan Jambon, né en 1960 et élevé dans la banlieue de Genk, s’est lancé dans la politique au début des années 1980 en rejoignant la jeunesse de la Volksunie (VUJO). L’actuel politicien de l’Open VLD, Luk Van Biesen, était lui aussi membre du VUJO. « On se rendait souvent visite », dit Van Biesen. « Jan a été biberonné au nationalisme flamand. Au temps de notre jeunesse, nous nous rendions en vélo au pèlerinage de l’Yser, depuis le Limbourg jusqu’à Diksmude « , dit Van Biesen.

Tous deux ont fait leurs études à la VUB à Bruxelles. Jambon va y suivre l’option informatique et sera élu président du Cercle scientifique grâce à son sens de l’organisation. « La situation linguistique tendue à Bruxelles, le refus obstiné de nombreux francophones de reconnaître le bilinguisme de la capitale a renforcé notre conviction flamande « , selon Van Biesen.

« À l’époque, l’option la plus radicale n’était pas encore assez radicale pour nous. Jan était très noir/blanc. Il ne pensait rien de bon sur la Belgique. Je ne pense pas qu’il ait beaucoup changé d’avis sur ce sujet. Dans ses conversations personnelles, ses réflexions sont toujours aussi acerbes qu’à l’époque. »

Luc Luwel, directeur général de la Chambre de Commerce d’Anvers, connaît également Jambon depuis ses études à la VUB. « Jan appartenait au flanc droit de la Volksunie, moi à la gauche libérale. Jan était, à l’époque, très intransigeant. J’ai souri quand il est devenu vice-Premier ministre du gouvernement Michel. Il a fait ce qu’Hugo Schiltz avait fait avant lui en 1988, mais aux yeux du jeune Jambon, cela aurait été une aberration. Je vois donc une évolution, par exemple à travers une certaine ouverture d’esprit à l’égard de la diversité, dans le sens libéral du terme. Jan est devenu pragmatique. »

Dans ses jeunes années, Jambon était donc un rebelle inflexible et radical. Dans les années 1970 et 1980, le conflit linguistique fait rage dans les Fourons. Il y a des affrontements et de véritables batailles ont eu lieu entre manifestants flamands et militants wallons. Johan Sauwens, ancien politicien de la VU (aujourd’hui CD&V), qui allait régulièrement manifester, se souvient que l’on y voyait régulièrement « l’imposante présence physique » du jeune Jambon.

Portrait du futur ministre-président flamand:
© Debby Termonia

Après ses études à la VUB, Jambon s’installe à Anvers. Il rejoint le Conseil d’administration national du VUJO en tant que président de la section de la province d’Anvers. Il se lance alors dans les affaires avec succès puisqu’il devient directeur général de la Bank Card Company. Durant ce temps, il voit, avec tristesse, son parti, sous le président Jaak Gabriels, virer vers la gauche. Avec Peter De Roover, son frère d’armes en politique et ami et avec qui il est aujourd’hui au sommet de la N-VA, il se fait un nom comme dissident bien à droite et contre le discours officiel du parti. Ils quittent le parti après que Jaak Gabriels et Hugo Schiltz, figure de proue anversoise, aient offert à Herman Lauwers, l’ancien commissaire de l’Association des Scouts catholiques flamands et étranger à leur mouvement, une place sur la liste de la Chambre VU à Anvers. « Jan avait, à juste titre, l’ambition d’aller lui-même au Parlement », explique M. Lauwers.

Au VUJO, Jan Jambon ne rencontre pas seulement Peter De Roover, mais aussi sa future ex-femme, Mieke Huybrechts, alors présidente du VUJO d’Anvers et une bonne amie de De Roover. Mieke Huybrechts est aussi la soeur de Pieter Huybrechts, un Vlaamse Militanten Orde (Ordre des Militants flamands) radical qui avait perdu un oeil lors d’une manifestation violente en 1975 et qui était alors marié à la fille de Karel Dillen, qui est lui le fondateur du Vlaams Blok. Pour rappel, ce parti a fait une percée locale en 1988 avec une combinaison de nationalisme flamand radical et de xénophobie.

