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« La question économique est secondaire pour la N-VA »

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

L’historien flamand Olivier Boehme démonte les mécanismes du nationalisme économique, florissant en Flandre. Et conclut : la vraie motivation du parti de Bart De Wever reste la création d’un Etat flamand.

Olivier Boehme est conseiller politique au FWO, le fonds de la recherche scientifique flamand. Il y a une dizaine d’années, il a été secrétaire politique des jeunes VLD. Mais c’est en tant qu’historien et auteur qu’il s’illustre désormais au nord du pays. En 2008, il avait fait l’événement en démontant l’agenda socio-économique du mouvement flamand. Il revient cette année avec un livre, De welvaart & trots van de naties (1 – Le bien-être et la fierté des nations) dans lequel il conte l’histoire du nationalisme économique. Un récit qui éclaire la position actuelle du président de la N-VA. Interview.

Le Vif/L’Express : Le nationalisme économique est omniprésent en Flandre. Ces derniers temps, on s’interroge sur la ligne exacte d’un parti comme la N-VA. Est-ce un parti strictement nationaliste, façon Geert Bourgeois ? Ou très libéral et nationaliste, façon Bart De Wever ?

Olivier Boehme : Historiquement, le nationalisme et l’économie ont toujours été en interaction. Au XIXe siècle, la naissance des Etats nations tels qu’on les connaît aujourd’hui fut un moyen de créer de la croissance économique. Prenez le cas de la Belgique : chaque ville était pratiquement autonome avant l’indépendance, mais on leur a donné les moyens de se développer en mettant en place un enseignement commun, des infrastructures… Le XIXe siècle fut ensuite, sous l’impulsion de l’Empire britannique, celui de l’apparition du libre marché avec des relations entre ces Etats nations.

Aujourd’hui, les nationalistes flamands utilisent tous les moyens possibles pour créer une nation et donner les arguments de son existence. C’est la priorité absolue de la N-VA comme ce fut le cas auparavant pour le Vlaams Belang. Oui, ce sont des nationalistes avant tout, nés et biberonnés avec cette conviction. Leur objectif central : la création d’un Etat flamand. Ils considèrent la Belgique comme une erreur de l’histoire.

Cela n’a donc rien à voir avec une priorité économique. Il s’agit bien d’une conviction liée à l’identité, à la culture, à la langue ?

Absolument, la question économique est secondaire à leurs yeux, elle sert leur vision. La grande force de Bart De Wever, c’est d’avoir très bien étudié les écrits de l’historien tchèque Miroslav Hroch qui lui a appris comment développer un mouvement politique minoritaire, composé d’intellectuels – parce que le nationalisme est une construction intellectuelle -, afin de toucher les masses. Et il a réussi.

Il y a quelques années, hors des cercles intellectuels, la plupart des Flamands ignoraient ce qu’était BHV ou le montant des transferts Nord-Sud en matière de sécurité sociale. La force d’un De Wever fut de construire, à partir d’une frustration diffuse, un récit pour donner des raisons à quelqu’un n’ayant aucune conviction nationaliste de le rejoindre dans son combat.

Le discours de rupture économique d’un Bart De Wever explique en partie son succès. Pourtant, il n’a rien d’original, non ?

Ce n’est pas son objectif prioritaire, il peut donc se permettre un discours très radical, copié du néolibéralisme ou du compassionate conservatism à l’anglo-saxonne. Cela dit, un nationaliste n’est pas forcément de droite. En Ecosse ou au Pays de Galles, il est de gauche, comme ce fut le cas, il ne faut pas l’oublier, du régionalisme économique wallon des années 1960 avec en guise de figure de proue le syndicaliste André Renard.

Ce discours fait mouche en période de crise ?

Je ne pense pas que le nationalisme soit lié directement à la crise même si cela peut être un adjuvant comme dans les années 1930 parce que ce sont des périodes où l’on veut se protéger. C’est avant tout un discours qui part d’un sentiment de non-reconnaissance, identitaire essentiellement. Pour les Néerlandophones, c’est très ancré, ce qui explique notre difficulté par rapport à la question de Bruxelles ou notre sensibilité par rapport aux questions linguistiques.

La meilleure preuve, c’est que le nationalisme économique flamand a vu le jour alors que la Flandre était encore la Région la plus pauvre de Belgique, à l’exception de Gand grâce au textile ou d’Anvers grâce au port. Actuellement, il existe toujours dans une Flandre qui est certes en pleine confiance mais qui se sait fragile en raison du vieillissement de la population, du manque de terrains disponibles… Une telle position n’est jamais éternelle. Et politiquement, le Flamand a le sentiment de payer l’addition belge.
Cela dit, je rappelle toujours que le premier dossier lié aux transferts Nord-Sud qui a mis le gouvernement en forte difficulté, en 1934, venait du fait que les Wallons ne voulaient pas payer davantage pour les Flamands via les allocations familiales. De même, ce sont les francophones qui ont refusé le bilinguisme de la Belgique en 1932 pour se replier sur une Wallonie unilingue. Là aussi, il s’agissait d’un mécanisme de protection. Il y avait, là aussi, des signes de repli en raison de la maritimisation de l’économie qui menaçait le bien-être.

La N-VA et son nationalisme économique sont-ils « dangereux », comme certains politiques francophones l’ont exprimé ?

C’est un jugement de valeur et je répondrai dans cette veine-là. Si vous êtes pour le maintien de la Belgique, c’est évidemment de la dynamite.

C’est précisément cela le concept brillant de De Wever. Une grande partie de la population ne connait plus la pauvreté grâce à l’Etat providence et cela génère une attente collective de pérennité. Si vous parvenez à coupler ce nationalisme économique à d’autres sentiments comme celui, persistant, de ne pas être respecté en tant que communauté culturelle, vous créez quelque chose d’explosif.

Mais tout pourrait changer si apparaissaient en Wallonie des forces tenant davantage compte de cette mentalité de classe moyenne, avec un discours similaire en matière de fiscalité et de sécurité sociale. En 2007, Didier Reynders avait affirmé que sa victoire électorale était « une réforme de l’Etat en soi », parce qu’elle donnait la possibilité de rejeter le PS dans l’opposition. C’était, je trouve, une bonne analyse. Il s’agissait de dire que la Flandre ne parvenait pas à parler avec la Wallonie parce qu’elle a une autre culture idéologique.

De welvaart & trots van naties, par Olivier Boehme, éd. De Bezige Bi Antwerpen, 236 pp.

L’interview intégrale dans Le Vif/L’Express de cette semaine.

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