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La gauche doit-elle redevenir anticléricale ?

L’historien Jean-Philippe Schreiber (ULB) sort du bois. Dans La Crise de l’égalité (Espace de Libertés), il dénonce les errements de la gauche en matière de multiculturalisme.

Intellectuel discret mais très actif, directeur adjoint du Centre interdisciplinaire de l’étude des religions et de la laïcité (ULB), Jean-Philippe Schreiber intervient dans le débat public sur le retour du religieux dans l’espace public avec l’originalité de son regard d’historien et son expérience du dialogue interculturel.

Le Vif/L’Express : « Nous vivons une époque de régression », écrivez-vous…

Jean-Philippe Schreiber : C’est une inquiétude que je ressens depuis une quinzaine d’années. J’observe une régression généralisée dans plusieurs domaines, comme si la démocratie que nous avions construite depuis deux siècles avait atteint un pic et se trouvait sur la pente descendante. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne l’égalité. On a cru compenser les inégalités sociales qui frappent lourdement les immigrés, souvent issus de pays musulmans, par la satisfaction de revendications particularistes, souvent religieuses, au détriment des valeurs démocratiques de progrès. Tout cela débouche sur une société plus fragmentée.

Cette diversité n’est-elle pas bel et bien une réalité ?

Le regard de l’historien permet de dire que l’Europe n’a jamais été cet ensemble homogène blanc, chrétien et hétérosexuel que d’aucuns se plaisent à présenter. Notre société a toujours été multiculturelle ; elle a toujours intégré des gens très différents, notamment quand ceux-ci quittaient la campagne pour la ville ou migraient. Au niveau individuel, nos identités sont multiples et mouvantes. Reconnaître des groupes culturels revient à figer les personnes dans une identité déterminée, ce qui est contraire à notre tradition humaniste. Si nous abandonnons nos idéaux démocratiques de liberté, d’égalité et de fraternité, tout se délitera, rien ne reliera plus les gens entre eux que le consumérisme.

Vous demandez que la gauche redevienne anticléricale. Pourquoi ?

Plus encore que l’intégrisme, le conservatisme religieux s’insinue partout, parce qu’il profite de la régression que je viens de décrire. Il y a vingt ans, une question comme celle d’une loi sur le blasphème, qui vient aujourd’hui de tous les horizons confessionnels, aurait paru obsolète. J’ai voulu montrer pourquoi l’anticléricalisme restait d’actualité. Ce n’est pas une attaque contre les croyants mais contre les lobbys religieux qui veulent nous faire revenir en arrière. Je ne suis pas un laïque militant. La laïcité doit être repensée. Elle ne doit pas devenir identitaire à la manière de ceux qui la dévoient, comme Riposte laïque, très à droite, ou Marine Le Pen. Selon moi, la laïcité est forcément progressiste, et le progressisme est forcément universaliste. Je suis inquiet quand je vois une partie de la gauche, parce qu’elle a trouvé son nouveau prolétariat, s’accommoder du conservatisme religieux et encenser Tariq Ramadan, qui est le symbole même de la confusion entre engagement social et repli identitaire.

Nos intellectuels et le milieu associatif n’ont-ils pas soutenu cette tendance ?

Depuis dix ou quinze ans, j’ai en effet observé que, dans les débats portant sur le multiculturalisme, une grande partie des experts belges promouvaient une intégration de la diversité culturelle dans le droit, ce qui m’inquiète.

ENTRETIEN : MARIE-CÉCILE ROYEN

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