Thierry Fiorilli

La démocratie ? Comme un insecte, mais sur le dos

Thierry Fiorilli Journaliste

Bart De Wever a parlé d’or, le 26 mai au soir. « L’électeur a toujours raison. » Et plutôt deux fois qu’une. Déjà, parce qu’il est allé voter. Et puis parce que, comme le client, qui paie et est donc à ce titre roi, c’est sa voix, et uniquement la sienne, qui symbolise les réalités de son temps. Et c’est elle qu’il faut prendre en compte.

Le triple scrutin de dimanche ne peut dès lors se résumer aux constats affligés (« la vague brune » au Nord) ou aux propos des vaincus (« on reste premier » ou « on est toujours deuxième », ou « on perd moins qu’annoncé », etc.). Non, ces élections ont rappelé à tout le monde comment une démocratie fonctionne vraiment. Pourquoi elle peut se targuer d’être toujours une démocratie qui fonctionne vraiment. Et ce à quoi elle est contrainte pour rester une démocratie qui fonctionne vraiment. En ce sens, les élections du 26 mai, chez nous, et ailleurs dans l’Union, ont prouvé que cette démocratie y est toujours bel et bien resplendissante de santé et de vigueur.

Parce que tous ceux qui voulaient s’exprimer ont pu s’exprimer (90 % des électeurs se sont rendus au bureau de vote !).

Parce que leurs voix ont été prises en compte, même si le nombre de certaines d’entre elles n’a pas suffi à faire élire les candidats sur lesquelles elles se sont portées.

Parce que la diversification des votes démontre qu’il n’y a pas un modèle unique, une seule route, une opinion standardisée, une société uniformisée, des électeurs marchant tous au même pas.

Parce que si, aujourd’hui, un peu partout, les extrêmes sont de plus en plus plébiscités, ce n’est pas le résultat d’une machination mais le reflet d’un échec cuisant des adversaires de ces extrêmes.

Parce que si ceux-ci ont échoué, c’est après qu’ils ont eu la possibilité, et souvent pendant très très très longtemps, d’avancer leurs propositions, assumer des responsabilités, mesurer l’ampleur des progrès qu’elles engendraient et jauger le degré de satisfaction, d’adhésion, de soutien des citoyens.

Et donc, parce que si l’électeur, quels que soient ses racines, son lieu de résidence, son âge, son sexe ou sa situation socio-économique, les sanctionne, c’est que la raison d’être d’un scrutin universel est sauve.

Pour autant, une partie des verdicts du 26 mai équivaut à sacrer des ennemis de la plupart des valeurs de cette même démocratie. C’est le cas du Vlaams Belang, en Flandre, évidemment, qui vient s’ajouter à la liste de plus en plus longue des succès de formations d’extrême droite dans d’autres pays occidentaux. Moins de raisons de se réjouir, du coup. C’est vrai. Sauf à considérer que c’est sans doute là le meilleur électro-choc imaginable pour renouer, sous forme de priorité et sans plus baisser la garde, jamais, avec un autre devoir incombant à ceux qui président aux destinées démocratiques : mettre en place des conditions de vie collectives et individuelles telles que la proportion des voix en faveur des extrêmes restera toujours contenue. Parce que ce vote-là sera devenu inutile, les peurs ou les colères des uns ayant été entendues, avec réponses adaptées à la clé. Parce que, aussi, les démocrates, médias compris, auront trouvé la riposte adéquate aux techniques utilisées par les dynamiteurs des valeurs démocratiques pour répandre leurs simplismes et leurs poisons.

Face aux votes de ce 26 mai, face à ces électeurs qui ont toujours raison, en ce compris l’électeur flamand, en ce compris celui du Vlaams Belang et celui, côté francophone, du PTB, c’est peu dire que tous les dirigeants des partis démocratiques battus (tous les autres, donc, en Belgique, à part Ecolo-Groen) devraient reconnaître leur échec. Comme gouvernants. Comme journalistes de médias traditionnels aussi. Comme éditorialistes (le soussigné inclus). Comme tous ceux qui ne s’adressent qu’à ceux qui sont d’accord avec eux. Ou dans une langue, au choix ou ensemble, de bois, de coton, de Père Lavertu ou de Ponce Pilate. A chacun d’entre eux, francophones compris donc, de décider s’il convient aussi, dès lors, de passer la main.

Mais s’obstiner à ne pas admettre leur (notre) écrasante responsabilité dans ces choix électoraux extrêmes, c’est leur garantir encore plus d’ampleur aux prochains scrutins. C’est élargir davantage encore la route à tous ceux qui empêcheront les scrutins suivants et imposeront un modèle unique, 100 % anti-démocratique. C »est contraindre tout défenseur de la démocratie qui se respecte à continuer de s’agiter et gesticuler en vain. Comme un insecte. Mais sur le dos.

Merci à Manset pour l’emprunt de cette dernière image (de sa chanson Comme un Lego, 2008)

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