Couverture du livre "Au coeur de Daesh avec mon fils" © La boîte à Pandore

Laura, revenue de Syrie: « Déconstruire le discours de propagande de l’E.I est devenu mon objetcif »

Stagiaire Le Vif

En juin 2014, à la suite d’une déception amoureuse, Laura,29 ans, décide de partir en Syrie avec son fils, Nassim alors âgé de 4 ans. Dans son livre,  » Au coeur de Daesh avec mon fils « , Laura raconte son périple et dénonce les méthodes de recrutement utilisé par l’État islamique (EI) pour envoyer des jeunes combattre en Syrie.

Tout commence lorsque Laura a 14 ans. Elle découvre l’islam par l’intermédiaire d’une amie marocaine et se convertit rapidement. Elle grandit en respectant quelques principes religieux comme le ramadan et manger halal, mais rien de très poussé.

Ensuite, elle rencontre un homme, le futur père de son enfant. Laura est bien avec lui et elle en est persuadée, c’est le bon. Rapidement, elle se projette dans une maison avec l’homme qu’elle aime et son enfant. Une famille unie, voilà le rêve auquel aspire Laura. Mais rapidement, elle déchante. Son mari est de plus en plus distant et elle finit par apprendre qu’il est infidèle. Il la quitte et la laisse seule avec son enfant. Laura est détruite. Toutes ses projections s’effondrent.

Elle se renferme sur elle-même et ne quitte plus le domicile parental. Laura passe son temps dans sa chambre et se plonge dans la religion. Elle approfondit ses connaissances sur Internet et découvre des textes, des témoignages, des vidéos… Mais surtout, elle fait de mauvaises rencontres. Elle commence à discuter avec de jeunes musulmans qui veulent partir faire le jihad en Syrie. Ces personnes, mal intentionnées, vont jouer sur les faiblesses de Laura et lui promettre une vie meilleure en Syrie avec une belle maison, un homme qui l’aimera et qui s’occupera de son enfant. C’est tout ce dont rêve Laura : « Je voulais reprendre ma vie à zéro avec Nassim et me sentir utile. » Ici, elle se sent inutile, incomprise et incapable de vivre pleinement sa religion.

Sur Internet, elle discute avec Oussama, un jeune musulman d’origine tunisienne qui veut partir faire le jihad. Ils se rencontrent quelques fois et Oussama lui montre des images de propagande avec des enfants qui jouent dehors en mangeant des glaces, des femmes qui se baladent librement, de l’amour et de la joie. C’est décidé, Laura veut partir avec Oussama et son fils en Syrie pour vivre sa nouvelle vie.

Une fois sur place, le tableau est bien différent de celui qu’on lui a dépeint : « J’ai directement été confrontée à l’horreur. Je ne pouvais pas sortir de la madafa (maison pour femmes), je recevais des ordres et je n’avais rien à dire. Je me suis rendu compte que ce n’était pas normal et j’ai commencé à avoir peur pour mon fils. »

Besoin de transmettre son témoignage

De retour de son expérience traumatisante, écrire un livre est apparu comme une évidence pour Laura. « C’est important pour moi de laisser une trace de ce que j’ai vécu. Cela permet de déconstruire le discours de propagande et prévenir les jeunes qui sont dans la même situation que moi. »

Pour Laura, le travail principal doit s’effectuer en amont, au niveau de la prévention plus que de la dé-radicalisation. Elle se rend régulièrement dans les écoles et discute de son expérience avec les élèves : « Je vois que les jeunes sont attentifs à mon récit et que ma parole a de l’effet. Si je peux empêcher ne fus-ce qu’un nouveau départ, j’aurai déjà rempli ma mission. »

Aujourd’hui, Laura témoigne sans filtre, sans pseudonyme et à visage découvert. C’est une démarche courageuse, mais elle veut assumer ses erreurs et montrer qu’elle n’a pas peur : « Je veux partager mon expérience et éviter que d’autres jeunes fassent la même erreur. Il ne faut pas croire la propagande de Daesh. La vie là-bas c’est loin d’être le paradis ! »

« Les femmes ne sont que des ventres »

Là-bas tout était cadenassé, il y avait des règles pour tout. Lorsqu’elle est arrivée dans sa madafa, elle a découvert qu’il y avait une patronne à qui il fallait obéir et rendre des comptes. Les conditions étaient très strictes et le seul moyen d’avoir un minimum de liberté était de se marier. Certaines femmes se sont mariées jusqu’à quinze fois pour récupérer leur liberté. C’était leur seul moyen de quitter la maison. À chaque fois qu’un mari mourrait, sa femme était « offerte » à un autre soldat. La patronne détenait une liste avec le nom des femmes et leur ordre de passage pour les soldats. « Là-bas les femmes n’ont aucun droit et sont justes là pour procréer. Ce sont des ventres, point à la ligne. », souligne Laura.

