Hendrik Vuye et Veerle Wouters © Saskia Vanderstichele

« La Flandre a besoin d’un parti comme Défi »

Han Renard

Hendrik Vuye et Veerle Wouters, tous deux anciens de la N-VA, reprochent aux partis flamands de manquer de vision réfléchie de Bruxelles. Dans leur livre « Vlaanderen voltooid. Met of zonder Brussel? » (La Flandre achevée. Avec ou sans Bruxelles?), ils développent leur point de vue sur la capitale.

La Flandre ne sait pas bien quoi faire de Bruxelles.

Wouters: C’est exact. Alors que dans la prochaine réforme de l’état, qui aura lieu de toute manière, Bruxelles sera sans nul doute le problème. Suite à la sixième réforme de l’état, une nouvelle logique s’est infiltrée dans les institutions bruxelloises, où les compétences communautaires telles que les allocations familiales et de naissance ne sont pas transférées à la communauté flamande, et francophone, mais à une institution bruxelloise : la Commission communautaire commune (COCOM) compétente pour les matières bicommunautaire d’intérêt régional. C’est une nouvelle voie qu’emprunte Bruxelles qui ne correspond pas à l’architecture institutionnelle construite depuis 1970.

Vuye: Laisser tomber la distinction stricte entre compétences communautaires et régionales à Bruxelles peut avoir des conséquences funestes. Désormais les francophones à Bruxelles trouveront tout à fait logique d’attribuer les compétences communautaires à la région.

Mais où se situe le problème au niveau pratique? Au Collège réuni, l’organe exécutif de la COCOM, qui gère ces compétences communautaires, il y a tout comme au gouvernement bruxellois autant de ministres flamands que francophones ?

Vuye: C’est exact, mais il s’agit uniquement de Flamands bruxellois. Légalement, le ministre flamand pour Bruxelles fait également partie du collège de la COCOM, il est vrai uniquement avec une voix consultative, mais l’actuel ministre pour Bruxelles, Sven Gazt (Open VLD) n’estime même pas nécessaire d’assister aux réunions de collège. Cela signifie donc que le gouvernement Bourgeois laisse faire les Bruxellois alors qu’au sein de cette COCOM on prend des décisions très importantes – comme les allocations familiales bruxelloises.

La N-VA plaide en faveur d’un « choix bruxellois » les Bruxellois peuvent choisir entre deux systèmes pour leur protection sociale. Quel est pour vous le problème de cette idée ?

Vuye: Dans une vieille proposition du Mouvement wallon, développée par Fernand Dehousse, c’était également le cas. Alors, les gens choisissent simplement le système qui leur correspond le mieux.

Wouters: La N-VA prétend que ce choix favorisera l’esprit de communauté et fera des Bruxellois francophones ou allophones de véritables Flamands. C’est naïf.

Vuye: Les allophones choisiront la Flandre comme on choisit un abonnement GSM. Pour Annemans, Bruxelles doit devenir la capitale d’une Flandre indépendante. Grâce à des investissements massifs, Annemans souhaite convaincre les Bruxellois de choisir, définitivement cette fois, la Flandre. En soi, il a raison, mais cela coûtera très cher, et il faut voir si la Flandre sera d’accord.

Wouters: Quand nous allons parler au Limbourg ou en Flandre-Occidentale, on sent l’ampleur de l’aversion à l’égard de Bruxelles. « Pourquoi encore investir là-bas et lier notre sort à cette ville? », entend-on souvent. « On ne parle que français, les politiciens y sont corrompus… »

Vuye: Ajoutez-y la menace terroriste, et la montée de l’islam radical.

Dans votre modèle pour Bruxelles, vous tentez de concilier « la logique régionale francophone à la logique communautaire flamande ». Le mot clé c’est l’asymétrie…

Vuye: Notre construction institutionnelle est déjà foncièrement asymétrique ! Ainsi, la communauté française a déjà transféré de nombreuses compétences à la Région wallonne, et de nombreuses compétences régionales wallonnes sont à la Communauté germanophone. À Bruxelles, il y a la Commission communautaire flamande, une administration subordonnée à la communauté flamande – comparez-la à un conseil communal- , alors que son pendant francophone, la COCOF, a repris un certain nombre de compétences de la communauté française et fonctionne sur ces plans-là comme un véritable parlement, avec ses propres lois.

Vous voulez encore intensifier cette asymétrie en intégrant au minimum un des deux ministres flamands bruxellois au gouvernement flamand?

Vuye: Écoutez, le gouvernement flamand est obligé d’avoir un Bruxellois dans ses rangs, et le gouvernement bruxellois compte légalement deux ministres flamands. Dans notre modèle, un de ces trois ministres disparaît parce qu’un Flamand bruxellois fera à la fois partie du gouvernement bruxellois et flamand. Cela permet de créer un lien fort entre les Flamands bruxellois et le gouvernement flamand. Les dossiers bruxellois seront vraiment abordés au gouvernement flamand, et la Flandre aura réellement son mot à dire.

