Carte blanche

« La révolution féminine, la dernière chance de l’humanité? »

Il n’est de révolutions justes que celles qui marquent une rupture brutale entre un comportement nécessairement réprobateur pour celles et ceux qui la portent et l’amélioration véritable des rapports sociaux sur le long terme.

La révolution féministe que nous vivons en fait partie ; en tant qu’homme je me désolidarise totalement des agissements de mes congénères qui, se cachant derrière le poids de l’histoire, provoquent la nécessité d’une confrontation brutale entre convictions conservatrices et progressistes.

u0022u003cemu003eEtre féministe, c’est être lucideu003c/emu003eu0022 – Julien Doré

L’explication d’une existence résiduelle d’une génération d’hommes réfractaires à l’égalité hommes-femmes dans tous les domaines tient à ceci : nos parents ont été élevés par nos grands-parents ayant grandi dans l’idée bien établie que l’homme devait travailler, que la femme devait rester à la maison pour la cuisine et les enfants et qu’elle n’avait pas une place équivalente dans l’espace public. Même si cette proportion tend bien entendu à se réduire, nos grands-parents ne sont-ils d’ailleurs, pour la plupart, pas nés à une époque où les femmes n’avaient pas le droit de vote ? Ce qui suit n’est pas un reproche, c’est un constat : les hommes ont pris à coeur ce rôle protecteur qui, s’il est fait avec amour, ne déborde jamais dans la misogynie ; quant aux femmes, elles ont vécu dans un cadre rassurant, où l’homme, prenant les décisions, assumait les charges lui revenant pendant qu’elle n’avait qu’à devenir ce qu’on lui avait toujours dit qu’elle serait pour sa famille : une bonne mère.

La génération suivante, la mienne, s’offusque de ce modèle de société qui consiste à ranger les genres dans des cases prédéfinies. Le chemin est encore long, mais ce combat est amorcé. Cependant, quelle est la place des hommes dans ce combat ?

Dans le cadre de la révolution féministe, la place des hommes doit être aux côtés des femmes, et pas contre elles

Vous connaissez sûrement cette fameuse phrase : « derrière chaque grand homme, il y a une femme.  » Il y a 20, ou 30 ans, je vous aurais dit « quelle belle phrase. » Aujourd’hui, je n’ai pas peur de dire qu’elle me dégoûte. Il faudrait dire « aux côtés de chaque homme, il y a une femme » ; ou « aux côtés de chaque femme, il y a un homme » ; ou «  aux côtés de chaque homme, il y a un homme  » ; ou « aux côtés de chaque femme, il y a une femme. » Je préfère largement la métaphore de la personne avec qui on marche plutôt que celle sur qui on se repose.

Vous avez saisi l’idée : si un homme brille en société, celle qui le soutient ne doit pas être derrière lui mais à ses côtés. Cette symbolique est importante : auparavant, la réussite d’un homme reposait sur le fait qu’une fois qu’il cessait de travailler, sa femme l’attendait à la maison, remplissant son rôle de femme au foyer. Désormais, les femmes peuvent (et je dirais même doivent) être indépendantes et profiter de la vie sans qu’il leur soit nécessaire de vivre aux crochets d’un homme. L’apologie de « l’enferment » de la femme dans la sphère privée tend à s’éclipser ; désormais, elles peuvent et doivent être heureuses conformément à leurs convictions, ce qui constitue une excellente chose.

Le débat sur la révolution féminine n’est cependant pas le même que celui qui anime toujours notre pays (et les autres, on l’a encore vu en Argentine récemment) concernant l’avortement : dans ce dernier combat, les hommes ne devraient rien avoir à dire, seulement à exécuter les fruits du débat. Pourquoi cette différence ? Car les enjeux ne sont pas les mêmes. En effet, dans le cadre du débat sur l’avortement dans le débat la place de l’homme devrait être (presque) nulle ; on parle là d’un débat où des conditions biologiques objectives empêchent les hommes d’être des interlocuteurs crédibles pour savoir ce qu’une femme doit ressentir ou non, ou savoir quelles règles doivent s’appliquer à elle ou non, lorsqu’elle envisage l’avortement.

Les hommes ne vont pas souffrir en eux-mêmes de savoir que l’avortement est possible jusqu’à 12 semaines ou non… On parle là d’une exposition sur la place publique d’une souffrance intime et physiologique à l’encontre des femmes. Cela ne devrait pas arriver. C’est un débat qui ne concerne uniquement que les spécialistes en médecine et en psychologie, quels que soient leurs genres, et les femmes en général. En définitive, même si, in fine, des élus de genre masculin pourraient devoir se prononcer sur la modification législative que cela entraînerait en fonction de la composition des cénacles politiques, le débat, et le débat seulement, doit être laissé aux femmes tant ce sujet les concerne exclusivement.

