Nicolas De Decker

« La gare du Nord, une certaine idée de la vision »

Nicolas De Decker Journaliste au Vif

On dit souvent que les politiques manquent de vision, qu’ils ne voient pas plus loin que leur quotidien, celui du dernier sondage, de la plus récente interview ou de la plus prochaine émission. On entend souvent dire que cette obsession de l’urgence les empêche de penser sur le long terme alors que gouverner c’est prévoir. Et on dit souvent que c’est une maladie très belge.

Pourtant c’est très faux. La Belgique s’est dotée de gouvernants prévoyants, il y a cinq ans.

De ces visionnaires qui ont su pour le plus grand bien de tous se projeter, eux et leur pays, quelques années plus loin.

De voir un problème se créer et de ne pas le résoudre.

De passer trois ans et demi, presque quatre, depuis l’été 2015, à veiller à ne surtout pas le résoudre. Ce problème, ce sont quelques dizaines de personnes, des malheureuses, venues d’Erythrée, du Soudan ou d’Ethiopie, qui dorment sous la gare du Nord, à Bruxelles, et dont la présence, le matin venu, effraie les milliers d’électeurs flamands débarqués de Louvain, d’Anvers ou d’Hasselt. Ces gens, jetés là sur le chemin de l’Angleterre, ne survivent que parce que des bénévoles leur offrent parfois un repas, un lit, une couverture, des soins médicaux. Les gouvernants prévoyants dont la Belgique s’est dotée il y a cinq ans auraient pu, dans l’empressement du moment, résoudre le problème : donner à ces malheureux un lit, des informations suffisantes pour les dissuader dans leur quête d’Angleterre, et la possibilité de demander l’asile à la Belgique plutôt qu’à l’Italie, dont ils viennent pour la plupart et qui ne veut pas d’eux.

La Belgique, ce pays tru0026#xE8;s riche qui refuse de prendre en charge 150 malheureux, est un Etat filou.

Mais ils ont préféré, ces gouvernants prévoyants, entretenir un problème visible à une solution discrète. Il leur en a fallu, des trésors de prévoyance, pour laisser ces intimidants malheureux à la vue de milliers de navetteurs.

Il a fallu pendant trois ans et demi faire croire à la possibilité d’un appel d’air, comme si la perspective du confort de quelques lits de camp allait pousser des milliers de Soudanais, d’Ethiopiens ou d’Erythréens à envahir Bruxelles.

Il a fallu pendant trois ans et demi faire croire que ces poignées de malheureux devaient choisir entre demander l’asile et partir, alors que demander l’asile c’était pour eux partir, dès lors que la Belgique ne voulait pas, comme elle pouvait pourtant le faire, s’exonérer d’appliquer le règlement Dublin, et dès lors qu’appliquer le règlement Dublin imposait de les renvoyer en Italie.

Il a fallu faire croire, à l’opportune issue de ces trois ans et demi, que la gale, le paludisme et la tuberculose avaient récemment contaminé la gare du Nord, à trois semaines du moment où des milliers de navetteurs déposeront dans trois urnes trois bulletins, alors que les associations privées qui soignent cette grosse centaine de malheureux parce que l’Etat ne le veut pas disent toutes que la gale, le paludisme et la tuberculose frappent beaucoup moins aujourd’hui qu’il y a quelques mois.

On avait entendu dire de la Belgique, ce pays très riche qui a l’air incapable de prendre en charge 150 malheureux, qu’elle était un Etat failli. En fait la Belgique, ce pays très riche qui refuse de prendre en charge 150 malheureux, est un Etat filou. Avec de la vision.

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