François Gilmant

La dualité des profs : un retour à l’école entre peur et envie

François Gilmant Professeur d'arts

Le Conseil national de Sécurité annonce le 12 mars en soirée que les écoles seront fermées dès le lundi. Les élèves n’ont pas emprunté le chemin de l’école depuis, tout comme leurs professeurs. Le 18 mai prochain, les écoles devraient rouvrir avec des mesures strictes de sécurité et d’hygiène. Un professeur d’arts témoigne sur la dualité entre la peur et l’envie d’un retour à l’école.

Préambule :

Je voudrais ici témoigner de mes préoccupations en tant que professeur et citoyen sur la mise en place d’un retour à l’école. J’ai bien conscience que je suis un privilégié-confiné-payé et que ma situation n’a rien de comparable avec celle du restaurateur qui ne peut pas ouvrir ses cuisines, de celui qui n’arrive pas à payer ses prêts, de celui qui chaque jour fait son boulot pour que nous puissions être nourris, soignés, reliés aux autres par courrier, véhiculés, protégés…Ceux-là sont nos héros et c’est pour eux qu’il faudra trouver prioritairement des réponses appropriées.

24 avril 2020 : Nous y voilà, la première ministre vient de le confirmer : c’est le grand dé-confinement ! Les dates et les mesures s’enchaînent, notamment pour les écoles dont la réouverture se fera à partir du 18 mai et se poursuivra le 25 mai. Dans la foulée, la ministre de tutelle, Caroline Désir, en concertation avec les organisations syndicales et patronales a rédigé une circulaire pour baliser cette « rentrée ».

Dans notre établissement, un plan de retour est esquissé en organe de concertation, puis communiqué au personel.

Les retours de mes collègues sont nombreux. Ils sont marqués par la dualité de protéger sa santé, celle de ses proches et celle de nos élèves mais aussi d’offrir aux élèves la possibilité de retrouver ses amis, un cours en présentiel et pour certains d’apporter un peu « d’air frais » dans une situation problématique.

Certains voient dans ce retour à l’école une réponse sociale au besoin indispensable que nous avons tous personnel éducatif et élèves de se voir, de se soutenir, de se retrouver entre amis, entre collègues.

Mais est-ce vraiment ce qui est proposé ? Un retour par groupes de 10 avec masques et distances de sécurité. Alors que nous sommes tous, et sans aucun doute, particulièrement nos ados, désireux de se toucher, d’exprimer le bonheur de se retrouver.

Un retour où les déplacements seront limités. Où on passera de la file du supermarché à la file pour la photocopieuse (avec un peu de chance, on en aura une sur trois en état de marche, ça nous donnera l’occasion d’entendre la fin de la recette du pain du collègue de chimie).

D’autres mettent en avant le fameux continuum pédagogique, en français : la poursuite des savoirs, mais dans un même temps y opposent les inégalités sociales. Certains de nos élèves ne rentreront pas (soit par choix des parents, soit parce que leur santé est trop fragile., soit parce qu’en 4e secondaire, en 5e,… ). On est donc tenus de ne pas faire de différence. Pas de rattrapage, pas de nouvelles matières,… mon métier, c’est pourtant d’enseigner.

Et on pourrait poursuivre sur la réalité de certains élèves qui vivent des choses parfois difficiles et pour qui un retour à l’école serait salutaire. Mais est-ce que ce sont ceux-là qui rentreront effectivement ? Trouveront-ils la sérénité et l’apaisement dont ils ont besoin dans l’atmosphère anxiogène d’un cours masqué et sous la pression du virus? Nous, professionnels de l’éducation, sommes outillés pour les accueillir ?

On peut aussi dire qu’on ne va pas rester confinés éternellement, qu’il faut relancer la société. Je passerai sur la double lecture que l’on pourrait avoir de cette phrase : l’école est le pilier de notre société, elle doit montrer l’exemple versus l’argent est le pilier de notre société pour que les parents puissent travailler, ils ont besoin de mettre les gamins à la garderie.

Passons donc, puisque oui, il y a un moment où l’on doit sortir. Ranger les tiroirs à brol, cuisiner des bons petits plats, repeindre la chambre du petit, se retrouver soi-même, dans son couple, avec sa famille c’était sympa.

