Claude Demelenne

« La gauche doit défendre les droits des prostituées »

Claude Demelenne essayiste, auteur de plusieurs ouvrages sur la gauche

Seraing abandonne son projet d’Eros Center. Victime du harcèlement des féministes sectaires. Victime aussi de l’hypocrisie de certains « progressistes » qui veulent faire disparaître les travailleuses du sexe de l’espace public. Plus que jamais, la gauche doit défendre les droits des prostituées.

Seraing abandonne son projet d’Eros Center. Victime du harcèlement des féministes sectaires. Victime aussi de l’hypocrisie de certains « progressistes » qui veulent faire disparaître les travailleuses du sexe de l’espace public. Plus que jamais, la gauche doit défendre les droits des « putes ».

L’Eros Center de Seraing ne verra pas le jour. Il devait offrir – enfin ! – de meilleures conditions de travail aux personnes qui se prostituent aujourd’hui, en vitrine, dans un lieu sordide, l’impasse de la rue Marnix et ses bicoques pourries. Conçu comme un lieu sécurisé et aussi confortable que possible pour les travailleuses du sexe (TDS), l’Eros Center a été « assassiné » par une curieuse coalition de culs bénits puritains, de féministes dogmatiques et de « progressistes » en croisade pour l’ « éradication » de la prostitution.

Le Conseil des Femmes francophones fait tout de travers

Depuis des années, les défenseurs de l’Eros Center ont été harcelés, traînés dans la boue, caricaturés en « proxénètes », en « complices de violences faites aux femmes ». Depuis des années, une véritable campagne réactionnaire a été orchestrée par le Conseil des Femmes francophones de Belgique (CFFB), afin de discréditer l’Eros Center de Seraing, à coup d’interventions tonitruantes dans les médias, de recours et de plaintes en justice. Ce lobby qui s’oppose à tout progrès social en faveur des TDS est également monté au front sans aucune nuance lorsqu’il fut question de construire un Eros Center à Liège.

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Les féministes du CFFB sont les reines de l’amalgame. Comme tous ceux qui propagent des thèses simplistes, elles portent des oeillières. Elles font semblant d’ignorer qu’il n’y a rien de commun entre la traite des êtres humains – qui est une horreur – et l’achat de services sexuels entre adultes consentants. Il faut pourchasser impitoyablement la traite, qui est un délit, et permettre aux TDS indépendant-e-s d’exercer leur métier dans les meilleures conditions, d’hygiène et de sécurité notamment. Les féministes du Conseil des Femmes font tout de travers. Plutôt que de concentrer leurs efforts sur la lutte contre la traite – domaine dans lequel elles ne brillent guère – elles mobilisent l’essentiel de leurs énergies pour contrer toute initiative visant l’amélioration du quotidien des TDS (Eros Center, obtention d’un statut comme tous les autres travailleurs…).

Les errements d’une certaine gauche

La gauche devrait être en première ligne pour défendre les droits des TDS, souvent parmi les plus précarisé-e-s. Hélas, ce n’est pas le cas. Faute de réussir à moraliser le capitalisme, certains « progressistes » ont trouvé un combat de substitution : ils veulent moraliser les comportements sexuels, ce qui implique à leurs yeux de criminaliser l’achat de services sexuels entre adultes consentants. Cette criminalisation débouche sur un véritable interdit professionnel et une catastrophe sanitaire. La chasse aux clients, traités de « pervers » et de « viandards », empêche de facto les TDS de travailler, sauf à choisir la clandestinité. Ce qui représente le pire des scénarios selon la quasi totalité des associations de terrain (ONU-Sida, Médecins du Monde, Organisation Mondiale de la Santé, Amnesty International…).

Une partie de la gauche a rejoint le camp des conservateurs puritains. Elle est aux abonnés absents pour défendre les droits des TDS. Cette gauche-là propage les mêmes contre-vérités que les féministes dogmatiques. En vrac : tout rapport sexuel tarifé serait une violence faite aux femmes (étrangement nul ne parle des hommes qui se prostituent, pas moins de 20% des TDS à Bruxelles, par exemple). Pas moins de 80% des personnes prostituées seraient issues de réseaux criminels. Une majorité d’entre elles auraient été victimes d’un viol. Un document diffusé début 2018 par deux ministres de gauche – Isabelle Simonis et Jean-Claude Marcourt – précisait même qu’ « à Londres, le taux de mortalité des personnes prostituées est douze fois plus élevé que la moyenne nationale ». D’énormes fake news qui ont un seul objectif, démontrer qu’il faut « pour le Bien des TDS » interdire à terme le sexe tarifé. Sans jamais proposer une alternative à ces TDS qui seraient privés de boulot, donc de moyens de survie.

Police des moeurs

Une certaine gauche développe une approche tout sauf sociale de la réalité de la prostitution. Plutôt que de faire oeuvre de pragmatisme et d’aider les TDS à obtenir des droits, cette gauche-là semble préférer la mise en place d’une police des moeurs qui ne dit pas son nom.

A gauche comme à droite, une autre attitude cynique se répand : beaucoup d’élus n’émettent aucune considération morale dans leur opposition au sexe tarifé, à condition que les TDS deviennent invisibles, qu’ils soient éloignés des centre-villes et exercent leurs activités à l’abri du regard des citoyens. Le refoulement des TDS à la périphérie de la Cité est aussi lié à l’émergence de mega projets immobiliers prétendument inconciliables avec les « nuisances » générées par la prostitution de rue ou de vitrine.

Pour une gauche pragmatique

Réputé pragmatique, le bourgmestre socialiste de Liège, Willy Demeyer, vient de se déclarer favorable à la création d’une « Zone P » où la prostitution serait autorisée, dans des conditions de sécurité maximales. A condition de ne pas être trop éloignée du centre ville, cette « Zone P » peut être, comme l’Eros Center, un élément de solution pour une partie des TDS.

La gauche ne doit pas se tromper de combat. Si elle ne soutient pas la juste cause des TDS, elle laissera le champ libre à tous les démagogues, aux partisans du retour à l’ordre moral et, finalement, aux proxénètes qui profitent toujours de la clandestinité pour faire prospérer leurs activités mafieuses.

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