© Belga

La migration mieux gérée depuis 2010

Le premier rapport de Myria (Centre fédéral Migration) montre que le flux de migrants commençait à diminuer quand la crise irako-syrienne de l’asile a atteint la Belgique.

Longtemps considérée comme une terre de cocagne pour les candidats à l’exil, la Belgique a commencé à rétropédaler lors de la longue crise gouvernementale de 2010-2011 (541 jours d’affaires courantes). Où le Parlement redécouvrit le parlementarisme et engagea des réformes décisives en matière migratoire. Celles-ci furent ensuite reprises et amplifiées par le gouvernement Di Rupo et, actuellement, celui de Charles Michel, mais ce n’est pas encore quantifiable. Si le chaos irako-syrien n’avait pas jeté des centaines de milliers de personnes sur les routes de l’exode, le premier rapport de Myria (Centre fédéral Migration) aurait montré qu’il y avait moyen d’infléchir à la marge une tendance invinciblement à la hausse depuis quelques années : 94 % de migrants supplémentaires entre 2000 et 2011. De quoi montrer à l’opinion publique que la situation n’était pas totalement hors contrôle, en particulier, à ces 61 % de sondés qui trouvent « qu’il y a trop d’immigrés en Belgique ».

En 2014, toutes catégories confondues, Européens (63 %) ou issus de pays tiers (37 %), le flux de migrants ralentissait. La guerre au Machrek a mis fin à cette relative détente, sans que les Etats-hôtes y aient leur mot à dire. L’asile est, en effet, une obligation internationale, et morale, a ajouté la chancelière allemande, Angela Merkel. Jusqu’à présent, le secrétaire d’Etat à l’Asile et la Migration, Theo Francken (N-VA), assume la situation, même s’il lui est reproché, ainsi qu’au précédent gouvernement, d’avoir fermé trop vite des places d’accueil ou, dans ses propres rangs, de se montrer trop social.

En chiffres absolus, l’immigration reste à un niveau élevé : 122 079 premiers titres de séjour ont été délivrés en 2013. L’équivalent d’une grosse commune bruxelloise. C’est néanmoins 26 300 unités de moins qu’en 2010 (140 375). Une diminution pelliculaire mais réelle, suite à la chute de l’asile (1 601 titres de séjour délivrés en 2013 contre 10 994 en 2010) et à celle, plus modeste, du regroupement familial de ressortissants de pays non-européens (22 266 premiers titres de séjour délivrés en 2013 contre 30 546 en 2010).

Ces chiffres, et beaucoup d’autres, figurent dans le premier rapport de Myria. Cette nouvelle institution est l’héritière d’une partie des compétences du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme, ce dernier se transformant en une entité interfédérale de lutte contre toute forme de discrimination. Myria, une quinzaine de personnes, essentiellement des juristes et des démographes, doit informer le gouvernement sur les flux migratoires, défendre les droits fondamentaux des étrangers et, dans un timing différent, présenter chaque année un rapport sur la lutte contre la traite des êtres humains, avec le pouvoir d’ester en justice au nom des victimes.

« Le conseil d’administration de Myria est nommé par le Parlement sur appel à candidatures, lequel a joué le jeu et envoyé des experts motivés au CA, se réjouit François De Smet, directeur de Myria. C’est un organisme indépendant, qui doit pouvoir critiquer le gouvernement. Il veut parier sur l’intelligence des gens, en leur présentant des chiffres et des arguments fiables, sans prétendre détenir la vérité absolue. » Connoté MR (c’est un Hervé Hasquin boy), François De Smet sait de quoi il parle : docteur en philosophie de l’ULB, il a une expérience théorique et de terrain dans l’associatif bruxellois. Avant sa nomination, il avait signé un petit ouvrage de réflexion sur les enjeux de la migration, La Marche des ombres (Espace de libertés), qui explorait les intérêts parfois contradictoires de l’Etat et des individus. Son défi consistera à intervenir dans le débat public sans être instrumentalisé par un parti ou des ONG, alors que, face au sujet qui agite l’opinion publique, Theo Francken (N-VA) campe dans la lignée de Maggie De Block (Open VLD), un personnage hypercommunicant, pragmatique, perçu comme plutôt humain des deux côtés de la frontière linguistique.