Où placer le curseur de l’égalité ?

u0022u003cemu003eIl y a toutes les différences du monde entre traiter les gens de manière égale et tenter de les rendre égaux. La première est une condition pour une société libre alors que la seconde n’est qu’une nouvelle forme de servitude.u003c/emu003eu0022 – Friedrich Von Hayek

La place des hommes dans le débat sur le féminisme est plus nuancée, puisqu’elle concerne toute la société. Cela devient toutefois délicat puisque nous devons désormais savoir où devront s’arrêter les combats égalitaires, voire égalitaristes, quant à la place des femmes dans une société encore marquée fortement par le patriarcat, pour éviter que la révolution féminine ne débouche in fine sur d’autres discriminations.

Dans un premier temps, on a instauré les « quotas » sur les listes politiques ; c’est la seule manière qu’on a, dans un premier temps, trouvée pour un peu équilibrer la présence des femmes en politique. Mais ce critère est loin d’être parfait : car il est possible que des femmes (ou des hommes, cela peut être l’inverse) soient là davantage pour des contraintes techniques que pour la viabilité d’une initiative au regard de la compétence ; et d’ailleurs, cela ne peut préjuger de la composition des cénacles in fine, car la décision finale revient à l’électeur qui choisit ses représentants par le vote.

En restant objectif, le seul curseur qui peut légitimement être utilisé est celui de la compétence. J’ai été par deux fois « victime » (c’est un grand mot) de cette histoire de quotas cette année : pour ma présence sur des listes électorales pour les élections communales d’abord, pour ma présence au sein d’un conseil d’administration d’une institution politique internationale composée exclusivement de jeunes ensuite. Il n’est pas question ici de complainte, mais bien de mise en évidence d’un paradigme de débat problématique : lorsque la compétence est en jeu, le seul critère qui doit entrer en jeu, c’est précisément la compétence.

Dans les deux cas, j’ai été « écarté » sans avoir eu l’occasion de m’exprimer et en vertu d’une stricte égalité hommes-femmes désirée. danger avec une telle égalité stricte, c’est qu’il y a d’office deux « listes de sélection« , une par genre. Ce qui fait que pour 4 postes, il doit y avoir 2 hommes et 2 femmes, alors que potentiellement, il y aurait 2 candidats d’un genre et 10 de l’autre, ou l’inverse. La conséquence ? Il est possible que la compétence ne soit pas le premier critère de sélection, ce qui est très, très regrettable.

Pourquoi avoir évoqué ces détails personnels ? Car pour éviter les futures discriminations, on peut seulement tendre vers l’égalité, et pas imposer cette dernière de force. Si on pratique l’égalitarisme absolu, on abolirait la discrimination actuelle pour en recréer une nouvelle… ce qui n’a pas de sens.

Simone de Beauvoir disait : « un macho c’est un homme qui a peur pour sa place. » C’est tellement vrai. Je n’ai strictement aucun problème à ce qu’il y ait plus de femmes que d’hommes dans des postes décisionnaires. J’ai par exemple participé à une simulation parlementaire européenne à Paris récemment où la présidence était exclusivement féminine ; je n’ai aucune honte à le dire, c’est même une fierté d’affirmer que les débats furent gérés d’une main de maîtresse. De loin ma plus belle expérience en la matière.

Je n’ai aucun problème à considérer que quelqu’un puisse prendre une place que je convoite si cette personne est plus compétente que moi. Par contre, j’ai la plus grande difficulté à considérer que cette personne puisse effectivement prendre cette place au bénéfice d’un critère autre que la compétence, par exemple des contraintes techniques, entendez par là « nombre égal de personnes de genres différents« .

Internationalement, quelle sera l’incidence d’une inclusion totale de la femme dans notre société au même niveau que les hommes ?

u0022u003cemu003eLa révolution féminine doit maintenant compléter la révolution prolétaire, comme celle-ci consolida la révolution bourgeoise émanée d’abord de la révolution philosophiqueu003c/emu003e.u0022 – Auguste Comte.

On attribue souvent à la femme des vertus de protection, d’amour, d’humanisme,… et toutes sortes d’autres vertus issues du lien privilégié que la femme détient avec l’enfant. Parallèlement, il est tout de même troublant qu’il subsiste une telle résistance au féminisme concomitamment au retour du protectionnisme à l’échelle (économique) internationale. Cette coïncidence nous pousse à réfléchir sur les raisons communes de cette hostilité au féminisme et au protectionnisme.

A ce sujet, l’autrice Delphine Horvilleur énonçait récemment ceci sur la chaîne publique belge : « la femme a toujours été la figure de l’altérité (de l’autre avec un grand A) ; si on ne fait pas de place aux femmes, on ne fait pas de place à l’autre. Un système qui ne fait pas de place aux femmes ne sait pas faire de place à l’autre.  » Donald Trump est le meilleur exemple de la jonction de ces deux problèmes, mais il en existe bien d’autres.

