Christian De Valkeneer, procureur général de Liège. © THIERRY ROGE/BELGAIMAGE

« La moitié des dossiers de viol sont classés faute de charges suffisantes »

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Les violences faites aux femmes sont de mieux en mieux prises en compte par le monde judiciaire, police, parquet, tribunaux, estime le procureur général de Liège Christian De Valkeneer qui plaide pour un meilleur suivi des dossiers.

Combien de plaintes pour viol sont-elles enregistrées chaque année dans les parquets ?

Depuis 2010, cela varie entre 3 700 et 4 100 dossiers par an, soit une bonne dizaine de plaintes chaque jour. C’est beaucoup, d’autant que tous les viols ne font pas l’objet d’une plainte. Il existe un chiffre noir sans doute conséquent dont on ne connaît pas l’ampleur.

Combien de plaintes pour viols sont-elles classées sans suite ?

En 2016, l’année la plus récente pour laquelle on dispose de ces statistiques, la moitié des dossiers pour viol enregistrés dans les parquets ont été classés pour des raisons techniques. Il n’y avait pas de charges suffisantes pour pouvoir poursuivre : soit l’auteur est inconnu, soit il manque des preuves matérielles, comme des traces de violence. Les classements d’opportunité, eux, sont très peu nombreux : environ 3 %. Pour tous les autres dossiers, il y a une réaction pénale, essentiellement sous forme de poursuites, le plus souvent une citation directe devant le tribunal.

En matière de viol, il faut établir s’il y a eu pénétration ou attouchement et absence de consentement, c’est cela ?

Oui. La preuve est compliquée à établir. Dans un certain nombre de cas, c’est la parole de l’un contre celle de l’autre. Parfois aussi, la plainte est déposée des mois ou des années après les faits.

Le Code pénal prévoit des peines de dix à quinze ans de prison pour le viol. Dans la réalité, les condamnations sont, en moyenne, moins lourdes. La justice est-elle assez sévère ?

Il faut reconnaître que les juges peuvent tout de même infliger des peines assez lourdes pour ce genre de crime particulièrement grave, en fonction des circonstances. Maintenant, si la peine est importante, le suivi l’est également, une fois que le condamné sort de prison. Je parle du suivi psychologique, mais aussi judiciaire. Dans les dossiers de moeurs, il est essentiel d’assurer une meilleure communication entre tous les acteurs concernés, notamment pour mieux prévenir la récidive.

L’information ne circule-t-elle pas bien aujourd’hui ?

Les condamnations sont insérées tardivement dans la BNG, la banque de données policière. Or, ce genre d’information est cruciale lors d’un contrôle ou lorsqu’une plainte est déposée. En outre, les constats de police mettent six semaines à arriver au parquet… Tout cela est en train de changer, grâce à une application développée par la plus petite zone de police du pays, celle de Comines-Warneton. Cette appli sécurisée permet une circulation rapide des infos, presque en temps réel, entre police, parquet, prison et maison de justice. La police fédérale est en train de la développer pour tout le pays. Cela permet un meilleur contrôle, tout en évitant la stigmatisation des individus qui ont purgé leur peine.

Dans les dossiers de moeurs, il est essentiel d’assurer une meilleure communication entre tous les acteurs concernés.

Existe-t-il des sections spécialisées dans tous les parquets et commissariats ?

Oui. Ce sont parfois des sections communes, moeurs et violences intrafamiliales, parfois distinctes. Avec des policiers et des magistrats de référence. Chez les juges d’instruction, il n’y a pas de spécialisation, ils sont trop peu nombreux. Au niveau du siège, non plus, sauf qu’il faut une chambre à trois juges pour les faits de moeurs, donc, de facto, c’est souvent le même tribunal qui examine ces dossiers. Depuis une bonne année, Liège et Gand mènent une expérience qui permet d’enregistrer une plainte au sein de l’hôpital où la victime d’un viol vient se faire examiner. Une permanence policière y est assurée. Tout est géré en un même lieu. Pour les victimes, c’est plus simple, moins éprouvant. Cela sera évalué par les universités des deux villes avant d’être généralisé.

Les dossiers de violence conjugale sont-ils nombreux ?

En moyenne, 50 000 dossiers de violence intrafamiliale sont enregistrés par an dans les parquets. Ici aussi, il y a un chiffre noir élevé pour lequel on dispose d’une estimation : seulement un tiers des faits sont rapportés à la police. Nous développons actuellement des outils d’évaluation du risque permettant de cerner les cas susceptibles de dégénérer en une escalade de violence, et ce pour éviter les drames mortels qu’on a connus. En Flandre, l’initiative des Family Justice Center, lancée par le ministre du Bien-être, de la Santé publique et de la Famille Jo Vandeurzen (CD&V), est intéressante. Cela consiste à assurer un suivi des situations de violence familiale par un travail de concertation entre tous les intervenants y compris psycho-sociaux, et ce pour envisager la meilleure réaction possible. Côté francophone, on est plus frileux à l’égard de ce genre d’approche décloisonnée.

La circulaire « tolérance zéro » en matière de violence conjugale a-t-elle porté ses fruits, depuis 2006 ?

Elle a été évaluée, il y a deux ans, par Charlotte Vanneste de l’Institut national de criminalistique et de criminologie (INCC) qui a analysé l’impact des décisions du parquet sur plusieurs années. Conclusion : plus la réaction pénale est sévère, plus le risque qu’un auteur revienne dans le système pénal est grand. Par contre, des prises en charge spécifiques de responsabilisation par des asbl comme Praxis donnent de meilleurs résultats. Si la réponse de la justice doit être systématique, elle ne doit pas être uniquement répressive.

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