Wouters: Et comme il aura une double casquette, ce Flamand bruxellois pourra aussi être mis sur la sellette au parlement flamand.

Vuye: Par ailleurs, la Flandre peut immédiatement instaurer ce modèle, sans réforme d’état. En 2002-2006, après le licenciement de Bert Anciaux du gouvernement flamand, Guy Vanhengel a occupé ce double rôle de ministre pendant quelque temps.

Pour les parlementaires du parlement bruxellois et flamand élus à Bruxelles, vous voulez retourner à la situation d’avant 2001, quand les six premiers élus du parlement bruxellois siégeaient également au parlement flamand.

Wouters: En 2001, on a décidé de faire élire les Bruxellois au parlement flamand séparément. La seule raison était d’augmenter artificiellement le nombre d’élus. Mais c’est perdre beaucoup de connaissances. Les Bruxellois flamands au parlement flamand et bruxellois opèrent tout à fait indépendamment l’un de l’autre. Il faut justement permettre qu’à Bruxelles ils sachent ce qui se passe en Flandre, et inversement. Cependant, le point principal de notre proposition, c’est tout de même de créer un lien institutionnel entre la Flandre et Bruxelles au niveau du gouvernement.

Car ainsi la Flandre est plus forte à Bruxelles?

Vuye: Oui, et c’est selon nous aussi la seule façon de justifier la légitimité démocratique de la représentation flamande – garantir dix-sept parlementaires bruxellois et la parité au niveau du gouvernement et à la COCOM. Il y a là une proportion de 90% de francophones et de 10% de Flamands. Des partis tels que le sp.a, l’Open VLD, et Groen qui plaident en faveur de « Bruxelles aux Bruxellois », et qui veulent couper le lien avec la Flandre, ne réalisent pas qu’ils coupent la branche sur laquelle ils sont assis. Manifestement, ils ne se rendent pas compte à quel point les Flamands sont minoritaires au sein de Bruxelles.

Ce raisonnement abonde dans le sens des francophones.

Wouters: Nous savons très bien qu’à Bruxelles on parle 104 langues. Mais tant que Bruxelles est la capitale de la Belgique et de la Flandre, sa gestion est indépendante de la composition de la population.

La protection des Flamands à Bruxelles ne reflète-t-elle pas simplement la protection des francophones au niveau fédéral?

Vuye: On le répète souvent, mais cette comparaison ne tient pas la route. Au sein de la Belgique, on parle de 60% de Flamands contre 40% de francophones. À Bruxelles, les Flamands bruxellois, avec leur part de 10% dans la population bruxelloise peuvent tout au plus revendiquer une protection minoritaire. Concrètement, cela signifie peut-être un ministre, et quelques parlementaires, mais certainement pas de parité au gouvernement bruxellois ou à la COCOM. C’est pourquoi il est si difficile de renforcer les liens institutionnels.

On soupçonnera la Flandre de vouloir insidieusement prendre le pouvoir à Bruxelles.

Vuye: Des gens comme Philippe Van Parijs parleront de colonialisme flamand, mais c’est inexact, car notre proposition mentionne que les Bruxellois francophones sont tout à fait libres de s’organiser comme ils veulent. En plus, nous non plus nous ne voulons pas parachuter de Flamands occidentaux ou de Limbourgeois à Bruxelles. Bien au contraire, nous voulons intégrer un ou plusieurs Flamands bruxellois au parlement flamand.

Vous écrivez que même le président de Défi Olivier Maingain ne peut s’opposer à vos plans bruxellois.

Vuye: Ce que nous voulons dire, c’est qu’avec notre modèle les francophones peuvent même opter pour le modèle Défi pour Bruxelles. L’un n’exclut pas l’autre, et on peut difficilement s’imaginer de parti francophone plus opposé.

Wouters: La plupart du temps, nous nous entendons très bien avec les parlementaires de Défi, malgré d’importants différents, comme récemment au sujet des facilités linguistiques à Renaix.

Vuye: Au fond, nous admirons Défi. Nous nous disons parfois que la Flandre a besoin d’un parti comme Défi : un parti nationaliste qui ne s’écarte pas de ses principes. Un parti qui n’est pas dans un cordon sanitaire comme le Vlaams Belang, et qui ne s’est pas volontairement enfermé dans une paralysie communautaire, comme la N-VA. Défi participe parfois à la gouvernance, mais ne trahit jamais ses principes de base. Les partis flamands pensent toujours que dès qu’ils sont dans un gouvernement, ils doivent jouer à l’homme d’état et signer de grands compromis.

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