© Filip Van Roe pour Le Vif/L'Express

« La Flandre nous appartient aussi »

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Le vice-Premier ministre SP.A, poids lourd de l’équipe Di Rupo, fait le tour de sa région pour défendre une action gouvernementale « difficile » et présenter son projet de solidarité. Une charge contre les nationalistes. Sans jamais citer leur nom.

Koekelare, lundi 20 h 20, quelque part entre Roulers et Ostende. A l’entrée du centre culturel De Balluchon, quelques dizaines de personnes attendent l’orateur du soir, le vice-Premier ministre socialiste flamand Johan Vande Lanotte. Qui déboule littéralement, une vingtaine de minutes en retard après une journée harassante et une énième longue réunion consacrée à la concrétisation de la 6e réforme de l’Etat. « C’est une petite commune de 8 000 personnes, mais elle ne dispose que d’une très grande salle, sourit-il en voyant les rangs clairsemés de l’auditoire. Il doit y avoir 1 % de la population, ce n’est pas si mal… »

Hyperkinétique, l’Ostendais marche dans tous les sens, arbore un micro portatif digne d’une star du show-biz, utilise un PowerPoint avec des statistiques en pagaille et développe son sens de la pédagogie, en bon professeur d’université qu’il est resté en marge de ses fonctions ministérielles. Depuis la fin du mois de mars dernier, il a entamé une tournée dans la province de Flandre Occidentale pour présenter sa vision de la Flandre de demain. Et convaincre, en ces temps de crise, que tout ne va pas si mal, que des remèdes existent aux difficultés de l’heure.

Sa porte-parole a prévenu : « Pas de question sur la N-VA, il n’y répond pas. » Poids lourd du gouvernement Di Rupo, Johan Vande Lanotte a publiquement déclaré qu’il n’évoquerait plus le nom de ce parti « jusqu’en 2014 ». La « Ronde van Johan » est pourtant une réplique forte aux thèses véhiculées par les nationalistes flamands. A la « force du changement », slogan de la N-VA lors des communales, l’excellence fédérale entend opposer la « force de la conviction ». Dès l’entame de son exposé, un slogan s’affiche en bas de l’écran : « La Flandre nous appartient aussi ». Une manière de rejeter l’arrogance avec laquelle Bart De Wever avait affirmé qu’Anvers n’appartenait pas à tout le monde, après sa victoire aux communales.

« Nous ne sommes pas pauvres, mais… »

« Ces dernières années, entame-t-il, il y des mots que l’on entend de façon insistante : inégalités, privilèges, égoïsme… On répète souvent que l’on ne pourrait pas créer davantage de prospérité sans détruire les droits sociaux existants. C’est une vision à laquelle je m’oppose. Je veux remettre en avant les notions d’égalité, de liberté, de solidarité. Tous ensemble, nous sommes plus forts. » Certains, insiste-t-il, véhiculent une image beaucoup trop négative de la Flandre. Suivez son regard…

Johan Vande Lanotte interpelle l’audience en présentant un tableau avec quatre courbes montrant l’évolution de la pauvreté dans plusieurs régions et pays d’Europe. Laquelle correspond à la Flandre ? Seules quelques mains se lèvent pour estimer qu’il s’agit de celle indiquant une baisse de 11,3 % à 9,8 % entre 2005 et 2011. « C’est pourtant bien cette courbe-là mais on ne la voit généralement pas », souligne-t-il. En Allemagne, un pays qu’il prendra pour cible plusieurs fois au cours de la soirée en raison de son « dumping social », la pauvreté a progressé durant la même période de 12,2 % à 15,8 %.

Faut-il pour autant crier victoire ? Non. « Parce que nous constatons une forte augmentation du nombre d’enfants qui sont nés dans des familles connaissant un risque de pauvreté », prolonge-t-il. De 6 % en 2001, leur proportion est passée à 9,7 % en 2011. « C’est une menace réelle pour la génération suivante. » Les données du chômage confirment l’analyse. En Flandre, le taux de chômage reste relativement bas malgré la crise, autour des 4,5 %, un meilleur score que l’Allemagne ou que les Pays-Bas. « Mais le problème réside dans le taux de chômage plus important des jeunes non qualifiés, des allochtones ou des 55-64 ans. » Ce sera un de ses leitmotive tout au long de la soirée : dans notre société de la connaissance en évolution rapide, il est urgent d’investir dans la formation, de ne pas laisser trop de monde sur le bord de la route. « C’est un devoir moral, mais c’est aussi bon pour notre économie. »

« Nous payons beaucoup d’impôts, mais… »

Minutieusement, le ministre fédéral de l’Economie tente de détricoter les raisonnements populistes. Nous payons beaucoup d’impôts ? Oui, reconnaît-il, nos dépenses publiques par rapport au Produit intérieur brut sont parmi les plus hautes de l’Union européenne : 53,6 % en 2013. « Mais la crise bancaire est passée par là. En 2007, l’action du gouvernement violet dont nous faisions partie avait permis de baisser ce taux à 48,2 %. Non, les socialistes ne veulent pas faire exploser les dépenses. »
Mais payons-nous beaucoup trop d’impôts ? « Non. Les pays européens où les impôts sont les plus bas, ce sont la Bulgarie et la Roumanie. Je ne pense pas que beaucoup de Flamands souhaitent aller vivre là-bas. Avec nos impôts, nous payons l’enseignement, la sécurité sociale, les infrastructures… En bref, notre bien-être. » Johan Vande Lanotte démonte au passage une autre phrase récurrente : « Le Belge travaille la moitié de l’année pour l’Etat. » « Si l’on retire tous les investissements qui nous reviennent directement, cela équivaut à dire que le Belge travaille en réalité deux mois par an pour le fonctionnement de l’Etat. Cela nous convient à nous, socialistes. » Il insiste par contre sur la mauvaise répartition de l’impôt. Tacle les grandes entreprises qui ne payent pas assez – voire pas du tout – d’impôts. « C’est pour cela que nous avons proposé au gouvernement une Fairness Tax, une rétribution des grandes entreprises aux PME qui en payent proportionnellement plus. Pour le bien de notre économie. »
Le vice-Premier SP.A fustige une nouvelle fois la Commission européenne, « dure de la comprenure » (en français dans le texte) alors que tout démontre, proclame-t-il, qu’il faut relâcher la bride de l’austérité. Il insiste encore sur les effets concrets des mesures prises par le gouvernement au bénéfice des consommateurs en matière de coût de l’énergie ou de tarification GSM. « La prochaine étape, majeure pour nous, sera de permettre les actions collectives de consommateurs devant la justice pour réduire leurs frais. Ce sera une petite révolution. » Il regrette la difficulté de dialoguer avec les partenaires sociaux dans le dossier de l’égalité des statuts ouvriers/employés. « Nous espérons que l’on trouvera une voie médiane. »

