Bart De Wever © Belga

La N-VA va-t-elle trop loin dans la lutte contre le terrorisme?

Walter Pauli
Walter Pauli Walter Pauli est journaliste au Knack.

Tout a commencé par Peter De Roover qui voulait limiter la liberté d’expression et a fini par Bart De Wever qui souhaite un Patriot Act à la belge, autrement dit l’instauration d’un « régime armé ». La N-VA remet-elle l’état de droit en question ?

Sur la Promenade des Anglais à Nice, dans un bar gay en Floride, dans un train en Allemagne : les attaques de terroristes musulmans sont plus nombreuses et plus dispersées que jamais. Malheureusement, l’été 2016 est bien parti pour rester dans les annales.

Et même si les attentats contre « l’Occident libre » font toujours moins de morts qu’en Syrie et en Irak, il est indéniable que le terrorisme de l’État islamique met la « société ouverte » sous pression. Si même dans une petite ville de province comme Saint-Étienne-du-Rouvray, un prêtre âgé n’est plus en sécurité, tous les fidèles de la Flandre et la Wallonie profonde sont des victimes potentielles.

Et donc on pense à juste titre à une contre-stratégie. Dans la Rue de la Loi, la N-VA a pris les devants. La semaine dernière, le chef de fraction à la Chambre Peter De Roover a rédigé un exposé pour défendre la limitation de la liberté absolue d’expression : parce que l’Occident est en guerre contre l’EI, parce que les guerres ne se limitent pas au champ de bataille, mais sont toujours menées sur le front de la propagande aussi et parce que les sympathisants de l’EI résidant ici sont des « collaborateurs », et donc nos ennemis, même s’ils n’ont pas (encore) pris les armes.

Les partisans et les opposants de De Roover se sont volés dans les plumes sur les réseaux sociaux. Les critiques les plus vives contre De Roover sont venues de la gauche, même si la N-VA plaide en faveur de l’instauration de règles imposées par l’état. Cette approche est à peu près la raison d’être de la social-démocratie.

Dans le contexte belge aussi, la plupart des droits et des libertés sont soumis à des règles, et c’est également le cas de la liberté d’expression. L’utilité de certaines limitations n’a d’ailleurs jamais été mise en cause. L’article 443 et les suivants du Code pénal stipulent encore toujours que la diffamation, les insultes, les déclarations diffamatoires et la divulgation méchante sont passibles d’une peine. D’autres limitations ont été levées au fil des années (depuis 2005, l’insulte de chefs d’État étrangers alliés n’est plus punissable) ou ont fait l’objet de débats. En 2013, les membres de la N-VA Theo Francken et Kristien Van Vaerenbergh ont demandé l’abolition de sanctions pour offense au roi et à la famille royale belge.

La loi Moureaux

On a également instauré de nouvelles lois qui limitent le droit à la liberté d’expression, et à chaque fois, il s’agissait d’initiatives de la gauche. Depuis 1981, il y a une « loi contre le racisme ». Connue en Flandre sous le nom de loi Moureaux, elle s’est heurtée à l’ire de la droite. Des dizaines de députés chrétiens-démocrates, libéraux et nationalistes flamands craignaient « la chasse aux sorcières d’un McCarthyisme de gauche. Ils visaient surtout l’article qui pénalisait « l’adhésion à des associations

En 2003 et en 2007, la loi sur le racisme a connu une série d’adaptations importantes, telles que l’instauration de la notion d' »égalité des sexes ». La Belgique dispose donc d’une large législation anti-discrimination. À partir de 1995, on y a ajouté la loi contre le négationnisme. Celle-ci pénalise celui qui « nie, minimise grossièrement, cherche à justifier ou approuve le génocide commis par le régime national-socialiste allemand pendant la Seconde Guerre mondiale ». Même si en juin dernier, le premier ministre Charles Michel a reconnu le massacre arménien comme un génocide, il n’est pas punissable de le nier.

Au fil des ans, on a constaté que la loi contre le racisme n’était pas simple à appliquer. L’opinion publique est d’avis que cette loi a rendu le racisme en soi délictueux, mais ce n’est pas le cas. En principe, les idées et les propos racistes ne sont toujours pas punissables, justement à cause de la liberté constitutionnelle d’expression. Seuls les actes racistes le sont. Cette différence subtile, mais essentielle entraîne la Justice à classer la plupart des plaintes sur base de cette loi. Et cela entraîne beaucoup de frustration, tant auprès des plaignants que la société. Au fil des ans, la distinction entre idées et actes racistes s’est estompée.

Cette distinction est essentielle. Depuis 2001, ladite loi anti-burqa pénalise un acte hostile à la femme. Cependant, chacun, salafiste comme féministe, est libre de penser et de dire que les femmes et les hommes ne sont pas égaux ou équivalents. Mais discriminer une femme parce qu’elle est une femme est interdit. La proposition de Peter De Roover est également ambiguë. Elle a le mérite de tenter de protéger notre société démocratique, mais en même temps elle menace l’une des pierres angulaires de cette société, à savoir la liberté d’expression. En démocratie, il n’est pas simple pour les gouvernements et les parlements d’adapter ou de changer les lois fondamentales en un clin d’oeil. Tous les N-VA savent à quel point c’est complexe lors de réformes de l’Etat. Mais c’est aussi sensible et compliqué pour d’autres articles importants de la constitution ou de la loi pénale. Tout bien considéré, la proposition de De Roover a suscité plus de questions que de réponses.

