Alain Maskens

La nature du communautarisme politique belge

Alain Maskens Médecin et essayiste

Communautarisme ou régionalisme? Cette question s’est à nouveau invitée dans le débat médiatique: faut-il supprimer la Communauté française (« Wallonie-Bruxelles »)? Faut-il régionaliser l’enseignement?

Ceux qui – en Wallonie et à Bruxelles – militent pour le maintien de notre système communautaire mettent en avant l’identité francophone comme rempart contre les velléités nationalistes et indépendantistes des « autres », les Flamands. Leur vient-il à l’esprit que c’est précisément en jouant cette carte communautaire que l’on renforce le « jeu à deux » voulu par les nationalistes de Flandre, prélude à une séparation de la Belgique, le long de la frontière linguistique, en deux Etats confédérés?

Communautarisme ou régionalisme? Faut-il supprimer la Communauté française? Faut-il régionaliser l’enseignement?

En réalité, ils le savent fort bien, et depuis longtemps. La démarche séparatiste sur fond d’identité ethno-linguistique a été enclenchée dès 1912 par le député socialiste wallon Jules Destrée, dans sa fameuse « Lettre au Roi sur la Séparation de la Wallonie et de la Flandre« . En 1988, lors de son premier discours parlementaire, le tout jeune député Elio Di Rupo a rappelé cette Lettre, avant de poursuivre: « D’aucuns prétendent que le fédéralisme à deux Communautés est impossible et engendrerait un affrontement renouvelé. Je ne partage pas cette opinion. Et d’ailleurs nous n’avons pas d’autre choix. L’état unitaire n’existe déjà plus. » Dans l’article où il cite ce discours (Le Vif.be du 14/2/2014), Hendrik Vuye, actuel chef de groupe N-VA au parlement fédéral, conclut: « Elio Di Rupo, le défenseur d’un fédéralisme poussé ou d’un confédéralisme sur base des deux Communautés. Qui aurait pensé cela? Et en outre, il a bien raison! »

La vision de Destrée – partagée par la N-VA et le jeune Di Rupo – mérite donc d’être examinée en profondeur. Dans sa fameuse Lettre, Destrée dresse notamment un catalogue des différences entre « Flamands » et « Wallons ». Extraits: « La Flandre est en grande majorité, agricole; la Wallonie est, en grande majorité, industrielle. Et, nécessairement, cette diversité des conditions économiques devait accentuer, au lieu de l’affaiblir, la diversité originale commandée par la race et par le sol. »… « Le Flamand est lent, opiniâtre, patient et discipliné; le Wallon est vif, inconstant et perpétuellement frondeur de l’autorité. » Evoquant le recensement général de 1900, Destrée retient surtout que la majorité des habitants du pays parlent deux langues différentes (41,47% parlent français et 41,01% parlent flamand). Et, du dernier scrutin national, il retient que les arrondissements néerlandophones ont voté en majorité pour le gouvernement sortant (catholique) tandis que les francophones votaient majoritairement pour l’opposition (socialiste).

Destrée évacue donc les Flamands qui votent socialiste ou les Wallons qui votent catholique. Il fait peu de cas des 17% de Belges qui déclarent parler deux ou trois langues. Il n’en a rien à cirer des Francophones de Flandre ou des Néerlandophones de Wallonie. Quant à la population de la capitale, « …elle est vraiment peu intéressante. Elle semble avoir additionné les défauts de deux races, en perdant leurs qualités. »

La démarche de Destrée en 1912, Di Rupo en 1988, De Wever et beaucoup d’autres aujourd’hui est caractéristique. Prenez deux groupes. Taisez ce qu’ils ont en commun. Gommez leur diversité interne. Effacez leurs minorités. Ignorez leurs métissages. Vous voilà avec deux communautés qu’ainsi définies tout oppose. La « vôtre » vous soutiendra contre « l’autre », qui « nous » menace, qui profite de « nous ». Proposez alors une frontière administrative (puis étatique?) entre ces deux groupes: vous règnerez confortablement sur votre mini-royaume. C’est là la vision communautariste de l’évolution de l’Etat. En Belgique politique, elle prédomine: les principaux partis sont scindés sur une base communautaire.

Cette vision favorise le discours identitaire exclusif (« nous » et « les autres »), organise le repli communautaire et ouvre la voie à un confédéralisme à deux (les Bruxellois étant priés de choisir entre les deux communautés).

A l’opposé, la vision territoriale (régionaliste) du fédéralisme commence par accepter que la diversité existe au sein de tout territoire. Elle se fondera dès lors sur une citoyenneté inclusive qui solidarise des personnes de langues et cultures diverses. Acquise à la valeur de la diversité, elle aura davantage tendance à promouvoir la collaboration et la solidarité entre régions voisines.

Le fédéralisme belge actuel, hybride entre communautés et régions, est trop complexe, coûteux et inefficace. Il devra se simplifier. Opterons-nous pour le communautarisme de Destrée, Di Rupo, De Wever, Milquet et consorts, ou pour un fédéralisme basé sur les Régions?

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