Les militants de Junts Pel Si à Barcelone © REUTERS

« La N-VA fait profil bas sur la Catalogne, de crainte de déstabiliser le gouvernement Michel »

« Si la liste électorale ‘Junts pel Sí’ faisait marche arrière maintenant, on aurait affaire à la mystification du siècle » estime le politologue Bart Maddens (KuLeuven) à propos des élections en Catalogne. Maddens souligne également que la Catalogne pourrait réveiller le fantôme communautaire en Belgique. : « Il semble que la N-VA fasse profil bas de de crainte de déstabiliser le gouvernement Michel. »

Les listes en faveur de l’indépendance de la Catalogne obtiennent la majorité au parlement. Mais pas en nombre de voix, étant donné qu’elles ont remporté 47,8% des voix. Est-ce que cela ternit la victoire ?

Bart Maddens: Oui et non. Le camp du oui a toujours réalisé qu’il serait difficile d’obtenir une majorité de voix, parce qu’il s’agit d’élections ordinaires, où il y a d’autres motifs en jeu. Ainsi, tous les électeurs en faveur du oui n’apprécient pas le candidat à la présidence Artur Mas alors que le CUP est trop radical pour certains indépendantistes. Nous savons aussi qu’il y a des partisans de l’indépendance au sein du PSC socialiste et du parti Catalunya Sí que es Pot (Catalogne oui nous pouvons). Ainsi, il y a beaucoup de mandataires locaux du PSC en faveur de l’indépendance. N’oubliez pas non plus qu’Unió est un parti « confédéraliste » catalan assez radical. Unió obtient 2,5% des voix, ce qui est suffisant pour que le camp du oui remporte la majorité même si à proprement parler, il n’était pas dans le camp du oui. Pour moi, le camp du oui aurait pu facilement remporter un véritable référendum.

Cependant, il est vrai que Junts pel Sí et le CUP avaient espéré une majorité de voix. Ils réalisent que sans cette majorité de voix, ils auront trop peu de légitimité aux yeux de la communauté internationale. Dans un sens, le camp du oui est victime de son propre succès. Il a réussi à faire passer les élections pour un référendum. Pour cette raison, il y a eu une participation élevée, y compris dans ladite ceinture rouge de Barcelone. C’est ce qui a fait basculer l’équilibre vers une faible majorité du « non ».

La figure de proue de l’indépendance Artur Mas a promis de déclencher un processus qui mènera à l’indépendance de la Catalogne d’ici 2017. Pourra-t-il tenir cette promesse ?

Bart Maddens : Junts pel Sí a toujours été très clair pendant cette campagne, si le camp du oui obtient une majorité de sièges, il luttera pour l’indépendance. Et quoi qu’il en soit, cette majorité de sièges est assez large. Si Junts pel Sí fait marche arrière ou se laisse intimider par Madrid, on aurait affaire à la mystification de l’électorat du siècle. Alors les deux composantes de Junts pel Sí (CDC et ERC) pourront oublier la victoire, à commencer lors des élections nationales de décembre. Cependant, c’est évidemment le parti d’extrême gauche CUP qui jouera un rôle clé. Là aussi, le résultat est un peu décevant pour Junts pel Sí :ils avaient secrètement espéré d’obtenir à eux seuls une majorité de sièges. Par ailleurs, le bon résultat du CUP signifie qu’il y a un virage vers la gauche au sein du camp de l’indépendance. Le CUP a déclaré à un certain moment qu’il fallait une majorité de votes pour le camp du oui, mais ne l’a pas répété dimanche soir. Au contraire, à présent le CUP donne l’impression de vouloir rapidement accéder à l’indépendance. Mais le CUP peut également se montrer difficile lors de la formation du gouvernement. Il ne veut pas que Artur Mas reprenne son poste de ministre-président. En outre, il s’agit d’un parti très à gauche : anti UE, anticapitaliste, anti-Otan… le CUP risque de devenir incontrôlable.