Après son mariage, Jambon déménage à Brasschaat. « Jan n’avait certainement rien contre le Vlaams Blok à l’époque », nous dit Luc Sevenhans, ex-Volksunie, depuis son lieu de vacances en Espagne et qui fut derrière une coalition avec le Vlaams Blok à Braaschaat. « N’oubliez pas qu’à cette époque, il n’y avait pas de cordon sanitaire. Pour nous, le Vlaams Blok était un parti pour les gens qui pensaient que la Volksunie avait trahi ses principes. Gerolf Annemans (député Vlaams Blok) et Filip Dewinter vivaient à Brasschaat à l’époque, et nous nous rencontrions régulièrement. Mais Jan n’a jamais été actif dans le Vlaams Blok. Après avoir été désabusé par la Volksunie, il ne voulait plus rien avoir à faire avec la politique partisane. »

Filip Dewinter, figure de proue du Belang anversois, nous raconte qu’à cette époque, il était « un bon ami » de Jambon:  » Nous nous sommes vus dans des organisations nationalistes flamandes, nous avons visité les mêmes cafés. Jan était l’un des nôtres ». Aujourd’hui, il dit ne plus reconnaître Jambon. Je le connaissais comme un nationaliste flamand par principe et pas comme le politicien belge qu’il est aujourd’hui. »

Une rumeur circule selon laquelle Jambon était également actif à Brasschaat dans les coulisses du Vlaams Blok. La page Wikipédia du candidat Premier ministre mentionne même qu’il a aidé à mettre sur pied le département du parti à Brasschaat, mais ce n’est pas vrai. « J’étais au Vlaams Blok à Brasschaat, dit Gerolf Annemans. Je l’aurais su si on avait attrapé un gros poisson comme Jambon. Jambon était proche de nous en termes d’idéologie politique. Il est possible que plus tard, en tant que secrétaire du Mouvement des Peuples Flamands, il ait eu à la fois une carte de membre de la VU et du VB, comme c’était l’usage pour les membres à l’époque. Mais il n’a jamais été actif en tant que Vlaams Blokker. On ne lui faisait pas confiance. Et si vous regardez son parcours politique, cette méfiance était justifiée. »

Un engagement public dans un parti d’extrême droite comme le Vlaams Blok aurait aussi desservi la carrière professionnelle de Jambon, même si certains n’excluent pas qu’il ait parfois voté pour le Blok. À cette époque, de nombreux nationalistes flamands déçus par la VU ont voté pour le Vlaams Blok, dit Koen Dillen, qui a vu Jambon non seulement dans des associations de type le ‘club de débat des nationaux flamands’, mais aussi aux ‘fêtes de communion’ en raison de ses liens familiaux. Si Peter De Roover ne peut jurer que Jambon n’ait jamais voté Vlaams Blok, « il est certain que le Vlaams Blok n’était pas une véritable option pour nous. Si nous l’avions voulu, Jan et moi aurions été députés pendant 30 ans. »

Pas de complexes

Après la rupture avec la VU, Jan Jambon rejoint, avec Peter De Roover, le Vlaamse Volksbeweging (VVB) – De Roover en tant que président – il avait le plus de temps libre comme professeur – et Jambon comme secrétaire. Dans les années 1960 et 1970, le VVB était encore un vivier de talents politiques de premier plan, comme Maurits Coppieters et Wilfried Martens, mais à la fin des années 1980, il n’était plus qu’un club vieillissant qui n’exerçait plus guère d’influence. « Nous n’avons pas succédé à nos pères, mais à nos grands-pères « , dit De Roover. « J’avais 27 ans quand je suis devenu président. Nous pensions que le Mouvement flamand devait devenir moins romantique et plus rationnel. Jan et moi n’avons pas eu à répondre d’une collaboration passée dans la famille. Nous n’avions donc aucun complexe. Nous n’avons pas hésité. »

