Fayçal Cheffou © Capture d'écran YouTube

« La lutte contre le terrorisme ne justifie pas tous les excès »

Fayçal Cheffou, suspecté à tort d’être « l’homme au chapeau », compte porter plainte contre la police fédérale et la prison de Forest pour les mauvais traitements qu’il aurait subis.

Fayçal Cheffou, suspecté à tort d’être « l’homme au chapeau » recherché après l’attentat du 22 mars à l’aéroport de Bruxelles mais toujours sous le coup d’une inculpation, a l’intention de porter plainte contre la police fédérale et la prison de Forest pour les mauvais traitements qu’il aurait subis durant ses quatre jours de détention, du jeudi 24 mars à 18h00 au lundi 28 mars à 17h00, a-t-il fait savoir mercredi à l’agence Belga. Il ne déposera toutefois plainte que lorsque son inculpation sera levée.

M. Cheffou déclare n’avoir reçu ni à boire ni à manger durant ses 41 heures de garde à vue dans les locaux de la police fédérale, situés rue Royale. Seul un policier lui aurait donné à titre privé sa petite bouteille d’eau et ses deux bananes. Il précise ne pas contester la fouille intégrale, ni la confiscation de ses vêtements pour analyses avec fourniture compensatoire d’une salopette.

Face à son agitation et après qu’il eut recouvert une caméra de surveillance le vendredi 25 mars, vers 21h00, en vue d’obtenir des informations sur son dossier, il avance qu’environ sept policiers l’ont tabassé lumière éteinte jusqu’à évanouissement et lui ont enlevé sa salopette. Il dit avoir passé la nuit nu contre son gré, mais concède qu’un policier lui a donné une couverture après quelques heures.

Lors de son transfert vers la prison de Forest le samedi 26 mars au matin, son refus d’obtempérer sans discussion lui vaudra, selon lui, des coups supplémentaires et l’imposition d’une arme chargée sur la tempe. Après avoir constaté que son premier repas de samedi à la prison était recouvert de crachats, il a décidé de ne plus s’alimenter pour le reste de son séjour.

Considérant la dangerosité potentielle liée à ses chefs d’inculpation, la médiatisation et le risque de prosélytisme, la direction a instauré des mesures particulières, notamment le retrait des objets contondants et l’observation du détenu durant la journée et la nuit. Fayçal Cheffou dénonce qu’un responsable lui a ostensiblement laissé le rasoir en lui faisant des sous-entendus explicites et que les gardiens ont allumé la lumière et fait du bruit tous les quarts d’heure durant la nuit pour l’empêcher de dormir.

Sans se prononcer sur le cas particulier de l’intéressé qui sera du ressort du Comité P une fois l’enquête ouverte, la porte-parole de la police fédérale explique qu’il n’y a pas de directives spéciales pour les suspects en terrorisme. Les mesures de sécurité dépendent des risques potentiels. Dans les matières terroristes, elles sont en conséquence accrues. La police fédérale assure que des repas sont donnés aux heures de table normales, matin, midi et soir.

La porte-parole de l’administration pénitentiaire, Kathleen Van De Vijver, ne peut pas non plus se prononcer sur son cas particulier. Elle précise que les mesures sont prises au cas par cas et que les surveillances nocturnes ne vont pas jusqu’à réveiller délibérément les détenus: « Le personnel est formé pour voir un réflexe, si la personne respire ou bouge. »

La Ligue des droits de l’Homme soutient Cheffou

« La lutte contre le terrorisme ne justifie pas tous les excès », a déclaré mercredi Alexis Deswaef, le président de la Ligue des droits de l’Homme (LDH), en réaction aux révélations de Fayçal Cheffou.

Celui-ci a été interrogé avec d’autres détenus pour terrorisme par Human Rights Watch (HRW) dans le cadre d’un rapport sur la gestion des attentats de Paris et Bruxelles attendu fin octobre. Amnesty International investigue actuellement de manière plus large sur les mesures anti-terrorisme.

Concernant le prétendu passage à tabac de M. Cheffou en cellule, Alexis Deswaef fait état de plaintes similaires: « Dans un tiers des cas qui nous sont signalés via notre nouveau site ObsPol (Observatoire des violences policières), les violences policières ont lieu dans les commissariats, quand la personne est déjà sous contrôle et maîtrisée ou dans la voiture de police quand les personnes sont déjà menottées. C’est évidemment inacceptable. »

S’il n’y a pas de mesures généralisées qui portent atteinte aux droits des détenus, M. Deswaef estime que des dérives dans les pratiques peuvent nuire à la dignité des personnes: « On peut fouiller une personne à nu, mais il n’y a aucune raison de maintenir une personne nue dans une cellule. (…) On peut aller jusqu’à surveiller tous les quarts d’heure un détenu en cellule pour éviter un suicide, mais le but n’est pas de priver la personne de sommeil, seulement de vérifier que la personne dort toujours. La privation de sommeil est un traitement inhumain et dégradant utilisé comme technique de torture par certains régimes dictatoriaux. »

« Il y a des mesures de surveillance accrues, mais on doit faire attention: la lutte contre le terrorisme ne justifie pas tous les excès. Les droits de l’Homme sont garants de l’efficacité de la lutte contre le terrorisme », ajoute le président de la LDH.

Fayçal Cheffou a été remis en liberté sans condition le lundi 28 mars dernier, après seulement quatre jours de détention.

Pour M. Deswaef, son cas illustre aussi l’utilité du juge d’instruction qui instruit à charge et à décharge: « Notre ministre de la Justice prépare une réforme où il veut justement supprimer la fonction de juge d’instruction. Pendant des décennies, on s’est battu pour qu’on ne puisse pas être privé de liberté arbitrairement et que ce soit justement un juge indépendant qui statue sur la détention ou la remise en liberté de quelqu’un », conclut-il.

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