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La formation des imams toujours en panne

D’après la thèse de Leïla El Bachiri, les musulmans de Bruxelles sont exposés à des discours qui remettent en cause l’égalité des hommes et des femmes.

Pour sa thèse de philosophie à l’ULB, la Molenbeekoise d’origine Leïla El Bachiri, aujourd’hui chercheuse à Genève, a analysé 60 discours tenus à Bruxelles, entre 2006 et 2011, par des prédicateurs de tendances salafiste et Frères musulmans, y compris de la branche féminine de ceux-ci (les féministes islamiques). Leur leitmotiv ? La restauration d’un certain ordre patriarcal (uniquement les néosalafistes), la différenciation des statuts masculin et féminin. Ils insistent sur le port du voile, obligatoire selon les salafistes, recommandé mais pas obligatoire pour les FM, symbole de libération pour les  » féministes  » musulmanes.

Sous le coup de réactions courroucées en provenance de la communauté musulmane, la chercheuse nie avoir jamais parlé de  » radicalisation « , comme l’avait titré le Soir. Elle utilise, en effet, le terme de  » réislamisation « . Mais de sa thèse comme de sa récente intervention devant un groupe de travail, au Sénat, sur l’impact des révolutions arabes sur le statut de la femme, il est possible de déduire que des idées contraires à l’esprit des lois sont enseignées à des fidèles musulmans. D’ordre public, l’égalité des hommes et des femmes est supposée s’imposer à tous.

 » Il faut orienter la formation des enseignants et des élèves de façon que chaque individu puisse disposer des outils d’une réflexion personnelle, indique Firouzeh Nahavandi, professeure de sociologie à l’ULB et directrice de la thèse de Leïla El Bachiri. Compte tenu du caractère de plus en plus multiethnique et multiculturel de nos sociétés, il y a urgence à jeter les bases d’une citoyenneté ouverte. Lorsque le repli sera là, on n’aura plus accès aux jeunes. Le monde politique doit prendre ses responsabilités, mais sans stigmatiser la communauté musulmane. Insécurisée socio-économiquement, elle cherche ses repères dans la religion. C’est la réislamisation dont parle aussi le politologue Gilles Kepel dans son récent rapport Banlieue de la République, réalisé six ans après les émeutes de Clichy-sous-Bois, en France. « 

Circonstances aggravantes


La Sûreté de l’Etat a formé ou recruté des agents capables de comprendre et d’analyser les discours tenus dans certaines mosquées et autres lieux sensibles.  » C’est l’une des missions légales de la Sûreté de l’Etat, rappelle Jean-François Husson, coordinateur d’Oracle, un think tank sur les cultes et la laïcité organisée. Laurette Onkelinx, lorsqu’elle était ministre de la Justice et des Cultes, avait rappelé à tous les responsables religieux l’article 268 du Code pénal, qui dit que la qualité de ministre du culte constitue une circonstance aggravante dans le cas d’un appel au non-respect des lois ou à la violence.  »

Les  » acteurs » et  » actrices  » religieux observés par Leïla El Bachiri ont précisément pour caractéristique d’être en dehors des circuits susceptibles de dépendre des deniers publics. Néanmoins, comment sont éduqués les centaines d’imams qui arpentent le sol belge ? Bien souvent, à l’étranger. Des prêcheurs wahhabites (salafistes), formés à Médine ou ailleurs, répandent leur vision rétrograde de l’islam, avec le soutien financier des pétromonarchies du Golfe. Le Maroc et la Turquie tiennent à envoyer leurs propres missionnaires pour maintenir le lien avec leurs expatriés et lutter, insiste le Maroc, contre un extrémisme qui risque d’être réexporté vers le pays d’origine.