Au mois d’août, vous nous avez fait part de votre rêve : sur le modèle catalan, vous avez dressé une liste de nationalistes flamands de tous les partis qui proclameraient l’indépendance lors d’une victoire électorale. À quel point est-ce réaliste en Flandre?

Bart Maddens : J’ai écrit dans cette opinion qu’il s’agissait simplement d’une hallucination flamingante, absolument pas réaliste. Aujourd’hui, on a l’impression que l’indépendance de la Flandre n’est prioritaire ni pour la N-VA ni pour le Vlaams Belang. À l’heure actuelle, les deux partis se profilent surtout sur le thème des réfugiés et participent à un nivellement vers le bas pas très joli.

Dans cette même opinion, vous avez déclaré qu’en tant que seul état membre de l’UE dominé par un parti séparatiste, la Belgique serait sûrement le premier pays à reconnaître l’indépendance de la Catalogne avec enthousiasme. Un appel clair à la N-VA pour ne pas baisser la pression. Le ministre-président flamand Geert Bourgeois et le président du parti Bart De Wever ont déjà félicité les séparatistes. Qu’attendez-vous du gouvernement Michel ?

Bart Maddens : Geert Bourgeois a été le premier ténor de la N-VA à se faire entendre dans ce dossier pourtant directement lié aux activités principales de la N-VA (ou du moins ce qui devrait être leurs activités principales). Nous n’avions pas encore entendu Bart De Wever, jusqu’à ce lundi matin. Cependant, dans le contexte de la politique espagnole une partie de la déclaration de Bart De Wever doit être estampillée d' »unitaire » : « Je ne peux qu’exprimer l’espoir que le gouvernement espagnol et catalan collaboreront sans tabous pour parvenir à une solution politique. » Ses propos ressemblent comme deux gouttes d’eau au discours du PSOE par exemple. Le but du mouvement indépendant catalan n’est pas d’obtenir un accord politique avec Madrid. C’est considéré comme du passé. Le projet de Junts pel Sí prévoit une approbation rapide d’une déclaration solennelle dans laquelle le parlement catalan fera part de son intention d’accéder à l’indépendance et donc d’entrer en confrontation avec Madrid. Ce désir d’indépendance est-il donc un tabou dont Bart De Wever estime que Junts pel Sí doit le laisser tomber ?

Il semble que la N-VA fasse profil bas dans ce dossier parce qu’elle craint qu’il déstabilise le gouvernement Michel. Si la Catalogne proclame effectivement l’indépendance (au plus tard en mars 2017, donc encore pendant la législature actuelle) tous les pays seront confrontés à la question : reconnaître la Catalogne ou pas ? Il est probable qu’une série de petits pays reconnaissent rapidement la Catalogne. Il me semble impensable qu’en tant que parti du gouvernement dominant et séparatiste, la N-VA ne pousse pas à une reconnaissance de la Belgique (ou la déclaration de Bart De Wever est-elle déjà une première contre-indication ?). En tout cas, les militants flamingants lui mettront la pression pour reconnaitre la Catalogne. Mais il est certain que le MR ne sera pas d’accord, ne serait-ce que parce que le parti s’aligne très fort sur la politique étrangère menée par la France, et la France ne reconnaitra pas facilement la Catalogne.

Et il y a une autre anguille communautaire sous roche. La Flandre possède la compétence de conclure des traités internationaux avec d’autres pays. Si Geert Bourgeois dit maintenant qu’il veut améliorer la collaboration avec la Catalogne, on s’attendra à ce que la Flandre conclue un traité de coopération avec la Catalogne indépendante. Cependant, si cette coopération va à l’encontre de la politique étrangère belge, par exemple parce que la Belgique ne reconnaît pas la Catalogne, le gouvernement fédéral peut mettre son véto, ce qui à coup sûr donnerait un feu d’artifice communautaire au sein du gouvernement fédéral.

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