C’est martelé : la priorité de l’heure est socio-économique. « Certains parlent d’une nouvelle réforme de l’Etat mais concrétisons d’abord celle que nous terminons. La question que nous poserons durant la campagne électorale, c’est celle-ci : voulez-vous à nouveau 541 jours d’immobilisme ? Nous ne pouvons pas nous permettre une deuxième fois de perdre un an et demi. » Là encore, la N-VA est indirectement prise pour cible.

« Nos standards sont plus élevés qu’avant »

Dans les questions émanant de la salle, l’urgence est aux craintes d’une précarité accrue. Une jeune femme évoque les working poors et l’augmentation démesurée du coût du logement. Un homme, démonté, parle du rythme insensé de l’assainissement budgétaire imposé par l’Europe et de l’impact potentiellement dramatique du traité de libre-échange en négociation avec les Etats-Unis. On évoque encore le fait que de nombreux jeunes en âge de travailler demeurent plus longtemps chez leurs parents ou que la société belge est en voie de dualisation rapide. Johan Vande Lanotte reconnaît que tout ne se déroule pas toujours comme il le voudrait, qu’il faut être « attentif » à toutes ces évolutions. « Mais que des jeunes restent plus longtemps chez leurs parents, c’était déjà le cas à mon époque, ajoute-t-il. J’ai moi aussi commencé par des emplois précaires. Il ne faut pas toujours dire que c’était mieux avant. Sans doute nos standards de confort ont-ils évolué. Nous ne concevons plus de ne pas partir plusieurs fois en vacances chaque année. »

Une voix s’élève aussi pour s’inquiéter de l’impact d’une immigration mal intégrée, évoquant au passage « ces jeunes qui traînent dans les rues et qui ne respectent pas les Flamands ». « Et les Flamands qui ne les respectent pas non plus, je devais le préciser », pointe le ministre. Avant d’ajouter : « Oui, il faut que les règles de notre Etat de droit soient davantage respectées. Je ne nie pas le problème, mais on ne le résoudra pas en mettant tout le monde dehors. C’est une adaptation qui sera très progressive. Nous gardons l’image d’une société flamande très homogène, ce qu’elle n’est plus. » Avec une métaphore à la clé : « Nous devons reconnaître qu’il y a peu de pays où les gens vont voir chaque week-end vingt coureurs cyclistes qui s’affrontent dans la boue, or nous le faisons massivement. » Il insiste sur l’importance de la langue : « Dans les restaurants chinois aux Pays-Bas, les serveurs parlent tous néerlandais. Chez nous, ils parlent souvent anglais. »

« Des raisons d’espérer »

Une dernière intervention évoque les mauvais choix de De Lijn, la société de transport régionale, quand elle supprime des lignes de bus dans les petites entités comme Koekelare. « Je pense, en effet, que De Lijn pourrait faire beaucoup mieux les choses », répond Vande Lanotte. Avant de clôturer par une note positive : « Nous traversons une période de crise sévère. Mais tout ne va pas si mal, il y a des solutions et des raisons d’espérer. Voilà mon message. Ne laissons pas la Flandre prisonnière d’une idéologie qui est à mille lieues de nos traditions d’hospitalité et de solidarité. »

22 h 11. Dans la salle, vide désormais, le vice-Premier fait un rapide débriefing avec ses conseillers. « La prochaine fois, je devrais davantage insister sur l’importance des valeurs, au début de l’exposé. » « Nous devons convaincre les Flamands au départ de nos idées, explique-t-il lors d’un entretien avec Le Vif/ L’Express. Ces prochaines années, il y aura une grande polarisation entre partis au sujet de la direction que notre Région doit suivre et c’est peut-être une chance. Aujourd’hui, la Flandre est beaucoup trop synonyme de valeurs que nous ne trouvons pas bonnes. On doit oser le dire haut et fort : il n’y a pas qu’une seule Flandre. Je vais prendre le temps de confronter les gens avec la réalité au cours d’une septantaine de soirées comme celle-ci. »

Il le sait, la reconduction de l’équipe Di Rupo ne sera pas évidente. « C’est une législature très courte, avec un gouvernement inhabituel, dans une période difficile. Nous ne comptons plus les milliards que nous avons dû économiser. Nous passons de longues heures pour l’instant à finaliser la réforme de l’Etat. Je n’ai jamais travaillé autant, tous mes week-end y passent. C’est sans doute pourquoi il faut défendre de façon exceptionnelle le travail accompli. »

Johan Vande Lanotte s’étire, décontracte ses muscles puis s’enfuit dans la nuit en courant vers sa voiture de fonction. Le travail n’est pas fini.

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