Mais sincèrement, on a tous envie d’un bon resto avec les potes, de serrer son petit neveu dans ses bras, de rire sans écrans interposés, de retrouver une coiffure potable… on peut même dire qu’on a envie de voir Sofia fière d’elle après son exposé oral, d’entendre Kevin frimer parce qu’il a eu 10/10 sans même étudier, de prouver à Brahim qu’il est capable d’y arriver même si ça lui a pris un peu plus de temps !

Pour finir, il y a mon argument préféré : la répétition générale !

On prépare septembre parce que septembre, ce sera inédit, que le virus sera toujours là mais que comme on aura répété ce sera plus facile.

A l’heure où j’écris ces lignes, on ne sait même pas si on aura tous un masque pour sortir; on ne sait pas s’il y aura un retour en arrière d’ici le 18; on ne sait même pas comment vont se passer les conseils de classe.

Mais on devrait répéter pour septembre, en se basant sur la rentrée deux jours semaine pour deux années sur six. On doit imaginer ce que ça donnera avec 1200 élèves, dont certains vivront leur première fois en secondaire !

Dit-on à un comédien qui va jouer « Roméo et Juliette » : « Ça se fera peut-être au théâtre national ou dans la salle communale de Seraing. » ou encore  » Peut-être que tu auras une comédienne qui jouera Juliette mais on verra ce jour-là. Là on va répéter, ça va t’aider. »?

Les inquiétudes sont là, mais la volonté de rentrer aussi. Les professeurs, les éducateurs, le personnel ouvrier, les directions mettent tout en ?uvre pour être prêts, même si beaucoup de questions restent en suspens et même si on se dit que c’est peut être dépenser beaucoup d’énergie pour bien peu de temps.

Je vous ai bien entendu, Madame Wilmès : personne n’est parfait, on fait ce qu’on peut ! Oui, Madame, on fait tout ce qu’on peut, ce qu’on nous demande, de la caissière au juge, de la première ministre au professeur.

J’ai eu l’occasion de le constater avec mes collègues (de celle qui passe des heures au téléphone à rassurer ses étudiants à celui qui s’improvise monteur vidéo; de celle qui donne cours en visioconférence à de celui qui crée une plateforme numérique. De celle qui corrige minutieusement un tableau excel avec les adresses mails des élèves à celui qui initie une vidéo humoristique…et il y malheureusement aussi celle qui noie ses élèves de nouvelle matière) : le « job » il est fait !

Toutefois, résonne cette phrase pleine de promesses « il y aura un avant et un après corona », qui au fur et à mesure se voit remplacer par « prévoyons un retour à la normale ».

De la même manière nous sommes passés de votre appel à l’unité et à la solidarité du début de crise à un combat de coqs le dimanche midi entre présidents de parti, ou du bonheur de retrouver un air plus sain et des cours d’eau clairs, aux embouteillages et à la sur-consommation.

Nous passerons du plaisir d’être avec ses proches à la course après le temps.

Et si plutôt que de courir vers un retour à la normale, on profitait du temps que nous accorde cette crise

Si on donnait aux directions et aux enseignants la possibilité et les moyens pour réfléchir l’école de demain. Utilisons ce temps pour imaginer comment offrir des conditions idéales aux apprentissages, avec des locaux adaptés et sains, du matériel de pointe, des conditions de travail optimales pour les enseignants, des classes moins peuplées. Rencontrons-nous (en respectant les distances de sécurité! 😉 ) afin de redéfinir les apprentissages et l’évaluation : l’important n’est-il pas d’apprendre aux jeunes à réfléchir ? Trouvons des pistes pour endiguer la compétition entre les établissements scolaires et offrir à tous les jeunes les mêmes chances. Demandons à nos éducateurs comment les sortir des rôles de pions et d’administratifs dans lesquels ils sont souvent confinés. Mettons en oeuvre une communication forte pour revaloriser le qualifiant et le professionel dans la mentalité de tout un chacun, c’est parfois de ses filières que sortent nos héros d’aujourd’hui. Cela passera, inévitablement, par du financement. Mais n’est-il pas temps de revoir nos priorités ?

Ces « priorités à réimaginer » pourraient ne pas se limiter à l’école. Elles pourraient en effet s’étendre au rythme de vie, au mode de déplacement, à la consommation des ressources,…

À nous de saisir l’opportunité, à nous de réfléchir de manière constructive, à nous d’inventer demain. À nous de transformer la crise sanitaire en une reflexion salutaire.

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