Pourquoi la Belgique, qui comprend, en termes relatifs, la plus importante communauté musulmane d’Europe (6 % de la population) n’a-t-elle toujours pas, dans ses universités, une chaire de théologie et d’études musulmanes ? La question hante les colloques depuis vingt ans. Seule l’UCL, d’abord avec le soutien de la Communauté française, ensuite grâce à l’aide de la Fondation Bernheim et sur fonds propres, propose un cycle de formation à mi-chemin des sciences humaines et islamiques. Ce cursus attire chaque année une cinquantaine d’élèves adultes, dont un quart non-musulmans.  » En quatre ans d’existence, nous avons eu un jeune imam de la région liégeoise en formation, signale la professeure Brigitte Maréchal, responsable de ce programme. Les imams qui le souhaitent peuvent venir, mais ils doivent réussir un examen d’entrée et répondre à des exigences de diplôme et de connaissance suffisante de la langue française. Au début, nous avons subi une tentative de décrédibilisation de la part de promoteurs d’initiatives privées de formation au sein de la communauté.  »

Aucune de ces formations  » privées  » n’est reconnue. Et pour cause : elles diffusent souvent un islam à l’opposé des Lumières. Quant aux imams venus de l’étranger sous le contrôle des pays d’origine, le constat, posé en 2004 par la Fondation Roi Baudouin, reste d’actualité :  » Beaucoup d’imams turcs et maghrébins ont une connaissance insuffisante du contexte belge et européen et ne parlent pas ou très peu la langue du pays.  »

L’Exécutif des musulmans de Belgique, tombé en léthargie en décembre 2010, n’a pas de rôle moteur dans la formation des imams, mais il a participé à la mise en place de quelques solutions.  » Les mosquées reconnues [ NDLR : 39 en Wallonie, 15 à Bruxelles, 8 en Flandre, avec 164 postes d’imams pourvus ou à pourvoir] proposent à l’EMB des imams, lesquels sont agréés ou non par le Comité des théologiens, installé près de l’EMB, et puis seulement l’EMB les propose au SPF Justice « , détaille Jean-François Husson.

Des responsables musulmans ont pu suivre des formations organisées en Wallonie par le Centre interuniversitaire de formation permanente (Cifop), avec le soutien du Fonds d’impulsion à la politique des immigrés (Fipi). Leur but était d’offrir à des prédicateurs étrangers des clés de compréhension de la société belge dans ses relations avec les cultes.  » L’Eglise protestante unie de Belgique y a bien participé, moins l’EMB, même si des musulmans y sont venus à titre individuel, poursuit Jean-François Husson. L’actuel président de l’EMB et son équipe ont été sensibilisés à l’enjeu de ces formations, mais le financement n’a pas été reconduit. « 

Par la suite, le Cifop a mis sur pied des sessions décentralisées de formation pour les imams étrangers, à la demande de l’EMB.  » Il fallait parfois des traducteurs, mais cela s’est bien passé, indique Jean-François Husson. L’EMB a également encouragé la formation des administrateurs de mosquée à la problématique des budgets, des marchés publics, etc., et cela aussi bien en Wallonie qu’en Région de Bruxelles-Capitale. Méfiants a priori, les administrateurs de mosquée ont bien compris le but du contrôle des fabriques de mosquée.  »

Mais les jeunes se reconnaissent-ils dans cet islam en voie d’institutionnalisation ?  » La majorité des musulmans, même s’ils sont croyants, ne fréquentent pas nécessairement les mosquées, relève Firouzeh Nahavandi. Quant au public des prédicateurs, il est autant influencé par les discours auxquels il assiste que par les vidéos ou les CD qui sont distribués et vendus dans les librairies islamiques et, donc, par les médias et Internet. Si on réfléchit à la construction de l’opinion publique des musulmans, il faut travailler à plusieurs niveaux. Celui des parents, qui ont perdu le contact avec leurs enfants ou qui se sont eux-mêmes réislamisés. Celui des médias. Et celui de l’Etat. La réislamisation est aussi le fait de la globalisation et de la démission des Etats de leurs responsabilités.  »

MARIE-CÉCILE ROYEN

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