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La justice « tend à devenir un bien de luxe »

De moins en moins accessible, de moins en moins efficace: la justice est à la peine, alerte le collectif Tam-Tam dans sa nouvelle campagne lancée lundi.

En cause, d’après les associations et experts qui le composent: des réformes inspirées par le néolibéralisme, aux motifs avant tout budgétaires. Pourtant, lorsqu’il s’agit de mettre en place une assurance juridique privée avec un incitant fiscal qui bénéficiera surtout aux plus aisés ou une Cour fonctionnant en anglais pour les entreprises internationales, le gouvernement fédéral trouve de l’argent. « Agissons/Kom in actie », suggère Tam-Tam aux citoyens.

Après la thématique de la santé et avant celle du travail, la septantaine d’associations et personnalités de tout le pays réunies dans le projet a choisi d’interpeller sur l’évolution de la justice, un service public « empêché ». Diffusée notamment sur les réseaux sociaux, la vidéo qui résume son plaidoyer sera accompagnée de témoignages, débats et outres outils de sensibilisation ces prochains jours.

En Belgique, le budget consacré à la justice est l’un des plus faibles d’Europe: 0,5% du PIB en 2015, contre une moyenne de 2,2%. Malgré une situation déjà difficile, le gouvernement Michel lui a imposé un plan d’austérité de 20% en quatre ans.

Pour le magistrat et professeur Jean-François Neven, qui a participé à la rédaction d’un état des lieux pour Tam-Tam, « la justice est un pouvoir négligé ». Les pressions budgétaires croissantes mettent en péril son indépendance, d’autant plus que le pouvoir exécutif a maintenant la possibilité d’imposer des objectifs chiffrés au pouvoir judiciaire. Les cadres ne sont respectés qu’à concurrence de 85% environ, mais le ministre de la Justice Koen Geens assume de violer la loi sur ce point, s’est insurgé M. Neven lors d’une conférence pour présenter l’action à la presse.

Parallèlement, la justice « tend à devenir un bien de luxe », dénonce le groupement: fin de l’exemption de la TVA de 21% (« mais ça vaut pour les ménages, pas pour les sociétés qui déduisent la TVA », dixit le président de la Ligue des Droits de l’Homme Alexis Deswaef), hausse sensible des droits de greffe,…

Pour les plus pauvres, l’octroi de l’aide juridique a été restreint et compliqué par des formalités administratives. Un ticket modérateur a été instauré: 20 euros lors de la désignation d’un avocat, 30 euros pour engager une procédure.

« Le gouvernement se réjouit d’une diminution de 23% du recours aux avocats pro deo. Mais pense-t-on vraiment qu’il y avait une surconsommation de 23%? Ou a-t-on simplement exclu des personnes déjà déboussolées? On est en train de rendre invisible toute une frange de la population », estime Achilvie Dockethd, porte-parole de la plateforme Justice pour tous.

Quand ils ne renoncent pas, de plus en plus de justiciables se défendent seuls. Ce qui entraine des audiences plus longues et plus de reports, constatent en outre les acteurs du monde judiciaire impliqués dans la campagne. Cela pose aussi un vrai problème d’égalité des armes.

« Les familles ont de plus en plus besoin de la justice et y ont de moins en moins accès », appuie Delphine Chabbert, secrétaire politique de la Ligue des familles. Sans parler des délais, indécents quand on attend des décisions qui touchent au quotidien.

« La justice civile est inaccessible aux démunis et à une partie de la classe moyenne, tandis que la justice pénale n’a les moyens de se concentrer que sur cette catégorie de la population car elle n’a ni les budgets ni les effectifs ou l’expertise pour sanctionner dans un délai raisonnable la délinquance économique et fiscale », résume le document d’analyse publié sur le site de la campagne (www.campagnetamtam.be).

Or si la justice ne joue plus son rôle de pacificateur social, c’est la violence qui va prendre le dessus, craignent les participants au projet Tam-Tam.

Derrière cette campagne se trouvent 72 associations (Tout autre chose, la Ligue des familles, les mutualités et syndicats chrétiens et socialistes, …) et représentants du monde académique, de la culture, de la justice ou encore étudiant. Leur objectif est de créer « des espaces d’information et d’expression » pour produire un contre-discours face aux réformes néolibérales qui « démantèlent le modèle social belge ».

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