© Kaat Pype

La vie selon Jacky

Le Vif

Après une longue et douloureuse éclipse, Jacky Morael, ex-secrétaire fédéral d’Ecolo, refait surface. Ce n’est pas par distraction : l’homme n’est pas du genre à se laisser berner par le temps qui passe et met une certaine fierté à être désespéré.

Portrait d’ouverture d’une interview de Jacky Morael, alors que celui-ci se préparait à un retour sur la scène politique en avril 2007.

Mais il revient quand même. A la politique, cette passion qui l’a fait naître au monde, « la seule chose que je sache faire, et que je fais bien », dit-il. Il y revient sans ambition, en quinzième position sur la liste pour le Sénat. Pour ferrailler avec les idées et transmettre des valeurs. Pour servir, aussi, « dire merci à ses amis, être utile ». Il est riche d’une blessure, qui porte le nom de Laurie, sa fille. Elle aurait eu 23 ans aujourd’hui. Il ne peut pas en parler, elle dégage un halo trop puissant. Sa mort, voici huit ans, l’a entraîné dans un abîme, dont il remonte la pente à tâtons, prudemment, pas tout à fait sûr encore. Huit années qui façonnent un destin. En 1999, l’année maudite, il a aussi subi la vengeance d’un parti trop neuf, trop anarchique, trop intransigeant, qui lui a présenté la note pour avoir porté son parti à la victoire électorale et l’avoir ainsi obligé à négocier sa première participation au pouvoir. Morael aurait dû être le vice-Premier ministre Ecolo du gouvernement arc-en-ciel. Mais non. On l’a écarté, assis sur un joli fauteuil sénatorial. C’en était beaucoup trop pour un seul homme, que l’on croyait pourtant en acier trempé. Comme s’il fallait qu’un coup du sort survienne pour le sortir de cette torpeur dans laquelle l’emprisonnait son chagrin, il fait une chute dans l’escalier, en mai 2005. Huit mois d’hôpital, la colonne vertébrale brisée, une main fichue. La souffrance, encore, physique celle-ci, et un long réapprentissage de la vie, pas à pas. « Les dieux tissent des malheurs pour les hommes afin qu’ils aient quelque chose à chanter », dit l’artiste québécois Jacques Bertin. Jacky Morael, chez qui sourd toujours la fureur, serait sûrement fâché d’entendre cela. Qu’importe : le voilà, aujourd’hui, prêt à causer politique, écologie, alliances, stratégie, conviction, et aussi humanité. Bien plus qu’un retour en politique, c’est d’une renaissance qu’il s’agit ici. Et son destin n’a pas fait que lui blanchir les cheveux et ralentir sa marche. Il l’a aussi transformé en témoin d’exception, en porteur d’une expérience au-delà du malheur, en phare précieux, donc, même si c’est bien malgré lui et qu’on le sent encore fâché avec cette idée-là. Il commence prudemment, avec des points de suspension, des phrases qui s’envolent sans retomber, il se bat avec ses démons. Puis, comme par enchantement, quand il parle politique, les yeux bleu océan envoient des éclairs et le verbe se fait plus rosse. C’est par là, oui, par la politique, que cet homme-là retrouvera toute la fureur du langage. Et la rage de vivre.

Isabelle Philippon

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