La Flandre va-t-elle mettre le grappin sur le patrimoine national du Musée de l'armée mis en dépôt au Gunfire Museum de Brasschaat ? © DEBBY TERMONIA POUR LE VIF/L'EXPRESS

La régionalisation des collections militaires a-t-elle commencé ?

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

La Défense aurait l’intention de céder le Gunfire Museum à la commune de Brasschaat, fief électoral du ministre N-VA Jan Jambon. Un projet touristique qui alimente les craintes d’une régionalisation des collections militaires fédérales.

La commune de Brasschaat va- t-elle mettre la main sur le Gunfire Museum, qui abrite une partie des collections de chars et de canons du Musée royal de l’armée (MRA) ? Pas d’annonce officielle à ce stade, mais plusieurs sources nous assurent que le ministre N-VA de la Défense, Steven Vandeput, a l’intention de céder les lieux à la commune anversoise, fief électoral du ministre N-VA de l’Intérieur, Jan Jambon.

Situé sur le plus ancien champ de tir de Belgique, le Gunfire expose du matériel de campagne antiaérien et de tranchée utilisé par l’artillerie belge depuis les origines.  » Les hangars abritent quelque 80 canons, 160 chars et autres véhicules blindés, précise un spécialiste du patrimoine militaire. La moitié des pièces d’artillerie exposées naguère dans les salles 1914-1918 et 1940-1945 du musée du Cinquantenaire s’y trouvent, mais aussi une collection de plus de 3 000 uniformes de toutes les époques. Une salle est dédiée à l’histoire de l’Ecole d’aviation légère de la Force terrestre.  » Le projet viserait à transformer le dépôt du MRA en un véritable musée. Donc, à rendre le Gunfire plus attractif et plus accessible, avec une liaison en petit train touristique entre la périphérie anversoise et le polygone de Brasschaat.

La menace du décret Topstukken

Pour la N-VA, la gestion du patrimoine militaire ne devrait plus être une prérogative fédérale : elle relève du tourisme et de l’éducation, deux matières régionalisées. Certes, le ministre de la Défense a promis, en février dernier, que les collections nationales prêtées aux Régions demeureraient la propriété de l’Etat fédéral. Mais cela ne rassure pas des responsables du Musée de l’armée.  » Un jeu dangereux se joue à Brasschaat, affirme l’une de nos sources. Si le projet muséal à finalité touristique se concrétise, ce sera, de facto, une mutation pour le patrimoine de l’Etat fédéral mis en dépôt là-bas. Suite au transfert à la commune de la propriété du terrain, voire des bâtiments, sans doute pour un euro symbolique, le gouvernement flamand pourra faire appliquer le principe juridique du droit du sol aux collections nationales. Une fois le contenant devenu flamand, le contenu ne quittera plus la Flandre.  »

En cause : le décret flamand Topstukken. Entré en vigueur le 24 janvier 2003, ce texte établit qu’une pièce maîtresse restée plus de quatre ans sur le sol de Flandre ne peut le quitter sans l’aval du gouvernement flamand. Des voix francophones ont plaidé pour que le patrimoine national ne soit pas touché par ce décret. En vain. Un bien fédéral de la collection du Musée de l’armée a d’ailleurs déjà été saisi par la Flandre : un bimoteur de transport Fairchild C-119G Flying Boxcar stationné sur l’aéroport de Melsbroek a été classé topstuk de la Communauté flamande par décret publié au Moniteur belge du 12 septembre 2012. Trois des quatre vedettes de la flottille belge du Rhin auraient subi le même sort.

A Leopoldsburg aussi

Qualifié par certains de  » cadeau électoral  » offert à Jan Jambon à un peu plus d’un an du scrutin communal, le Brasschaat Museum n’est pas la seule opération du genre. Ainsi, il a été question un moment du déménagement d’une partie des avions de la prestigieuse section Air et Espace du musée du Cinquantenaire vers la base aérienne de Coxyde. Ce transfert-là n’est plus d’actualité : les projets immobiliers sur ce terrain ont été jugés plus rentables qu’un musée de l’aviation. De plus, le bourgmestre de Furnes, commune sur laquelle s’étend aussi la base, ne voulait pas entendre parler de musée.

En revanche, un autre musée doté de collections militaires fédérales va voir le jour en Flandre : Ben Weyts, ministre régional N-VA du Tourisme, finance la réalisation, à l’horizon 2020, d’un musée au sein du camp de Leopoldsburg (Bourg-Léopold), commune limbourgeoise dont le bourgmestre n’est autre que le président du CD&V, Wouter Beke. Objectif affiché : attirer 100 000 visiteurs par an. Resté longtemps une  » coquille vide  » faute de pièces dignes d’intérêt, ce projet devait avoir pour thématique l’histoire militaire post-1945 (la guerre froide…). La période traitée englobera finalement 1944 et la fin de la guerre, afin de rendre le lieu plus attractif. Pour marquer le caractère résolument flamand du projet, le musée devait s’appeler Vlaams militair museum (Vlamm !). Il a été rebaptisé Liberation Experience.

« Ce qui part ne revient jamais »

 » Il n’y a jamais eu et il n’y aura jamais de problème pour renvoyer des pièces à Bruxelles « , réplique Steven Vandeput à ceux qui, côté francophone, craignent une dispersion et une régionalisation des collections fédérales. Le ministre N-VA de la Défense promet que le patrimoine militaire restera national, même en cas de décentralisation, et que le site du Cinquantenaire ne disparaîtra pas. Son avenir et celui de ses collections restent néanmoins incertains. Le gouvernement fédéral a décidé de fondre le MRA dans un organisme d’intérêt public, le War Heritage Institute. Sur simple décision de son conseil d’administration – pas encore mis en place -, des pièces pourraient enrichir des expositions permanentes dans les Régions, en particulier en Flandre, où se trouve déjà l’écrasante majorité des objets fédéraux prêtés. Plus de 15 000 pièces ont déjà rejoint le nord du pays, pour 600 la Wallonie.

 » Le centre de gravité est en train de basculer, estime un des amis du Musée de l’armée : jusqu’ici, l’établissement bruxellois faisait figure de navire amiral et les autres sites étaient ses antennes dans les Régions. Aujourd’hui, la logique est inversée : tandis que des pôles militaires régionaux à vocation touristique émergent à Brasschaat, Leopoldsburg, mais aussi Bastogne, fief du président du CDH Benoît Lutgen, le MRA sombre doucement, par manque de moyens. Nous attendons toujours la rénovation des toitures, promise par Jan Jambon, ministre de tutelle de la Régie des bâtiments. Les tensions internes restent vives au sein du musée et la recherche scientifique n’y est plus jugée prioritaire.  »

Un défenseur du patrimoine ajoute :  » Le transport d’objets vers les futurs musées régionaux se fait toujours aux frais du fédéral. Nous nous sommes déjà opposés au transfert de pièces d’artillerie vers Brasschaat. Tout ce qui quitte Bruxelles ne revient jamais.  » Notre interlocuteur insiste sur l’objectif politique de la N-VA : la scission de la Belgique.  » Les collections nationales en dépôt sur le territoire flamand y resteront alors définitivement. L’Etat fédéral n’aurait d’ailleurs pas les moyens de rapatrier le matériel.  »

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