"La littérature qui me renverse est toujours dans l'inattendu", confie Antoine Wauters. Derniers livres parus: Nos mères, aux éditions Verdier, et Sylvia, aux éditions Cheyne. © Gaëlle George

La Foire du livre vue par Antoine Wauters

Nous avons demandé au poète et romancier Antoine Wauters, lumineuse révélation des lettres belges, auteur de Césarine de nuit et de Nos mères, de se promener dans le programme de la Foire du livre de Bruxelles, et de nous pointer ses immanquables. Balade en six étapes.

1. La première chose que j’aimerais faire, cette année à la Foire du livre, c’est célébrer les 50 ans de la collection Poésie/Gallimard, en repensant à tous ces textes qui m’ont nourri. « Le monde entier est toujours là, la vie pleine de choses surprenantes, je sors de la pharmacie, je descends juste de la bascule, je pèse mes 80 kilos, je t’aime. » J’ai découvert ce texte à 17 ans. C’était signé Cendrars, dans cette collection magique où je m’apprêtais à découvrir Michaux, Plath, Hikmet, Ghérasim Luca et tant d’autres, qui allaient m’ouvrir le monde et me donner du souffle là où le reste me donnait de l’asthme. Créer du souffle. De la vie. Du doute. Du refus. De la question. C’est tout l’enjeu de la poésie, et ça mérite d’être célébré. « Et voilà, mon amour, et voilà, être captif, là n’est pas la question, la question est de ne pas se rendre. » (Nâzim Hikmet) La poésie permet de ne pas se rendre. Elle est ce qui nous fait tenir, nous, vivants à la joie si fragile. Le dimanche, Jacques Darras, Guy Goffette et Jean-Pierre Verheggen reviendront sur cette formidable aventure.

50 ans de Poésie Gallimard, dimanche 21 février, à 12h, au Théâtre des mots.

2. Après, je pense que j’irais à la rencontre de Sylvie Germain, qui a écrit Le Livre des nuits, l’un des plus beaux textes que je connaisse. C’était en 1984. Elle avait 30 ans. Son style, sa poésie, la limpidité de sa phrase – « La terre leur était éternel horizon, pays toujours glissant au ras de leurs regards, toujours fuyant au ras du ciel » -, tout, dans ce livre posé sur l’eau des canaux du Nord, m’a renversé, sidéré. C’est une immense auteure, Sylvie Germain. Elle a écrit un autre très beau texte, Jours de colère, Prix Femina 1986. Bizarrement, après La Pleurante des rues de Prague et Immensités, pourtant très beaux aussi, j’ai peu à peu cessé de la lire. Qu’elle vienne à la Foire du livre est donc une aubaine. Je pense même que je prendrai mon exemplaire du Livre des nuits, pour une éventuelle dédicace.

Rencontre avec Sylvie Germain, samedi 20 février, de 13 à 14h, au Quartier Web/Nouvelles écritures.

Mathias Enard
Mathias Enard© Laure Vandeninde/Photo News

3. Un autre rendez-vous me semble incontournable: la rencontre avec Mathias Enard, Prix Goncourt 2015, qui aura lieu à Passa Porta. Je n’ai pas encore lu Boussole, mais je sais que certains en parlent comme d’un « Mille et une nuits sur les mille et une manières dont l’Orient a révolutionné l’art, les lettres et la musique ». Par les temps qui courent, lutter contre l’image simpliste et fantasmée d’un Orient musulman et ennemi, en montrant ce qu’on lui doit, est une entreprise salutaire. Il y a les écrivains « détestateurs », que la colère et la haine font écrire – Bernhard et son rapport à l’Autriche, Nietzsche et le peuple allemand. Enard, lui, est de l’autre bord, celui des écrivains qui nous emmènent dans leurs passions, qui nous les font connaître. Si j’ai, j’avoue, un petit faible pour les « détestateurs », j’ai une admiration immense pour les autres, les « passeurs », qui appellent à l’ouverture, à la curiosité. Contre nos rêves d’affreux repli.

Meet the author avec Mathias Enard, samedi 20 février, à 20h, à Passa Porta (46, rue Antoine Dansaert).

4. J’aimerais aussi assister à la lecture de Céline par Christophe Malavoy. Céline, c’est de la littérature-dynamite, la langue dans ce qu’elle a de plus vivant. « Il faut mettre sa peau sur la table », disait-il. « Sinon, vous n’avez rien. » Je me demande comment Malavoy va aborder ça, ces phrases qui donnent l’impression d’être jetées sauvagement, à la va-vite, alors qu’elles sont incroyablement travaillées et précises, nées pour être proférées. Quand Denis Lavant s’empare de Céline, c’est quelque chose. Fabrice Luchini, je ne suis pas fan, mais ça marche bien quand même. C’est une question de souffle, de métrique. Il faut pouvoir entrer dans la phrase. Dans la violence de cet esprit odieux et pourtant génial. A priori, je n’imagine pas Malavoy dans cet exercice, mais je ne sais pas pourquoi, j’ai l’impression que je vais être surpris. Sa Cavale du Dr Destouches, chez Futuropolis, est une vraie réussite.

Christophe Malavoy lit Céline, vendredi 19 février, à 20h au Théâtre des mots.

5. Je suis aussi très curieux de voir Le Pays de Killiok, l’exposition d’Anne Brouillard, illustratrice belge qui a récemment remporté le Grand prix triennal de littérature jeunesse de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Son dessin me fascine depuis longtemps. C’est un monde extrêmement poétique, peuplé de petits animaux qui se mêlent à nos vies. C’est parfois complètement muet, mais c’est toujours très narratif, fin, riche, évident. Dans La terre tourne (Le Sorbier, 1997), elle écrivait ceci que j’aime beaucoup: « La terre tourne, tranquillement. Les bébés qui grandissaient bien au chaud dans le ventre de leur mère sont nés. Ils claquent les portes, écoutent le vent d’hiver. Ils vont et viennent de par le monde, attendent la lune la nuit au bord d’un lac, écoutent la mer, la musique derrière la porte […]. Pendant ce temps, d’autres bébés grandissent bien au chaud dans le ventre de leur mère, et la terre tourne encore. » Anne Brouillard présentera son exposition au public. Je n’imagine pas ne pas y être.

Rencontre avec Anne Brouillard, lundi 22 février, à 11h, à l’Espace d’exposition.

6. Pour le reste, je compte bien me ménager du temps pour circuler sans but et tenter de découvrir ce qui se tient dans l’ombre. Les livres peu éclairés, peu connus, peu lus. Je veux garder du temps pour ça. Finalement, la littérature qui me renverse est toujours dans l’inattendu.

Foire du livre de Bruxelles, du 18 au 22 février, à Tour & Taxis. http://flb.be

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