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« La droite profite plus de l’ambiance de terreur actuelle que la gauche »

Walter Pauli
Walter Pauli Walter Pauli est journaliste au Knack.

Lorsqu’on en vient à parler de terrorisme, c’est le centre droit qui tient la dragée haute. Charles Michel veut adapter la constitution, Jan Jambon rêve de passer Molenbeek au peigne fin et Theo Francken souhaite éjecter toujours plus de sans-papiers du pays. Du côté de la gauche ? Rien ou presque. De quoi faire grogner Louis Tobback. « Lorsqu’il s’agit de sécurité ou de police, beaucoup de progressistes prennent subitement position pour un état minimal et le « laissez-faire ». Qu’est-ce qu’il y a de gauche à ça ? ». Extraits d’une longue interview accordée au magazine Knack.

On ne sait pas si la popularité du gouvernement sortira grandie des derniers évènements. La lutte contre le terrorisme a entraîné de nombreux embarras et la Belgique est la risée de la presse internationale…

« La menace terroriste est utile à ceux qui souhaitent faire passer certaines lois qui ne passeraient pas autrement. Il ne faut pas oublier à quoi a mené l’incendie du Reichstadt en 1933. Les nazis avaient alors bouté le feu pour faire passer des lois d’exception qui sans cet incendie ne seraient jamais passées. Vous ne m’entendez pas dire que les attentats de Paris sont un complot de la droite, mais il faut bien avouer que la droite profite plus de l’ambiance de terreur actuelle que la gauche. On le remarque aussi au Royaume-Uni où il y a quelques semaines Cameron n’avait pas la majorité pour bombarder la Syrie. Aujourd’hui cela devrait passer sans problèmes. (…) Ceci dit, ce qui m’énerve surtout, c’est à quel point la Belgique s’est laissé coincer dans le rôle du dindon de la farce. On s’est fait avoir comme des bleus en se laissant accuser de toutes les misères du monde. On a fait de Bruxelles une ville assiégée, ensuite on baisse, sans en donner la raison, le niveau de menace et on va encore fignoler le tout en faisant comme si de rien n’était. Le gouvernement devra pourtant bien s’expliquer un jour. (…) Le plus inquiétant dans tout cela, c’est que cela révèle un vrai problème structurel. Le gouvernement ne dispose tout simplement pas de moyens suffisants pour assurer la sécurité de façon conséquente. Par exemple il n’y a plus de police fédérale de réserve. Beaucoup de corvées de type sécuritaires ont été redirigées vers les autorités locales. Sauf que j’ai l’impression que quand on est en niveau trois et qu’on a besoin de plus d’aide, le gouvernement a pour seule réponse: « débrouillez-vous ». Dans des communes comme Molenbeek, on ne peut, dans le meilleur des cas, que « garder la situation sous contrôle ». Avec une aspirine on peut réduire un mal de tête, mais pour soigner une maladie, il faut des médicaments plus puissants. On ferait donc mieux de ne pas tout mettre sur le dos de Philippe Moureaux (PS). En 1974, la ghettoïsation de Molenbeek était déjà en marche.

Est-ce que les précédents gouvernements n’ont pas vu venir les problèmes « locaux » de Bruxelles ?

Mais bien sûr que oui. J’étais ministre de l’Intérieur dans les gouvernements de Jean-Luc Dehaene. Nous venions de signer notre Plan Global et donc l’époque était déjà aux lourdes économies. Cela ne nous a pas empêchés de libérer des millions pour établir des contrats de sécurité notamment avec des communes comme Molenbeek. Et s’il en a bien un qui était inquiet, et à raison, sur l’état de son corps de police, c’était Moureaux. Avant son arrivée, l’état de la police n’était pas le premier souci des politiques bruxellois.

Les problèmes à Bruxelles sont aussi liés à la richesse de certaines communes. Depuis les années 60, la bourgeoisie a quitté le pentagone pour s’installer à Uccle, Auderghem ou les trois Woluwé. Ou encore plus loin, en périphérie. L’élite francophone a creusé la tombe de Bruxelles. La bourgeoisie refuse en bloc une fusion des dix-neuf communes. Je reproche au PS bruxellois de n’avoir jamais, je dis bien jamais, essayé de faire payer aux communes plus résidentielles les manquements de Molenbeek et Saint-Josse. Et vous savez pourquoi ? En 1988, il n’y avait à Saint-Josse que 6600 potentiels électeurs pour une population estimée à 25.000. Ces communes pauvres attiraient ceux qui n’avaient pas le droit de vote comme les Kurdes et les Marocains. À Uccle il doit bien y avoir quelques Marocains, mais il doit s’agir de diplomates. (…) Les Bruxellois ne sont pas les seuls responsables. Tous les gouvernements fédéraux ont arrosé Bruxelles de leurs bienfaits sans véritable contrepartie. On remarque par exemple que, sans trop de scrupules, les communes les plus riches ont tiré avantage de la misère des communes les moins nanties pour acquérir pour eux-mêmes des avantages identiques. Comme l’exonération du très cher système policier Astrid. (…) Pourquoi voudrait-on se contenter de fusionner les zones de police. Je trouve qu’on devrait fusionner les 19 communes avec un seul bourgmestre. Ce serait beaucoup plus clair non ?

La pierre angulaire de son succès est selon le bourgmestre de Malines, Bart Somers, une politique sécuritaire cohérente. Il se limite à l’ordre et à la loi.

En effet. Il n’y a pas d’autres options que « law-and-order ». Mais dans le sens où on fait respecter la loi tout en libérant assez de budgets pour que les autorités puissent accomplir leurs tâches et en ne négligeant pas la politique sociale pour autant. Le pire est un état impuissant. Un état qui ne serait plus capable d’assurer ce à quoi on est en droit d’attendre de lui. Et tous les partis sont responsables de cet état de plus en plus inopérant. Aussi les socialistes. Car lorsqu’il s’agit de sécurité ou de police, pas mal de progressistes militent pour un état minimal et le « laissez-faire ». Qu’y a-t-il de gauche à ça ? La gauche et la droite ne se distinguent en effet pas tant sur la notion d’une police efficace et des services de renseignements capables de protéger ces concitoyens. Mais cela une partie de la gauche ne veut pas l’admettre.

Ceci dit, il y a tout de même une divergence entre la gauche et la droite. La gauche trouve que la sécurité devrait servir à protéger les plus faibles de notre société. La droite souhaite pour sa part investir pour contenir les gens dans les quartiers plus populaires. On remarque cependant, et de façon plus surprenante qu’une partie de la droite libérale est même contre le fait d’investir dans la protection publique du pays.

La sécurité est pourtant un thème de droite, non ?

Ceux qui comme De Wever crie le plus après la sécurité, en ont, en réalité, le moins besoin. On constate que les firmes de sécurité ont tellement de demandes qu’elles ne peuvent y répondre. Mais on ne les appelle pas dans des communes comme Molenbeek, qui doit se contenter de la police classique. C’est pourquoi la gauche devrait justement oser défier la droite en plaidant pour des services de police qui auraient les moyens de bien faire leur travail. Et pas tout le temps leur taper dessus comme c’est encore souvent le cas.

Si le gouvernement ne montre pas plus de poigne, un des arguments pour ceux qui voudraient perpétuer l’état d’urgence, nous risquons de perdre des libertés acquises depuis 1830 et que nous pensions inamovibles. Tout ça me donne des sueurs froides.

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