La vérité sur la persécution des juifs

Le volumineux rapport en deux tomes de La Belgique docile est mis à la disposition du grand public sous la plume aérée et lisible de l’historienne Anne Roekens. Plongée utile dans un passé difficile.

Si l’on s’en tient aux chiffres brutaux, la Belgique se situerait dans une (mal)honnête moyenne, entre ses voisins néerlandais et français. Pendant la Seconde Guerre mondiale, 40 % de sa communauté juive a été anéantie (28 000 victimes sur 70 000 juifs, dont 90 % n’avaient pas la nationalité belge). En France, la proportion des victimes juives du nazisme est de 25 %. Elle atteint 75 % aux Pays-Bas (107 000 juifs, dont 80 % de nationalité hollandaise, ont disparu sur un total de 140 000 personnes). Les historiens considèrent qu’en France et aux Pays-Bas l’implication des forces de l’ordre locales dans les rafles a été « forte ». Dans la Belgique sous administration allemande, cette participation est qualifiée de « ponctuelle ».

C’est justement le caractère flou de la responsabilité des autorités belges face à la Shoah que le Centre d’études et de documentation Guerre et Sociétés contemporaines (Ceges) avait été chargé d’étudier, en 2004, à la demande du Sénat. Résultat : une « brique » de plusieurs milliers de pages, La Belgique docile, sortie en 2007 chez Luc Pire. Elle avait peu de chance de trouver un écho auprès du grand public. Cela n’a pas empêché le Premier ministre Guy Verhofstadt (Open VLD) de réitérer, le 8 mai 2007, des excuses qu’il avait déjà exprimées à Malines en octobre 2002 et à Jérusalem en mars 2005. De son côté, le bourgmestre d’Anvers, Patrick Janssens (SP-A), a assumé le lourd passé de la cité portuaire, en octobre 2007, et présenté des excuses à la communauté juive, au grand dam de l’Anversois Bart De Wever, déjà président de la N-VA.

De fait, la police anversoise a participé à la rafle des familles juives de l’été 1942, avec le consentement muet du bourgmestre du Grand Anvers et du procureur du roi de l’époque. La collaboration, dans d’autres grandes villes du pays, n’a pas été si loin, même si, dès 1940, les administrations communales de grandes villes flamandes et wallonnes ont mis au point un registre des juifs. Il faut aussi relever que ni le Palais royal ni l’Eglise ni les secrétaires généraux ( NDLR : qui étaient l’interface administrative entre l’occupant et la population) n’ont condamné publiquement la politique antijuive. Des initiatives locales ou individuelles ont, cependant, permis d’aider une partie des juifs traqués.

Le rôle joué par le bourgmestre par intérim de Bruxelles-Ville, le catholique Jules Coelst, doit être souligné. En juin 1942, sommé de distribuer l’étoile jaune à ses concitoyens juifs, il écrit aux autorités allemandes qu’il ne peut « s’associer à une prescription qui porte une atteinte aussi directe à la dignité de tout homme quel qu’il soit ». L’imposition de ce signe distinctif marque un tournant dans la perception du caractère intolérable des agissements nazis. Cette prise de conscience va de pair avec la conviction que les Allemands ont déjà perdu la guerre, que les Alliés en viendront à bout. Mais avant cela, que de compromissions, que de petites et grandes lâchetés !

« Les autorités belges n’ont pas tiré profit de la marge de manoeuvre qui existait pourtant bel et bien pour résister », conclut l’historienne Anne Roekens, maître de conférences aux Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix (Namur), qui a résumé le monumental rapport du Ceges dans La Belgique et la persécution des juifs (1).

(1) La Belgique et la persécution des Juifs, par Anne Roekens, Renaissance du livre.

MARIE-CECILE ROYEN

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