Jambon n’est pas perçu comme un idéologue par les gens qui le connaissent bien ni comme un grand orateur, mais c’est organisateur de talent. Selon ses partisans, il est d’abord et avant tout un économiste nationaliste flamand. L’homme d’affaires ou le PDG du Mouvement flamand, pour ainsi dire, qui plaide en faveur de l’indépendance flamande avec des chiffres en main et qui se base sur un argumentaire socio-économique. « Jambon a également été le premier à avoir un ordinateur portable au VVB », explique Pieter Bauwens. Il est parvenu à faire bouger les choses et a professionnalisé le fonctionnement du mouvement.

Portrait du futur ministre-président flamand:
© Debby Termonia

Du VVB, Jambon et De Roover ne pardonnent rien à la Volksunie. Les réformes de l’Etat de 1988 et 1989, dans lesquelles les communes à facilités ont été incluses dans la Constitution et qui ont fait de Bruxelles une troisième Région, ont été perçues comme un véritable blasphème parmi les Flamands traditionalistes. Le congrès VVB de Courtrai en 1991 est considéré comme une étape importante dans les cercles nationalistes flamands. Jambon et De Roover s’engagent sans hésitation en faveur de l’indépendance flamande, une position qui n’était alors partagée que par un seul parti politique : le Vlaams Blok.

« À la fin des années 1980, l’OVF et, en fait, l’ensemble du Mouvement flamand étaient au point mort », explique Karl Drabbe, éditeur et publicitaire nationaliste flamand. Il y avait beaucoup d’associations, mais peu de membres, et il n’y avait plus de recrutement. Le message était devenu extrêmement technique, il ne concernait que des articles constitutionnels. Avec leur demande d’indépendance de la Flandre, ce que personne dans le courant dominant ne faisait à l’époque, De Roover et Jambon ont été en mesure de s’adresser aux jeunes.

C’était des années de tensions communautaires : la température n’a cessé de monter jusqu’à son point d’ébullition. En 1991, le Vlaams Blok a connu sa percée majeure et en 1993, l’accord de la Saint-Michel a fait de la Belgique un État fédéral.

Afin de répandre leur version plus terre-à-terre et désenchantée du nationalisme flamand, Jambon et De Roover vont traverser toute la Flandre nuit après nuit pour convaincre. Aucune association n’était trop petite pour eux, aucune entreprise trop extrémiste. C’est dans ce cadre qu’il faut voir le discours de Jambon lors d’une réunion d’une organisation d’anciens combattants du Front de l’Est où beaucoup glorifient la collaboration ou encore lors d’une conférence donnée par Jean-Marie Le Pen. Des présences qui choquent encore aujourd’hui. Surtout quand Jambon, tout nouveau vice-Premier à l’époque, lâche en interview que les collaborateurs « pouvaient avoir leur raison. »

Avec de telles casseroles, si Jambon devient vraiment Premier ministre, ils seront nombreux à attendre de lui quelques preuves de sa bonne disposition envers la Belgique.

Groupe de travail sur la radicalisation

Entre-temps, le duo Jambon-De Roover a provoqué des divisions au sein du Mouvement flamand. Un épisode particulièrement douloureux pour les nationalistes flamands a été la dispute autour du pèlerinage de l’Yser, la célébration annuelle des soldats flamands morts pendant la Première Guerre mondiale. « À mon avis, Jan et Peter n’ont commis qu’une seule erreur au cours de toutes ces années, dit Karl Drabbe, à savoir tout faire pour radicaliser le pèlerinage de l’Yser. À mon avis, c’était là un combat complètement inutile. »