Omerta sur les chiffres

Paradoxal, quand on sait que c’est ce même Francken et son homologue libéral au Parlement fédéral, Denis Ducarme, qui, alors que le gouvernement Leterme II était en affaires courantes, ont fait prendre un tournant « droitier » à la politique migratoire belge. « Un soir, j’appelle Theo Francken et on parle du regroupement familial, je lui fais des propositions, on a le feu vert du MR… On a négocié pendant six mois », se remémore le député Denis Ducarme. Le duo noue une alliance inédite avec le CD&V et le SP.A dans le but de limiter le droit au regroupement familial, qui représente alors 52 % des accès légaux au territoire, un record européen. Cette migration d’ayants droit, généralement peu qualifiée, engendre des problèmes d’intégration à répétition et une mise à mal de l’institution du mariage via les mariages forcés-arrangés, « blanc » ou « gris ». La nouvelle législation a imposé des conditions de ressources plus élevées (l’équivalent d’une allocation de chômage) et la fin du regroupement des grands-parents, frères, soeurs, oncles et tantes. D’où cette diminution des « regroupés », entre 2010 et 2013, de 8 280 unités.

Certains députés socialistes s’opposèrent avec virulence à la proposition de loi, mais de moins en moins, au fur et à mesure des négociations pour la formation du futur gouvernement Di Rupo, car ce dernier ne souhaitait pas s’aliéner ses futurs partenaires ni braquer son aile wallonne. L’analyse était la suivante : généreuse en apparence, notre politique se révèle incapable d’assurer un avenir à ceux qu’elle fait profession d’accueillir à bras ouverts. Selon Migration Policy Institute Europe, un institut indépendant financé par des fonds publics, notre pays était alors le recordman des facilités accordées aux étrangers et immigrés mais il était aussi le champion de leur mauvaise insertion professionnelle.

Il régnait alors une omerta sur les vrais chiffres du regroupement familial, jusqu’à ce que le secrétaire d’Etat à l’Asile et la Migration, Melchior Wathelet (CDH), crache le morceau en 2011 : l’année précédente, 41 336 personnes avaient bénéficié d’un regroupement familial. « Nous faisons le choix de la transparence sur cet héritage du passé », déclarait-il alors au Vif/L’Express. Quand le gouvernement Di Rupo fut constitué, Maggie De Block reçut pour mission de lutter contre les abus dans la délivrance de titres de séjour pour motif humanitaire ou familial. Tâche dont elle s’occupa placidement, au point de devenir le personnage politique le plus apprécié de la population.

Les « nouveaux Belges » ont fortement diminué

Aujourd’hui, Myria ne fait mystère d’aucun chiffre, même si ceux-ci s’arrêtent à 2013 et 2014, et que l’actualité de l’asile bouleverse toutes les perspectives, y compris, européennes. Le regroupement familial est toujours la voie royale d’accès au territoire (43 %), loin devant le travail salarié (14 %), mais ce ne sont plus les 52 % du passé. Lorsque des Belges « regroupent » des ressortissants de pays tiers, il s’agit surtout de conjoints (69 %), majoritairement des femmes jeunes, ce qui tend à montrer que les unions « endomixtes » (avec un conjoint du pays d’origine) ont toujours la cote dans certaines communautés d’origine étrangère. La nouvelle législation a cependant freiné l’arrivée de ressortissants « regroupés » en provenance de pays comme le Maroc ou la Turquie (moins 49 %). En revanche, la hausse a été de 7 % pour les citoyens de l’Union européenne (EU), qui sont la majorité des bénéficiaires de regroupement familial (52 %). Avec sa casquette « droits fondamentaux », Myria recommande de mettre en avant « l’intérêt de l’enfant » dans le futur code de l’immigration et de prévoir une voie de recours en matière de regroupement familial devant le Conseil du contentieux des étrangers, une juridiction administrative indépendante qui est l’instance d’appel des décisions de l’Office des étrangers et du Commissariat général aux Réfugiés et aux Apatrides.

