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La fin des trous dans les routes wallonnes ? Pas avant 10 ans !

La Wallonie aura retrouvé un réseau routier de qualité dans cinq ou six ans, promet le ministre Lutgen. Les experts en doutent. En cause : les décennies de négligence, la hausse du trafic et le manque de personnel pour contrôler les travaux de réhabilitation.

La Belgique, ses tensions communautaires et… ses nids-de-poule. A l’instar de l’interminable crise gouvernementale, le piteux état du réseau routier du royaume fait de plus en plus jaser au-delà de nos frontières et est même pointé du doigt outre-Atlantique. « Attention aux trous sur les routes belges, même sur les principaux axes », signale ainsi le site du département d’Etat à l’intention des ressortissants américains en séjour dans notre pays.

Deux hivers rudes successifs, avec des cycles gel-dégel répétés et d’abondants déversements de sel de déneigement, n’ont pas seulement fissuré et rongé des routes déjà dégradées. Ils ont aussi abîmé d’autres voiries récemment refaites. Cela ne surprend pas les spécialistes du dossier. « Les rigueurs du climat ne font que révéler l’état désastreux du réseau, de moins en moins étanche, remarque Claude Van Rooten, directeur du Centre de recherches routières. On s’est longtemps voilé la face, car la réfection des routes n’est pas un thème sexy. Comme dans le cas du réseau d’égouts bruxellois, usé jusqu’à la rouille, le dommage est latent et finit par péter à la figure ! »

Pour les autoroutes, les experts mettent en cause l’intensité du trafic, les poids lourds surchargés, le manque de contrôle des chantiers de réparation et l’incurie des pouvoirs publics, qui ont négligé pendant des décennies l’entretien d’un réseau autrefois exemplaire. Autant de handicaps qui, selon ces spécialistes, vont contrarier l’exécution des plans de rattrapage adoptés récemment.

Un réseau en fin de vie « D’une durée d’existence d’un demi-siècle, les infrastructures autoroutières belges sont en fin de vie, explique le Pr Luc Courard, du laboratoire des matériaux de construction de l’ULg. D’autant que, depuis plus de vingt ans, on a sous-investi dans leur réfection. Les crises pétrolières sont passées par là et assurer l’entretien d’une route n’est pas, pour un acteur politique, un geste d’une grande visibilité. »

« Les Pays-Bas et la Belgique ont tous deux des réseaux routiers très denses, note Jean Hindriks, professeur d’économie à l’UCL et membre du think tank Itinera, institut de réflexion pour un développement économique durable. Une telle densité implique un coût élevé d’entretien par habitant. Les Néerlandais assument : ils ont un budget routier deux à trois fois supérieur au nôtre. Pas étonnant que leurs routes soient en meilleur état que les nôtres ! »

Des usagers insatisfaits

D’après la Fédération automobile internationale, l’Allemagne investit quelque 4 000 euros par kilomètre, la France 2 680, les Pays-Bas 2 300 et la Belgique à peine 1 500. Dès 2004, notre pays est désigné par les usagers comme la lanterne rouge européenne pour la qualité des revêtements routiers.

Des prescriptions non respectées

« La Belgique s’est dotée, à grands frais, d’un réseau autoroutier modèle, mais elle a négligé son coût d’entretien récurrent, déplore Claude Van Rooten. C’est comme si vous investissiez vos économies dans l’achat d’un château sans penser aux frais de chauffage ! Des pays d’Europe centrale, telle la Croatie où l’on construit cent kilomètres d’autoroutes par an, commettent aujourd’hui la même erreur, lourde de conséquences. »

En Wallonie comme à Bruxelles, les plaintes de riverains, d’automobilistes, d’entreprises, de communes et de services de transport explosent. Plus de 2 000 plaintes pour des trous dans la chaussée ont été enregistrées l’an dernier par la Région wallonne, contre moins de 750 en 2005, soit un triplement du nombre de dossiers.

Défaillances dans l’auscultation des routes

« Les routes belges souffrent non seulement de décennies de sous-investissement, mais aussi de défaillances dans la détection des dégradations, estime le Pr Hindriks. La Cour des comptes dénonce les faiblesses de l’auscultation du réseau. Les agents privilégient un simple examen visuel de la route. L’information des divisions territoriales ne remonte pas toujours jusqu’à la direction des structures routières. Les tronçons à réparer ne font pas l’objet d’une sélection objective… »

Comment expliquer la qualité médiocre de la plupart des travaux routiers réalisés en Belgique ? « Les marchés sont, en général, attribués aux entreprises qui remettent les prix les plus bas, répond le Pr Luc Courard. Elles peuvent, dès lors, être tentées de réduire les frais : qualité moindre du granulat utilisé ; couche de bitume un peu moins épaisse que prévu ; passages du rouleau moins nombreux, au risque de se retrouver avec route moins bien compactée. »

Un Plan Routes rassurant ?

A cet égard, on peut espérer quelques progrès grâce au Plan Routes lancé l’an dernier par le ministre wallon des Travaux publics, Benoît Lutgen (CDH), qui jure que « les mauvaises pratiques appartiennent au passé ». Une liste de chantiers prioritaires a été établie en fonction de critères de sécurité et de mobilité. Les contrôles de qualité seront multipliés (carottages…) afin de vérifier si les entrepreneurs respectent les cahiers des charges. Rassurant ? « Les compétences sont là, la formation des ingénieurs est excellente, mais il y a clairement un manque de personnel pour surveiller les chantiers, prévient le Pr Courard. Un jeune ingénieur engagé récemment pour gérer un secteur wallon me signale qu’il a pu choisir entre une quarantaine de postes disponibles. »

« Les trois Régions dépensent, ensemble, à peine 650 millions d’euros par an pour leurs routes régionales et ex-nationales, s’étonne Thierry Willemarck, administrateur délégué de Touring. Dans le même temps, la voiture représente plus de 13,5 milliards d’euros de recettes pour le budget fédéral, via les accises sur les carburants, les taxes de roulage et d’immatriculation, les TVA sur l’achat et la réparation des véhicules.

« Bien plus de cinq ans ! »

« Ce serait faire preuve d’un grand optimisme, estime Thierry Willemarck. L’état de délabrement du réseau est tel, après vingt ans de négligence, qu’il faudra bien plus de cinq ans pour le remettre à neuf. Seuls les points les plus noirs seront effacés, le ministre Lutgen ayant fixé des priorités. » Claude Van Rooten confirme : « Certaines autoroutes wallonnes méritent une réhabilitation en profondeur, mais nous ne sommes pas dans une période budgétairement faste. »

« On est parti pour un combat permanent tant que les transporteurs abuseront en termes de tonnage, ajoute Jean-Jacques Nonet. Tout dépendra de la volonté politique. Le risque est que, face à l’ampleur de la tâche à accomplir pour remettre le réseau en état, on se contente d’étaler une nouvelle couche de tarmac sans se préoccuper de la structure de la route. » Le Pr Hindriks, de l’UCL prévient : « Il est peu probable qu’on rattrape notre retard en cinq ou six ans. Plus on tarde à intervenir, plus les réparations se révèlent coûteuses. Routes communales comprises, il y en a pour 1 milliard d’euros de travaux en Wallonie ! De plus, il faut d’abord établir un inventaire de l’état des routes, centraliser l’information dans des bases de données et planifier les interventions. »

Entreprendre des chantiers tout en maintenant le trafic routier est, en effet, une énorme contrainte. Réparer une simple bande d’autoroute provoque déjà des bouchons qui mettent en colère les usagers.

Olivier Rogeau

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