"J'ai reçu, cette année, un nouveau costume et un nouveau bureau!" © JAMES ARTHUR GEKIERE/belgaimage

La lettre de Charles Michel à saint Nicolas

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Il a quitté la politique belge pour s’en aller diriger l’Union européenne, mais il n’en a pas oublié son dernier devoir pour autant: envoyer sa commande au patron des enfants sages. Le Vif/L’Express a intercepté la lettre de Charles Michel à saint Nicolas, tout juste avant la nuit du 6 décembre.

« Cher saint Nicolas,

Je dois d’abord te présenter des excuses. C’est la première fois que je t’écris, alors qu’on arrive au 43e 6 décembre de ma vie. Je sais, c’est fou, mais c’est un énorme malentendu.

En fait j’ai toujours cru que tu n’existais pas, depuis tout petit. J’ai été trompé par mes parents. A Jodoigne, mon petit frère Mathieu et moi on recevait toujours plein de cadeaux d’un gentil bonhomme un peu rougeaud, avec sa barbe blanche et sa grosse voix chaleureuse.

Il nous faisait très peur au début, mais qu’est-ce qu’on l’aimait! Je me rappelle encore, et pourtant là j’étais vraiment tout petit, quand il m’a offert cette place sur la liste du PRL dans l’arrondissement de Nivelles: j’avais 23 ans, je croyais encore à plein de choses farfelues comme le libéralisme social et il me faisait cadeau d’un mandat de député fédéral. Cinq ans avant, j’avais déjà reçu un siège de conseiller provincial, c’était sympa, il y avait tout plein de dames et de messieurs très gentils qui n’arrêtaient pas de me demander comment j’allais et de remettre leur bonjour à mon papa, mais c’était quand même moins rigolo que la Chambre avec ses fauteuils en velours, ses gens importants qui y allaient et venaient, et ses gens moins importants habillés dans de très beaux costumes avec des gants blancs qui vous servaient du café et tout ce que vous vouliez (à l’époque maman ne voulait pas que je boive du café parce que ça me rendait nerveux, elle disait, mais je m’en fichais parce que j’aimais pas le café, je préférais le Fristi).

« Je connais ce Ducarme depuis longtemps. Mon petit papa aussi. »© JAMES ARTHUR GEKIERE/belgaimage

Même pas un an plus tard, alors que j’étais toujours très petit mais un peu moins, le gentil bonhomme rougeaud avec sa barbe et sa grosse voix m’avait fait cadeau d’une très belle panoplie de ministre. Il y avait tout dedans, comme les vrais! Le cabinet, le bureau, la berline de fonction avec un chauffeur dedans, le salaire, le gros ministre-président qui vous crie dessus avec son accent de Charleroi, les autres qui se bagarrent après avoir bu beaucoup de vin et qui se crient dessus avec leur accent de Liège. Vraiment très chouette! Et le barbu avait même fait croire que ce n’était pas lui mais, je crois bien, son âne – en tout cas il le trouvait très bête -, qui m’avait apporté ce cadeau. Je m’en souviens bien parce qu’il s’appelait Ducarme, et que je connais un autre Ducarme que je trouve très bête. Puis il m’avait aussi ramené un autre costume de ministre, le même que le sien mais plus petit, « coopération au développement », ça s’appelait, et c’était très chouette parce que lui il était commissaire de la même chose et qu’il avait une très grosse hotte.

Après ça encore, avec quelques copains, il s’était arrangé pour m’offrir une super chouette surprise: le déguisement de Grand Schtroumpf qui était le sien il y a longtemps et que lui avait piqué un Schtroumpf à lunettes que personne ne trouve très bête mais que tout le monde trouve très méchant et qui s’appelle Reynders. Qu’est-ce qu’on avait rigolé! Qu’est-ce qu’on aime le faire bisquer, celui-là!

Enfin bref, j’étais tout jeune et j’étais encore très naïf, comme tu vois, mais tu dois savoir que ce bonhomme rougeaud avec sa barbe blanche et sa grosse voix il impressionnait vraiment tout le monde. Je me rappelle encore quand il avait mis dans les petits souliers de Mathieu, un matin, une mandarine, un massepain et un mandat de député provincial. Qu’est-ce qu’il avait été content, Mathieu! Il était encore tout petit: à peine 27 ans! Qu’est-ce qu’on avait ri! Et qu’est-ce qu’on l’aimait, Mathieu et moi, ce bonhomme rougeaud avec sa barbe blanche!

Mais maintenant, j’ai grandi. Je l’aime encore, bien sûr, mais j’ai grandi, moi, et je n’ai plus l’âge de croire à ces gamineries. Ce bonhomme rougeaud à la barbe blanche et à la colère bleue, avec sa grosse voix chaleureuse et ses cadeaux généreux n’était pas un saint patron, c’était le papa de Mathieu, et le mien.

C’est pour ça que je m’adresse à toi, dont les experts les plus fiables, et pas seulement ceux du Centre Jean Gol que j’ai engagés, ni mon porte-parole que j’ai engagé et puis qui est parti à Monaco, me disent que tu existes vraiment, et que tu combles les enfants sages de cadeaux. Or, il se fait que, selon les experts les plus fiables du Centre Jean Gol que j’ai engagés mais aussi selon le porte-parole que j’ai engagé avant qu’il parte à Monaco, je suis tellement sage que j’ai comblé la Belgique de cadeaux, depuis quelques années. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai reçu, cette année, un nouveau costume et un nouveau bureau qui sont encore plus grands. Alors je me permets de te demander quelques cadeaux pour justement que j’arrive à ce nouveau travail dans les meilleures conditions. C’est pourquoi je voudrais notamment te demander:

Une Union européenne qui se saisisse des enjeux de notre temps.