Laura n’a pas un caractère facile, c’est elle qui le dit. Et heureusement que son mari était compréhensif et différent des autres soldats, car plus d’une fois il aurait pu la dénoncer pour manquement au règlement. Avec un autre homme, Laura serait sans doute morte depuis longtemps. Heureusement également que son fils n’avait que quatre ans à l’époque. Laura pouvait le garder près d’elle et le protéger. S’il avait été plus âgé, il aurait directement été envoyé au combat. Du coup, elle restait enfermée avec lui dans la maison pendant de longues journées. Ce n’était pas l’idéal, mais toujours mieux que les atrocités qui se passaient à l’extérieur.

Le 22 mars, un jour avant son procès, Laura a vu les attentats qui ont ravagé Bruxelles. Cela n’a pas été évident pour elle : « Je me sentais mal. Un mélange de culpabilité et de peur. J’ai fui la guerre en Syrie et maintenant, elle me rattrape, ici, en Belgique. » Laura a vécu son jugement et, par chance, elle n’a pas eu de peine d’emprisonnement. Elle a été placée sous contrôle judiciaire et aujourd’hui, elle parcourt les écoles pour effectuer de la prévention. Laura s’investit pleinement de sa mission. C’est pour elle une forme de rédemption. Les Services d’Aide à la jeunesse (SAJ) lui ont enlevé la garde de son enfant, mais elle a pu le récupérer après quatre mois : « Je lui demande encore pardon et je le ferai sans doute toute ma vie. Je m’en veux énormément, mais je pense qu’il a pu me pardonner. » Laura a pris le temps de discuter avec lui et de lui expliquer la différence entre terroristes et musulmans.

Cet épisode de la vie n’a pas seulement impacté Laura et son enfant. C’est toute sa famille qui a été plongée dans ce périple. Aujourd’hui, c’est ensemble qu’ils peuvent se reconstruire. C’est d’ailleurs le soutien de sa famille et l’amour qu’elle porte à son fils qui ont permis à Laura d’échapper à ce calvaire : « Mes parents m’ont toujours soutenue et lorsque j’étais en contact avec ma mère, elle n’arrêtait pas de me rappeler des souvenirs d’enfance. Cela m’a permis de me raccrocher à mon passé et de me rendre compte que ce n’était pas une vie comme ça que je voulais pour mon fils ». Dans sa phase de reconstruction actuelle, l’amour est toujours un moteur absolument crucial.

À la recherche d’un idéal

Comme nous l’explique Laura, on retrouve trois catégories de femmes là-bas : « Tout d’abord, il y a les filles comme moi qui partent là-bas à la recherche d’un idéal de vie. Ensuite, il y a celles qui ont n’ont pas eu le choix et qui ont dû suivre leur mari. Enfin, il y a les femmes qui veulent combattre. Ce sont les pires, elles sont violentes, agressives et pleines de haine. » Un point commun entre le départ et le retour de Laura, c’est le fait qu’elle soit mère. Elle est partie pour offrir une vie meilleure à son fils et elle est revenue pour le protéger. « En voyant tous les morts sur place, je me suis rendu compte que je ne voulais pas offrir cette vie à mon fils ».

Laura n’est plus la même aujourd’hui que lors de son départ en Syrie. Il y a eu un long cheminement entre les deux et ce parcours complexe a été accompagné de réflexions, de questionnements et de doutes.

Aujourd’hui Laura est toujours musulmane et elle l’assume. Lorsque l’agent de probation est venu à son domicile et lui a fait une remarque à propos d’une sourate accrochée à son mur, Laura lui a répondu : « C’est ma religion, je l’assume et je continuerai à la pratiquer. Seulement ma manière de l’approcher est différente : avant je pratiquais un islam radical, manichéen. Maintenant, c’est différent. je vis un islam modéré qui prône la mixité et le vivre ensemble. »

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