Hendrik Vos

La Grèce à la Meuse

IL ARRIVE RAREMENT QUE, PARTOUT EN Europe, le grand public aborde le même sujet. Il n’y a pas de sphère publique européenne, disent les universitaires.

Or la crise de l’euro fait exception : il y va de notre prospérité et de notre argent. Cela touche tous les Européens au même moment. Or, d’un pays à l’autre, le débat n’est pas le même. L’Allemagne et les Pays-Bas soulignent qu’il y a des limites à la solidarité avec les gaspilleurs du Sud. Les Grecs et les Espagnols, eux, se sentent très mal à l’aise à l’annonce des oukases que leur impose le Nord en matière d’économies budgétaires.

Les médias flamands expliquent assez objectivement la situation. Mais les courriers que reçoivent les rédactions des journaux et les forums néerlandophones sur Internet laissent entendre la voix du grand public, qui est moins nuancée. La situation en Belgique est un sujet de prédilection. La Wallonie y est qualifiée de Grèce à la Meuse. Les Wallons seraient mal organisés, paresseux et corrompus. Ils compteraient sur la solidarité de ceux qui sont économes et travaillent dur. Mais les courriers des lecteurs pèchent généralement par leur manque de subtilité. Si la crise de l’euro est omniprésente dans les médias européens, la nature de l’information diffère spectaculairement selon les Etats membres. Les caricatures font florès et la situation est présentée plus simplement qu’elle ne l’est en réalité. C’est fort dommage, parce que la crise grecque nous montre clairement à quel point le monde est devenu compliqué.

D’abord, il est très difficile de connaître la cause exacte des problèmes. En tout cas, affirmer que les Grecs ont vécu au-dessus de leurs moyens n’est pas une réponse suffisante. Le Grec moyen n’a jamais atteint notre niveau de vie. Les Grecs ont surtout beaucoup emprunté, entre autres chez Dexia. Ainsi ont-ils pu acheter des produits de chez nous, ce qui a fait tourner notre économie. Les entreprises allemandes ont fait d’excellentes affaires avec les Grecs, qui réglaient leurs factures avec l’argent que leur prêtaient les banques allemandes.

Ensuite, la crise montre à quel point les pays sont pieds et poings liés les uns aux autres. Ce n’est pas par sympathie ou miséricorde que les pays riches ont créé un fonds de secours et épongé des dettes. Au contraire, ils ont agi par calcul. La faillite de la Grèce aurait entraîné dans sa chute le reste de l’Union et, par extension, le monde entier. L’intégration européenne a fait que les veines des économies nationales traversent les frontières. Dans la zone euro, nous sommes fouettés comme des £ufs. Impossible de revenir au stade d’£ufs intacts. Donc, les problèmes d’un pays deviennent inévitablement ceux des autres pays. Ensemble, nous devons chercher des solutions.

Les dirigeants européens s’y appliquent déjà depuis deux ans, en tâtant et en ramant. Les remèdes les plus évidents, comme la création d’euro-obligations, ne se concrétiseront pas de sitôt. Certains leaders manquent des appuis indispensables dans leur pays. Après tout, Angela Merkel doit être élue en Allemagne et non en Grèce.

Voilà le paradoxe actuel : si l’Europe veut sortir du pétrin, une coopération plus solide et une Union plus costaude s’imposeront fatalement. Mais la démocratie européenne reste encore organisée, pour la plus grande partie, au niveau des Etats ou des régions. La loyauté du peuple s’adresse à l’Etat qui est le sien. Mais la gouvernance, à moins de devenir insignifiante, doit être transférée à un niveau supérieur. Car là se trouvent les solutions aptes à répondre aux défis d’aujourd’hui. Si nous voulons sauver la démocratie, il nous faudra désormais l’organiser d’une autre manière.

Hendrik Vos, Directeur du centre d’études européennes de l’université de Gand

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