Autres chiffres révélateurs d’un durcissement de la politique migratoire au sens large du terme : les « nouveaux Belges » ont fortement diminué depuis 2012 (moins 43 %). De 45 433, ils sont passés à 25 816, quelle que soit la voie légale utilisée (attribution de nationalité, acquisition ou naturalisation) pour devenir belge. Les principaux « nouveaux Belges » ont la double nationalité marocaine (17 %), turque (5 %) et italienne (5 %). L’accord de gouvernement prévoyant l’extension des cas de déchéance de nationalité pour des binationaux ayant commis certains délits (dont la participation à un groupe terroriste), Myria demande des garanties de proportionnalité et d’opportunité.

2014, année-charnière

Le nouveau Centre fédéral Migration ne réclame pas de régularisation massive pour les sans-papiers mais il insiste pour que des critères clairs de régularisation soient inscrits dans le futur code de l’immigration. Une revendication a minima de toutes les ONG afin de limiter le pouvoir de l’administration (Office des étrangers) aux situations exceptionnelles ou imprévues. La politique plus restrictive menée par Maggie De Block a conduit au chiffre le plus bas de ces dix dernières années en matière de demande de régularisation médicale ou humanitaire : 9 867 en 2014. Le taux d’approbation (1548 réponses positives) a chuté de 19 % par rapport à 2013.

Quant aux bénéficiaires du statut de réfugié, une enquête cofinancée par Myria et le SPF Politique scientifique (Careers, ULB, KUL) révèle que la proportion d’actifs sur le marché du travail (salariés, indépendants, chômeurs) passe de 19 %, au moment de la reconnaissance du statut, à 55 %, quatre ans plus tard. Durant la même période, la part des réfugiés dépendant des aides sociales se réduit de 57 % à 25 %. Ces indications sont de nature, dans l’esprit de Myria, à réduire aussi la part de préjugés dans l’opinion publique.

2014 a été une année-charnière. Les demandes d’asile sont reparties lentement à la hausse, tandis qu’elles explosaient dans les pays voisins. Le cas des demandeurs d’asile syriens est relativement limpide. « Ils ont environ 90 % de chance d’être reconnus comme réfugiés politiques en Belgique, prédit François De Smet. L’Europe ne prend qu’une toute petite part, 8 %, de l’accueil des réfugiés dans le monde et, sur le plan de l’UE, on compte un demandeur d’asile pour 1 000 habitants. D’après le HCR (NDLR : Haut commissariat des Nations unies pour les Réfugiés), on compte 59 millions de personnes déplacées sur la planète, le chiffre le plus élevé depuis la Seconde Guerre mondiale. Entre 2012 et 2013, le nombre de demandes d’asile en Belgique était en baisse. En 2014, il y a eu une légère hausse, 8 %, alors qu’elle atteignait 44 % dans toute l’Europe. Voyant l’aggravation de la guerre en Syrie et en Irak, sachant que la demande pouvait repartir, on n’aurait pas dû supprimer autant de places d’accueil. »

Le nouvel avocat institutionnel des étrangers apporte sa contribution au débat. « Le système Dublin, qui oblige le pays d’entrée à traiter la demande d’asile, n’est-il pas dépassé, s’interroge le directeur de Myria ? L’Europe ne devrait-elle pas ouvrir des canaux de migration économique et intégrer à cette question le problème de son vieillissement démographique annoncé ? Le droit des enfants ne devrait-il pas primer sur toute autre considération, en ce compris l’enfermement des familles en centres fermés ? » Il ne faudra pas attendre le prochain rapport de Myria pour que la « réunion d’urgence » des ministres européens de l’Intérieur, le 14 septembre prochain, offre quelques débuts de réponse.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire