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La Sûreté de l’État met en garde contre le salafisme

Kristof Clerix
Kristof Clerix Rédacteur Knack

5000 brochures sur le salafisme: voilà ce que la Sûreté de l’État distribuera bientôt parmi les services de police, parquets, administrations communales, CPAS, universités, prisons et établissements de jeunes. Le service de renseignement souhaite sensibiliser le grand public à la menace qui émane du courant radical.

« Le nombre de groupements salafistes et d’initiatives dans notre pays augmente lentement mais sûrement, et l’influence du salafisme grandit. À terme, cela peut entraîner des problèmes de société parce qu’il s’agit d’une doctrine islamique hostile à un certain nombre de valeurs occidentales et démocratiques. » C’est ce que décrit la Sûreté de l’État dans une nouvelle brochure destinée au grand public. Le but de la publication est de donner « une image nuancée » d’un phénomène « qui menace la société dans ses libertés, ses droits fondamentaux et ses valeurs démocratiques ». L’organisation souhaite également souligner le rôle de la communauté musulmane dans l’approche du salafisme. Un tel document public est assez exceptionnel pour la Sûreté de l’Etat belge : après ses brochures sur son fonctionnement, l’espionnage économique et la prolifération, ce n’est que la quatrième en 183 ans.

Monde parallèle

Qu’est-ce que précisément le salafisme? L’essentiel de la doctrine salafiste est un retour aux pratiques religieuses des trois premières générations de musulmans considérées comme les seules, authentiques et valables. « Les salafistes estiment que seul un retour vers l’islam ‘original’ peut restaurer la gloire des premiers siècles et mener à la création d’un état islamique géré par une sharia stricte », lit-on dans la brochure. Est-ce un problème ? Johan Leman de l’ASBL Foyer à Molenbeek a un jour comparé les salafistes aux amish en Amérique, mais pour la Sûreté de l’État, cette comparaison ne tient pas debout. « Les salafistes vivent effectivement séparés dans un monde parallèle comme les amish, mais ils sont intolérants et opposés à la démocratie », expliquent les auteurs de la brochure, deux analystes de la Sûreté d’état, à nos confrères de Knack. « Cela peut aller loin. Ainsi, un prédicateur marocain a appelé en Belgique à ne pas s’arrêter aux feux rouges ‘car au temps du prophète, ils n’existaient pas' ».

Nuance importante: « Bien que le salafisme soit très visible, certainement en conséquence de son orientation très activiste, le phénomène reste marginal. » Dans la brochure, la Sûreté de l’Etat parle de « quelques milliers » de salafistes en Belgique, sur un total de 600 000 à 700 000 musulmans. Les analystes admettent qu’il s’agit d’une estimation. « Celle-ci est notamment basée sur le nombre de visiteurs de mosquées salafistes, librairies, sites web, ASBL, salles de sport, et centres de formation. » On constate toutefois que le problème s’aggrave. « Depuis les années nonante, nous constatons l’ancrage du salafisme dans la société belge. Si initialement il s’agissait d’un phénomène à l’échelle de la grande ville, on voit qu’il surgit jusque dans les plus petits villages et villes. C’est dû notamment à la diffusion sur internet, mais il y a aussi des prédicateurs ambulants, et il y a la diffusion ad hoc via les clubs de gymnastique par exemple. Sharia4Belgium a joué un rôle important. »

Il y a huit ans, Alain Winants, ancien chef de la Sûreté de l’État, mettait en garde contre le salafisme montant. Il l’a même qualifié de plus grande menace pour la Belgique. « Depuis, leur visibilité n’a fait que grandir. Nous observons des tensions dans la société, au travail, dans les hôpitaux et dans l’enseignement. Depuis, la menace contre laquelle Winants a mis en garde est devenue plus concrète. »

Fin 2016, dans un rapport confidentiel de 71 pages, l’Organe de coordination pour l’analyse de la menace (OCAM) avait déjà signalé le rôle de « l’appareil wahhabite et salafiste de missionnariat ». En février 2017, le rapport fuitait dans De Standaard. « Le salafisme progresse en Belgique » titrait le journal. À ce moment, le patron actuel de la Sûreté de l’Etat Jaak Raes était en visite à Riyad, la capitale de l’Arabie saoudite. Il y a convenu d’une série de mesures destinées à lutter contre le terrorisme avec le ministre de l’Intérieur.

« Pratiques moyenâgeuses « 

La Sûreté de l’Etat distingue trois courants: le salafisme scientifique, politique et djihadiste. Le premier courant considère le prêche comme l’instrument principal pour diffuser l’idéologie. Le deuxième, moins présent en Belgique, participe à la politique et fait du lobbying. Pour les adeptes du salafisme jihadiste finalement, les violences et la lutte armée sont des moyens légitimes – pensez aux jihadistes partis en Syrie. D’après la Sûreté d’état, « quelques centaines » de salafistes belges soutiennent « ouvertement ou en cercle fermé les groupements jihadistes et leurs actes ».

À court terme, le troisième courant représente la plus grande menace. À moyen et long terme, la Sûreté de l’Etat estime que le salafisme scientifique et politique représente également une menace pour notre pays.

À cet égard, la Sûreté de l’Etat signale notamment « l’interprétation intolérante de la religion » et « le rejet de la légitimité du droit belge face à la sharia ». Celle-ci représenterait un « danger indéniable » pour l’ordre démocratique et constitutionnel, où l’autorité de l’état n’est plus reconnue. Un autre facteur, c’est « la vision extrêmement conservatrice du rôle de la femme ».

Dans sa brochure, la Sûreté de l’Etat énumère de nombreux exemples de « pratiques salafistes problématiques ». Florilège. Pour résoudre les conflits sociaux, les salafistes s’adressent aux juges islamiques, au lieu de faire appel à la justice. Pendant les élections, les militants diffusent des brochures qui ordonnent aux musulmans de ne pas aller voter. Les hommes obligent leurs épouses et filles à rester à la maison et à porter un niqab en public. Les examens médicaux effectués par des médecins masculins ne sont pas autorisés. Les salafistes appellent à ne pas entretenir de relations avec des juifs, des chiites, des chrétiens ou des hétérodoxes. Certains trouvent qu’ils ont le droit de voler les individus qu’ils qualifient d’infidèles. C’est de la « prise de guerre ».

Par ailleurs, la Sûreté de l’État cite l’enseignement à domicile par les parents salafistes, qui contribuerait à la polarisation sociale et freinerait l’intégration. Et finalement, il y a la « médecine prophétique » qui use de « pratiques moyenâgeuses » telles que la magie, la sorcellerie et les rituels d’exorcisation. « Ces usages font penser à des pratiques de tortures et remontent à l’exorcisme. Il s’agit d’un exercice illégal de la médecine, qui a fait plusieurs victimes mortelles en Belgique. » Tous ces exemples ne valent évidemment pas pour tous les salafistes en Belgique, mais démontrent le caractère potentiellement problématique de leur courant.

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