Pur-sang nationaliste flamand

Rationnel, terre-à-terre, commercial : les observateurs du Mouvement flamand soulignent que le discours avec lequel la N-VA est devenue le plus grand parti en Flandre ressemble beaucoup aux discours tenus par Jan Jambon et Peter De Roover dans les années 90. Il y a quelques années, dans l’hebdomadaire Humo, le président du parti, Bart De Wever, rappelait combien ils l’avaient inspiré lorsqu’il faisait ses études à Louvain. « En tant que jeune homme de 22 ans, j’ai vraiment eu envie de me lancer quand les deux, De Roover et Jambon, ont annoncé qu’il était temps d’appeler les choses par leur nom et dire ce que nous visions sur le long terme: un projet de construction nationale. »

La suite est connue. En 2007, Jambon est passé à la N-VA. Il est rapidement devenu l’un des meilleurs chiens de garde du parti. En tant que ministre de l’Intérieur du gouvernement Michel, il a généralement fait du bon travail et a même réussi à rallier à sa cause une partie de l’opinion publique francophone. Et maintenant, la N-VA l’envoie au front en tant que candidat Premier ministre. Bien qu’à la conférence de presse, Jambon lui-même ne semblait pas vraiment y croire.

Son ancien collègue de parti, Bart Tommelein, a également des doutes : « Jambon est un pur nationaliste flamand. Des hommes comme lui n’espèrent finalement qu’une seule chose : entrer dans l’histoire comme celui qui a contribué au démantèlement de la Belgique. »

Mais la chance que Jambon puisse bientôt prétendre au poste de Premier ministre en tant que représentant du plus grand parti flamand est réelle, même si ce n’est peut-être pas dans la coalition de ses rêves. Une redite d’un gouvernement fédéral de centre droit, le plan A de la N-VA, semble peu probable au vu des sondages. Et le plan B, le confédéralisme, ne semble pas réalisable non plus, en raison du manque de partisans politiques au sein de la Chambre. La question est donc de savoir si la N-VA a quoi que ce soit à gagner à obtenir le poste de Premier ministre. Il y a aussi des scénarios qui prédisent que Jambon devrait devenir le prochain Premier ministre flamand. Cela permettrait à Bart De Wever de rester président du parti et maire de son Anvers adorée.

Et pourtant. Il semble bien que la N-VA espère qu’elle pourra atteindre ses objectifs politiques en utilisant au fédéral une politique socio-économique pro-flamande qui pousserait les francophones au désespoir. À défaut d’un big bang communautaire, la Belgique va devoir, grosso modo, servir les seuls intérêts économiques de la Flandre. Aujourd’hui, le réalisme politique est le mantra de la N-VA. En ce sens, le Jambon d’aujourd’hui est très éloigné des rêveurs radicaux du Mouvement flamand auquel il a appartenu dans ses premières années et qui souhaitaient créer un État flamand, ici et maintenant.

« Je suis, resterai et mourrai en tant que nationaliste flamand « , a déclaré Jambon lors d’un débat pré-élections du Knack. « Mais comme une Flandre indépendante n’est pas pour demain, d’autres méthodes doivent être envisagées pour obtenir le meilleur pour la Flandre », a-t-il expliqué,- « y compris le 16 rue de la Loi » . Il souligne cependant qu’il veut être le Premier ministre d’Ostende à Arlon et qu’il ne vise pas l’ingouvernabilité ou l’impasse politique pour faire éclater la Belgique. « Jan était auparavant beaucoup plus extrême », conclut son vieil ami Luc Luwel, le président de la Chambre de Commerce d’Anvers. « Aujourd’hui, je vois un stratège intelligent qui peut faire des compromis en vue d’un objectif plus élevé. »

Mais n’est-ce pas le comble de l’ironie politique qu’un séparatiste pur jus comme Jan Jambon veuille devenir Premier ministre de la Belgique ? « En 1987, Jan et moi pensions que la VU avait trop peu à gagner en participant au gouvernement « , dit Peter De Roover. « En 2014, nous pensions que la N-VA avait suffisamment à y gagner que pour participer au gouvernement. Nous verrons ce qui se passera après le 26 mai. Mais nous ne faisons pas dans la satire politique, nous allons évaluer la situation le plus sérieusement possible. »

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