Une Commission qui mette les mains dans le cambouis.

Un Parlement qui fasse bouger les lignes.

Des chefs d’Etat et de gouvernement soucieux de l’intérêt général.

Des Carambar à la fraise avec des blagues comiques.

« Avec mes amis on a déjà pas mal reçu de cadeaux de bienvenue, mais… »© JAMES ARTHUR GEKIERE/belgaimage

Je sais que la liste est longue, saint Nicolas, et certaines demandes pourraient te sembler impossibles à combler, surtout celle des blagues comiques dans les Carambar à la fraise, et aussi compte tenu des délais très courts courant entre l’envoi de cette lettre et l’échéance de ta fête patronale. Je sais aussi que je ne les dois pas à toi, saint Nicolas, ni à mon papa à la barbe blanche, ce nouveau costume et ce nouveau bureau, mais uniquement à mes immenses qualités personnelles, à mon bilan que tout le monde envie ainsi qu’à un copain de Paris qui me regarde toujours avec un sourire bizarre au coin des lèvres, Emmanuel, il s’appelle. Mais je sais aussi que tu as encore pas mal d’influence ici-bas, et puis, merde, s’il y a bien quelqu’un qui le mérite parce qu’il a été sage, c’est moi. Par contre, je ne sais pas si tu suis tellement que ça l’actualité des adultes dans le monde réel, alors je me permets de sobrement te dresser mon bilan moral, politique et économique, afin que tu puisses te rendre compte que tes prochaines libéralités à mon endroit ne seront nullement indues (et en particulier les Carambar).

Il y a cinq ans et neuf mois, j’avais dit très clairement et sans ambiguïté qu’il était hors de question que le parti que je dirigeais grâce au bonhomme rougeaud à la barbe blanche qui n’était pas toi et qui passe à la télévision le vendredi soir pour dire du bien de moi, ce grand parti libéral baigné de l’esprit des Lumières qui avait accompagné tous les grands progrès de notre histoire, le mien, donc, de parti, s’allie au plus obscurantiste des nationalismes.

Et puis, il y a cinq ans et neuf mois, j’avais dit très clairement et sans ambiguïté qu’il était hors de question que le parti que je dirigeais ne s’associe pas avec des nationalistes avec qui nous étions d’accord sur presque tout afin de donner au pays les réformes dont il avait un criant besoin après toutes ces années où nous avions été au pouvoir avec les plus obscurantistes des socialistes.

C’est alors que j’ai courageusement engagé le pays sur le nécessaire chemin des réformes, réformes rendues indispensables par le retard accumulé à cause des socialistes obscurantistes qui avaient eu tout à dire dans ce pays depuis des millénaires, et c’est alors aussi que d’extraordinaires résultats vinrent couronner cette action résolue.

Juge plutôt, cher grand Saint rougeaud à la barbe blanche: le déficit nominal du budget avait été divisé par trois, 230.000 emplois avaient été créés (grâce à mon idée de Jobs, jobs, jobs), la pression fiscale avait été diminuée aussi bien sur les personnes physiques que pour les sociétés (grâce à mon idée de tax-shift), nous avions tous ensemble surmonté les affreux attentats terroristes qui avaient frappé le pays, et c’est ainsi que le pays était apaisé, le danger populiste jugulé, et je ne croyais plus que Louis Michel descendait du ciel avec des jouets par milliers. Bien sûr, il y avait des gens de mauvaise foi pour contester ce bilan, mais ce ne sont que des jaloux. Les experts du Centre Jean Gol et aussi mon porte-parole me l’ont confirmé (mais avant qu’il ne parte pour Monaco). La preuve que mon bilan est excellent, c’est que ce n’est qu’une fois que je suis parti qu’on s’est aperçu que la Belgique était le seul pays d’Europe où les salaires réels avaient baissé, avec la Grèce, depuis 2014, que la croissance y avait été plus basse que la moyenne de la zone euro, que la proportion de travailleurs pauvres avait augmenté de 16%, qu’à politique inchangée le déficit budgétaire s’élèverait à 12 milliards d’euros en 2024, que le vote séparatiste était passé de 38 à 43% des voix en Flandre, et que les électeurs d’extrême droite avaient triplé de volume en cinq ans.

« Je sais me montrer reconnaissant, regarde avec Georges-Louis. »© JAMES ARTHUR GEKIERE/belgaimage

C’est donc bien que sans moi tout va mal, et donc qu’avec moi tout allait bien, non? Même si, je l’avoue, un pacte scellé entre les obscurantistes nationalistes et les obscurantistes socialistes, il y a tout juste un an, m’avait forcé à une démission injuste. J’avais bien prévenu qu’on ne pouvait pas se fier à ces pleutres incapables de prendre leurs responsabilités. Mais voilà, ils n’en ont fait qu’à leur tête, mais tant pis pour eux, après tout. Car moi, après avoir brillamment mené mon parti à une espèce de triomphe électoral, ce qui me valut d’être promu à une haute fonction européenne (je ne me rappelle plus si je te l’ai déjà dit), et après les avoir appelés à renoncer à leur programme, car « s’accrocher à son programme électoral, c’est faire preuve de manque de courage », je peux donc m’en aller apaiser le continent et sauver le climat l’esprit tranquille.

C’est pourquoi je sollicite ton aide.

Ne foire surtout pas pour les Carambar et je saurai me montrer reconnaissant (demande à Georges-Louis ou à mon porte-parole qui est parti à Monaco).

Charles Michel,

Conseil européen

Rue de la Loi, 175

1000 Bruxelles

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