Insulter la police

Que veut brider De Roover en pénalisant le soutien à l’État islamique ? Souhaite-t-il traduire un délit d’opinion en justice pour la première fois de l’histoire ? Souhaite-t-il que le parquet poursuive les jeunes allochtones qui descendent dans la rue pour acclamer un attentat ? Les jeunes qui insultent la police lors d’opérations antiterroristes ? Où la justice marque-t-elle les limites ? Le salafisme wahhabite en soi est-il punissable ? Les musulmans radicaux peuvent-ils encore « rêver » de la venue d’un nouveau califat? Ou la restriction de la liberté d’expression se limite-t-elle à l’arrestation de prédicateurs de haine dans les mosquées qui appellent à prier pour le salut du chef de l’EI Abou Bakr al-Baghdadi ?

Jusqu’où va l’interdiction du soutien à l’EI? Les faiseurs d’opinions pacifiques comme Ludo de Brabander de l’asbl Vrede (Paix) peuvent-ils encore s’opposer à la participation belge à la guerre contre l’EI ? Et si De Brabander en a le droit, une association de mosquée de Molenbeek aussi ? Les musulmans belges peuvent-ils encore se fâcher quand les bombardements occidentaux tuent des civils ? Les parents de soldats de l’EI morts peuvent-ils encore pleurer leur fils ? Ses amis ? À quel point sommes-nous égaux dans la défense de ce qui est mal? Peter De Roover et Bart De Wever ont comparé les sympathisants de l’EI aux » collaborateurs » de la Seconde Guerre mondiale qui eux aussi ont été « punis ». Mais ça s’est arrêté là. Il y a deux ans, un ancien SS flamand ayant combattu sur le Front de l’Est a déclaré qu’il recommencerait. Les combattants de l’EI ont-ils le droit de dire la même chose, ou risquent-ils une punition ? Et quelle est la responsabilité du journaliste qui leur donne la parole ?

Et, plus épineux encore, les Belges arabes ont-ils le « droit » de plaisanter et de caricaturer les victimes de l’EI : les morts dans le métro bruxellois ou un otage décapité ? Ces dernières années, l’opinion publique occidentale a essayé par tous les moyens d’expliquer à la communauté musulmane qu’un démocrate doit pouvoir supporter toutes les blagues et les dessins. Et qu’il est donc scandaleux de protester contre les dessins de Mohammed dans un journal danois, ou contre l’humour grinçant de Charlie Hebdo – effectivement le journal qui s’est moqué impitoyablement des victimes de Zaventem. Un musulman pourrait-il dessiner une caricature semblable et la publier sur sa page Facebook ? Ou est-ce plus épineux ?

C’est là aussi l’effet de la semaine dernière: la N-VA a appris qu’il est plus facile d’exiger des modifications de lois ou de la constitution plutôt que de les adopter. On l’a vu avec la proposition de Zuhal Demir de retirer la double nationalité belge-étranger. Or, la loi marocaine ne l’autorise pas. A-t-on l’intention de faire une distinction entre les Belges turcs et les Belges marocains ? Et dans combien de temps un Belge turc à qui on retire la double nationalité ira-t-il devant la Cour constitutionnelle pour dénoncer un traitement inégal ?

La N-VA ne veut plus se sentir gênée par la Convention de Genève ou les jugements de tribunaux (internationaux) ou de cours constitutionnelles dans la lutte contre le terrorisme et pour la solution des problèmes en Afrique et au Moyen-Orient. Le mois dernier, le Conseil d’État a estimé que l’interdiction d’abattage rituel était contraire à la liberté de culte. Le week-end dernier, De Wever a déclaré qu’il n’entrerait pas dans un nouveau gouvernement sans une telle interdiction. Annonce-t-il déjà une lutte de pouvoir entre le nouveau gouvernement et le gouvernement des juges?

De Wever exige également l’instauration d’un Patriot Act à la belge: de nouvelles compétences poussées pour la justice, la police, l’armée, les services de renseignements ainsi que pour les dirigeants et administrateurs civils. De Wever dit textuellement qu’il souhaite pouvoir arrêter les gens qui n’ont encore rien fait de mal, mais qui expriment leur sympathie pour l’EI. « Je dormirais beaucoup mieux », dit-il : « On ne va pas attendre qu’on nous poignarde dans le dos ? »Il ne sait que trop bien qu’avec ce genre de propositions, il franchit le Rubicon. Mais il les formule tout de même, parce qu’il se sait assuré de la sympathie d’une partie considérable du public flamand. Et donc les ténors de parti se dépêchent de suivre leur président. Le tweet laconique de Theo Francken, Secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration, témoigne de cette volonté belliqueuse de la N-VA : « Les gens évoluent, les droits de l’homme aussi. Pourquoi pas ? »

Chroniqueur

Reste à voir si Bart De Wever ne s’oublie pas, et s’il ne fait pas évoluer la N-VA vers un parti qu’elle n’était pas à l’origine. À l’époque où il écrivait des chroniques, Bart De Wever avait déjà analysé la différence fondamentale entre les droits de l’Homme et les droits civiques. Les droits civiques dépendent de certains choix sociétaux et politiques. « L’acquisition de ces droits civiques par les nouveaux venus dans notre société peut être liée à la volonté et à l’effort de faire partie de cette société ». Onze ans plus tard, c’est toujours son message. Mais pour ce qui est des droits de l’Homme, Bart De Wever dit exactement le contraire de ce qu’il déclarait à l’époque. Il écrivait : « La banalisation du terme droit de l’Homme me dérange profondément. Un droit n’est un droit de l’Homme que lorsqu’il est inaliénable et absolu. Il s’agit d’une poignée de droits qui devraient protéger notre dignité humaine partout et dans n’importe quel contexte : la liberté de conviction et d’expression, la liberté de culte, le principe d’égalité, l’habeas corpus et l’intégrité physique. Rien de plus, rien de moins. »

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