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La famille, pour le fun

Une enquête européenne montre que le cercle des proches reste une valeur refuge. Ce qu’on y partage ? Du bonheur et de la joie, avant tout. Mais aussi quelques disputes…

Aimez-vous votre famille ? Au point que les moments passés en son sein restent les préférés de votre vie ? Vous voilà sacrément dans la norme : 82 % des Européens (toutes origines confondues) se retrouvent pleinement dans cet amour sans borne pour leur clan. Y compris parmi les 16-24 ans, que l’on aurait volontiers imaginés moins plan-plan…

Une récente enquête Ipsos (1) vient en effet de confirmer que, dans un contexte économique et social difficile, les liens intrafamiliaux continuent à se resserrer : au cours des cinq dernières années, 36 % des sondés estiment ainsi s’être rapprochés de leurs parents, et 49 %, de leurs enfants (alors que 7 % affirmaient s’en être plutôt détachés). « Rien d’étonnant, assure Marie-Thérèse Casman, sociologue de la famille à l’ULg.

En Belgique, des recherches de 1990 et 2000 montraient déjà que la famille, pourvoyeuse de sécurité et de solidarité, venait en tête des valeurs des citoyens. Nous l’expliquons aussi par le fait qu’à notre époque la filiation est devenue plus stable que l’alliance : comme les couples présentent plus de fragilité que jadis, les individus (la plupart ayant toujours besoin de chaleur humaine !) investissent davantage la cellule familiale. » Dans l’étude, commanditée par Disneyland Paris afin d’affiner l’image de sa clientèle, c’est aux Pays-Bas que les relations sont les plus « fusionnelles », 90 % des Néerlandais assurant être « très proches de chaque membre de leur famille ». Pour les Belges (84 % en moyenne nationale), c’est surtout vrai pour les Flamands (91 %), les francophones (75 %) témoignant d’un peu plus de dissensions dans les foyers…

Cela dit, si la famille compte tellement pour les Européens, plusieurs éléments ternissent néanmoins le tableau idyllique. Au coeur des tribus, tout n’est pas toujours rose. En dépit du lien, on s’y dispute « souvent » pour 38 % des Espagnols et 29 % des Britanniques. Chez les Belges, le taux de bagarre relativement bas (19 %) doit être, une fois encore, nuancé : très faible parmi les Flamands (15,7 %), il exposerait au contraire les francophones (22,5 %) à des querelles assez fréquentes. En outre, 40 % des interviewés considèrent qu’il subsiste toujours un fossé entre leurs valeurs et celles de leurs parents. Encore plus élevé en Grande-Bretagne (46 %) et en Belgique (45 %), ce décalage est porteur de tensions potentielles entre les générations. Ils sont 52 %, en Europe, à penser que « les relations entre parents et enfants sont plus difficiles qu’avant ». Etonnant, dans la mesure où l’espace familial s’est quand même « démocratisé, ces dernières décennies, selon la sociologue : on peut davantage exprimer, et y faire accepter des valeurs qui jadis heurtaient, tels le divorce ou l’homosexualité ».

Enfin, çà et là, la famille semble concurrencée par le cercle des amis : 34 % des Européens affirment que ces derniers « comptent plus que certains membres de leur famille ». « Normal. Il y a beaucoup d’attente, et on est parfois déçu par ses proches… Du coup, on se rabat sur les amis, qui constituent « la famille qu’on se choisit » », ajoute Marie-Thérèse Casman. Valoriser l’amitié, privilégier les copains sur la smala est un sentiment que partagent surtout les Belges francophones (47,4 %), mais beaucoup moins les Flamands (24,9 %) qui, à l’instar des Italiens et des Néerlandais, chérissent le noyau familial plus que tout.

Mais pour y faire quoi ? « Discuter, échanger des opinions » reste l’activité la plus volontiers pratiquée entre proches. Vient ensuite le plaisir de « partager des occasions rares ou particulières ». Ici, les nationalités se distinguent : les Britanniques préfèrent passer du temps à table, les Français privilégient les fêtes, et les Belges, à nouveau comme les Néerlandais et les Italiens, mettent en avant les vacances et les week-ends en dehors du domicile. A noter : faire du sport en famille ne rassemble que 3 % des Européens. Pour tous, il s’agit avant tout de « partager une joie et des émotions » (45 %), puis de « resserrer des liens » (37 %) ou de « s’amuser » (26 %). « Faire plaisir aux autres », en revanche, ne motive que 13 % des Européens…

La famille est à ce point essentielle que 70 % des Européens souhaiteraient lui consacrer plus de temps. Le rythme de la vie quotidienne leur pèse ; c’est une source de grande frustration. Dans les foyers avec enfants, 19 % des répondants (23 % en Belgique) n’arrivent même pas à leur accorder une demi-heure par jour ! « Nos études budget-temps ont aussi montré que si l’accès à la vie moderne et professionnelle fut une conquête pour les femmes, celles-ci ont perdu en disponibilité réservée jadis à leurs loisirs, leurs enfants, leurs parents. » Ainsi, lorsqu’on demande aux sondés d’imaginer ce qu’ils feraient d’un jour de plus par semaine, 48 % des Européens (avec enfants) choisiraient de le consacrer en priorité à leur famille, et 24 % à des centres d’intérêt personnels (lire, bricoler, jardiner…). 21 % n’en feraient rien du tout, sinon se reposer… Ce déficit de temps offert à la famille est d’autant plus crucial qu’il apparaît comme « irrécupérable ». Il engendre des déceptions qui subsistent tout au long de la vie.

Une grande majorité d’Européens (68 %) admettent en effet qu’ils auraient aimé partager plus de choses avec leurs parents lorsqu’ils étaient jeunes. Plus précisément, ils déplorent le manque d’échanges entre générations : 35 % auraient souhaité que leurs parents leur parlent plus de leur vie et de leur métier ; et 33 %, à l’opposé, que leurs aînés les écoutent évoquer leurs passions enfantines, ou leurs amitiés d’alors. C’est une frustration majeure, qui apparaît en tête des réponses fournies dans les six pays sondés. Piquant : quasi personne ne se plaint d’avoir eu des parents trop envahissants : 6 % seulement auraient préféré qu’on les laisse un peu tranquilles… « Globalement, on est clairement dans un regret du manque, et non du trop-plein », avancent les analystes.

Dans ce contexte marqué par le regret du temps qui fuit et non passé entre intimes, Ipsos a testé une série de marques liées au vécu des familles. Dans tous les pays, sauf l’Italie (où Coca-Cola l’emporte curieusement), l’image du bonheur familial est ainsi massivement (32 %) associée à Disneyland. « Logique, conclut la sociologue : les parcs d’attractions sont par excellence les lieux qui entremêlent joyeusement les générations. » McDonald’s (16 %) et la Nintendo Wii (15 %) séduisent ensuite la majorité des Européens. Au top 3 des Belges, surprise : entre Disney, classé no 1 et Ikea, no 3, les communautés linguistiques marquent à nouveau leurs différences, les Flamands plébiscitant Coca-Cola, et les francophones, le Club Med…

(1) « Les Européens et leurs relations familiales », sondage passé entre le 17 et le 21 décembre 2010 auprès de 6 121 personnes de 16 à 64 ans issues de Belgique, France, Grande-Bretagne, Italie, Espagne et Pays-Bas.

VALÉRIE COLIN

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