Olivier Mouton

La montée des petits partis va rendre le pays ingouvernable

Olivier Mouton Journaliste

Le PTB et le PP ne cessent de grimper dans les sondages. Le reflet de la colère citoyenne et d’une aspiration à des politiques tranchées. Mais le résultat de leur explosion pourrait être précisément l’inverse.

Le Parti du travail de Belgique (PTB) à 9,2% en Wallonie et 6% à Bruxelles, le Parti populaire respectivement à 7 et 3,9% dans les deux Régions : le Grand Baromètre RTL-TVI/Ipsos/Le Soir confirme et renforce la tendance affichée par les sondages ces derniers mois. C’est pratiquement une certitude, désormais, les petits partis vont venir perturber les grands équilibres classiques au lendemain du 25 mai. Reste à voir à quelle hauteur et dans quelles dimensions, car ces estimations de vote ne tiennent même pas compte des autres petites listes qui fleurissent, de la Droite à Vega en passant par le MG, le Parti libertaire, le RWF et tant d’autres pour ne pas parler du FDF faisant cavalier seul en Wallonie.

A petites causes, grands effets ? Ceux qui en découleraient ne seraient pas forcément ceux que ces électeurs désenchantés ou radicaux espèrent.

Une colère grandissante et un besoin de clarté

Les raisons pour lesquelles le coeur d’un nombre croissant d’électeurs penche pour des petites listes résident sans aucun doute dans la triple crise que le pays – et l’Europe dans son ensemble – vit de façon aiguë depuis 2007 et l’effondrement du système financier. Economique, sociale et politique, cette débâcle de l’organisation de nos sociétés devant la globalisation renforce les peurs et les exaspérations face à toutes les menaces, réelles et supposées, qui pèsent sur notre bien-être, du grand capital à une immigration hors de contrôle en passant par les fraudes auxquelles, soit y en passant, nous contribuons souvent nous-mêmes.

Les politiques budgétaires, voire socio-économiques imposées par l’Union européenne et avalisées par les partis traditionnels ne laisseraient pas de latitudes pour mener des politiques à même de briser le cercle vicieux, que ce soit par une approche ultra-libérale redynamisant l’économie ou un protectionnisme socialisant dressant des barrières contre l’invasion des pays émergents. Pour ne pas parler d’un contrôle strict des frontières face aux misères venues d’ailleurs.

En Belgique, des raisons particulières renforcent ce sentiment. La complexité persistante de notre paysage institutionnel a de quoi faire perdre à plus d’un son latin et même si la sixième réforme de l’Etat a stabilisé le pays, elle ne rend pas son fonctionnement plus lisible pour autant. La système électoral à la proportionnelle, couplé aux réalités politiques très différentes au Nord et au Sud du pays, dilue la force des politiques menées et donne aux électeurs le sentiment de ne pas avoir été écoutés au vu des compromis noués. A cela s’ajoute un sentiment grandissant de voir « toujours les mêmes » truster les postes à responsabilités ou les « fils de » se frayer un passage simple vers les sommets du pouvoir.

Le résultat, ce sont des ralliements de plus en plus importants sous des bannières telles que « faites payer la crise aux riches », « les étrangers doivent s’adapter » ou « cessez de nous faire taire » pour ne pas parler du coup de balais. Ce sont des rhétoriques qui font étrangement penser à un retour du balancier de l’Histoire, vers ces années 1930 où les courants populistes et extrémistes ont fleuri. Singulièrement, de nos jours, la frontière est devenue de plus en plus floue entre les courants démocratiques et les extrémismes nauséabonds. Difficile à vrai dire, même pour des politologues, de fixer une ligne de démarcation très claire.

Un morcellement préoccupant

Le résultat de cet élan de colère et d’antipolitisme, au soir du 25 mai, risque pourtant de ne pas être une plus grande lisibilité du paysage politique ni une plus grande clarté des choix posés par le pouvoir, mais bien une bouteille à encre plus grande encore. La dispersion des voix et le morcellement des assemblées risquent en effet de rendre le pays difficilement gouvernable.

Dans chaque Région, plus le score des « petits » sera grand, plus les forces traditionnelles risquent de devoir s’allier pour composer une majorité parlementaire à trois ou à quatre, au risque de ne pas pouvoir rédiger un programme de législature ambitieux tant ils seront influencés par la polarisation accrue des positions. Ce serait là une nouvelle donne majeure dans un camp francophone relativement épargné jusqu’ici par l’apparition de nouvelles forces mettant en péril la stabilité. Or, les défis sont énormes avec le redressement socio-économique à mener en Wallonie et à Bruxelles, lutte contre le chômage, la sixième réforme de l’Etat à mener…

Et au niveau belge, que dire ? Le blocage pourrait, là, être complet tant les résultats sortant des urnes seront inconciliables. Que faire si la Flandre ultra dominée par la N-VA et les conservateurs de droite doit composer avec une Wallonie très à gauche, sous le choc de l’explosion d’un parti marxiste et maoïste ? Soit une rupture aurait lieu, une majorité de droite à l’échelle du pays heurtant de front l’expression populaire wallonne. Soit un consensus le plus large possible – une tripartie ou une quadripartite classique au fédéral – verrait le jour, estimant les petits infréquentables. Le système, alors, se replierait sur lui-même quitte à nourrir encore la colère et les petits partis en voie de devenir grands. Jusqu’à une forme d’éclatement.

Ce n’est pas jouer les oiseaux de mauvais augure que de rappeler comment dans les années 1920, la république de Weimar en Allemagne et sa démocratie parlementaire malade ont fait le lit de courants devenus incontrôlables. Nous n’en sommes évidemment pas à ce stade, même à la lecture des derniers sondages. Mais il peut parfois être utile de savoir où mènent les colères, qu’elles soient passagères ou non.

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