Les relations internationales sont pour l’instant confrontées à deux thématiques majeures : le protectionnisme économique et la « crise des migrants« . A l’heure où les migrants sont rejetés partout où ils se présentent, ils souffrent de l’ironie d’une situation scandaleuse. Cette ironie consiste à constater que les territoires où le libéralisme (sous ses formes les plus appréciables) procure ses effets positifs se referment à ceux qui ont dû sortir des territoires où ce libéralisme n’existe pas. Cela s’appelle la « démocratie illibréale« , que pratique notamment le Premier Ministre hongrois Viktor Orban ; comme si la liberté et les droits de l’homme avaient une portée eugéniste… Cette restriction des droits de l’homme quant à leur application sur un territoire donné et pour un nombre restreint d’individus est honteuse.

Une révolution féminine entrainerait inévitablement davantage d’inclusion dans les sociétés démocratiques, et apporterait une partie de la solution à apporter aux crises du protectionnisme et des migrants. En réalité, si dans la culture populaire, l’image de la femme renvoie inévitablement vers l’amour et l’ouverture, nombre de problèmes seraient résolus en leur accordant la place qu’elles méritent très largement ; on oublierait la discrimination entre les genres sur base de critères biologiques et la question de l’égalité hommes-femmes serait alors résolue sur base du seul critère objectif de différenciation : la compétence. Si quelqu’un est compétent, qu’il soit homme ou femme, qu’importe ! Le boulot sera aussi bien fait.

En réalité je pense que l’humanisme et l’écologie sont des valeurs qui ne devraient pas faire l’objet de luttes partisanes. Ce sont deux combats sociétaux devenus transversaux au fil des ans, de telle sorte que la révolution féminine peut apparaître comme le dernier espoir de l’humanité avant que celle-ci ne sombre dans un futur incertain et destructeur.

Si un jour une crise climatique irréversible se produit, il faudra que l’homme ait au préalable accompagné la femme dans sa révolution, ce qui permettra également de connaître enfin cette inclusivité dont le monde a tant besoin à l’égard de toutes les différences qui peuvent exister ; de même, si une nouvelle crise économique mondiale se produit, il faudra que l’égalité homme-femme soit atteinte, pour éviter que les conséquences de cette crise ne touche davantage les femmes que les hommes. A ce sujet, l’agence Bloomberg publiait son « Guide pessimiste » récemment, dans lequel elle annonçait la fin de l’Union européenne pour 2028 en raison d’une crise de la sécurité sociale ; les causes de cette crise n’étant pas l’objet de cette contribution, il y a fort à parier que la disparition du Prix Nobel de la Paix 2012 entraînera des conséquences sociales dévastatrices, pour lesquelles tous les genres devront être protégés de la même manière.

En réalité, si nous sommes tant outrés par la brutalité des revendications féminines telles les Femen, il faut se poser les bonnes questions quant à l’existence de cette brutalité. Si la misogynie perdure, il ne faut pas s’étonner de la survenance de tels actes. Je n’y suis pas favorable, mais je comprends bien entendu leurs motivations. Je préfère donc être proactif et aux côtés des femmes que contre elles afin d’éviter qu’elles doivent en arriver à adopter de telles attitudes extrêmes pour se faire entendre et comprendre.

En conclusion, que fait-on ?

Tout problème social prend souvent source, du moins en partie, dans l’éducation, au sens large du terme. Dans ce qu’elle fait ou ne fait pas, l’éducation provoque souvent des disparités sociales, de telle sorte que si la base d’apprentissage commune à tous les individus n’est pas conforme aux aspirations politiques que provoque en l’occurrence la révolution féminine, il va inévitablement se produire des confrontations toujours plus fortes entre conservateurs et progressistes.

La véritable origine du problème de la présence des femmes en politique ne se trouve pas dans le fait qu’on n’y pratique pas l’égalité hommes-femmes dans la composition des hémicycles, mais bien parce que, et c’est un fait avéré, il existe pour l’instant un nombre inférieur de femmes par rapport aux hommes qui sont intéressés par la politique. C’est à l’éducation de s’occuper du problème à la base, plutôt que d’essayer de seulement soigner le problème en surface sans s’attaquer au fond du problème.

Plus généralement, la révolution féminine représente un des défis majeurs d’inclusion et d’ouverture à l’autre dans nos sociétés. En effet, lorsque le monde traverse une crise (économique ou autre…), il y a presque automatiquement un repli culturel ; les conséquences sont les suivantes : communautarisme, sectarisme, montée des nationalismes, des populismes, des extrêmes, … Le monde est déjà suffisamment individualiste en temps normal, mais cela s’aggrave en cas de crise. Il est dès lors de la responsabilité des démocrates d’accélérer le processus d’égalisation des rapports entre hommes et femmes eux-mêmes, et cette responsabilité n’incombe pas seulement aux femmes, mais aussi et surtout aux hommes.

La lutte contre l’islamophobie, ce n’est pas que l’affaire des musulmans ; la lutte contre l’antisémitisme, ce n’est pas que l’affaire des juifs ; l’écologie, ce n’est pas que la lutte des écologistes ; le féminisme, ce n’est pas que la lutte des femmes… tous ces combats sont l’affaire de tous.

Par Garry Moës, étudiant en Master en Sciences politiques à l’Université de Liège

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