Nicolas De Decker

La démission de Charles Michel à la Chambre: j’y étais et tout est vrai

Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Ca avait été la coalition kamikaze, puis la suédoise, puis la Marrakech, puis presque la gilet jaunes, et puis finalement plus rien : Charles Michel a présenté sa démission au Roi mardi soir, après une journée agitée à la Chambre.

« Il va nous baiser, il va nous baiser, Il va nous baiser ! » Il est 19h45, mardi 18 décembre, et un collaborateur du groupe PS, dans une tribune de Presse de la Chambre plus remplie que d’habitude, vient de comprendre que le Premier ministre allait devancer le dépôt de cette motion de méfiance qui l’aurait obligé à la même démission, mais jeudi. D’ailleurs tous les journaux télévisés de Belgique ont interrompu leur cours joyeux pour montrer Charles Michel, beaucoup plus bas, au premier rang de l’hémicycle, lever le doigt, un peu penaud, pour prendre la parole.

La démission de Charles Michel à la Chambre: j'y étais et tout est vrai
© AFP

Le président de la Chambre qui va donner la parole à Charles Michel, Siegfried Bracke, vient de mettre un terme à une suspension de séance qui aurait dû ne prendre que trente minutes, qui aura duré plus de deux heures, et au cours de laquelle se sera dénouée la crise finale du gouvernement Michel.

Avant ça, Charles Michel avait parlé quarante minutes, jusqu’à 17h45, « c’est anormalement long », il avait dit, presque comme pour une déclaration de politique générale. Et au fond c’en était presque une. Puisque la N-VA ne voulait plus le soutenir de l’extérieur il devait bien se trouver une majorité de rechange. Il ne l’a pas dit, ça, qu’il avait négocié jusqu’à la mort avec la N-VA, jusqu’au moment où, lundi, les nationalistes flamands ont posé des exigences inacceptables pour le Premier ministre. Mais par contre il a bien expliqué qu’il avait parlé trois heures trente avec sept gilets jaunes, dont il faut disait-il comprendre les inquiétudes. Alors Charles Michel a annoncé que le budget 2019 avec toutes ses mesures et son jobs deal il ne le voterait pas, et que la Belgique allait redevenir exemplaire en matière de climat, et adopter toutes sortes de mesures sociales comme la réduction de certaines taxes sur l’énergie ou le gonflement de l’enveloppe bien-être ou une définition très large de la pénibilité, c’était le parlement, donc l’opposition, qui déciderait et Charles Michel s’en remettait à elle, c’est pour ça que tout à coup il s’était mis à la trouver intéressante et responsable.

La démission de Charles Michel à la Chambre: j'y étais et tout est vrai
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Et puis Ahmed Laaouej, le chef de groupe PS, avait demandé une suspension de séance pour voir ce qu’on faisait.

Dans la tribune de presse, tout le monde se demandait plus ou moins ce qui allait se passer, et les porte-parole du Premier ministre, le francophone et le néerlandophone, étaient arrivés pour expliquer aux confrères de la presse écrite que cet appel de Charles Michel était décisif pour l’avenir du pays, que ce que la population attendait c’était de la stabilité et des décisions fortes, que l’opposition devait prendre ses responsabilités, et que des gouvernements minoritaires il y en avait tout un tas en Europe, tu as vu le tableau que je t’ai envoyé ? Il y en a quatorze et même au Danemark et en Lettonie ça marche bien alors pourquoi pas chez nous ? Enfin je dis ça sans te mettre la pression hein, ha, ha ha, comment ça va la vie sinon ? et c’était le moment de se barrer de cette tribune de presse.

Surtout que deux étages plus bas, à la sortie de l’hémicycle, les caméras attendaient les députés qui interrompaient leur séance. Elio Di Rupo, avec dans la main une petite feuille pliée où il était écrit « Het antwoord is teleurstellend » et deux ou trois autres choses en néerlandais s’arrêtait devant toutes les caméras flamandes pour dire que Het antwoord était teleurstellend, que de Premier avait été très, euh, vaaaag, et deux ou trois autres choses en néerlandais, mais quand on lui demandait quelque chose de plus précis c’étaient ses réponses qui étaient de plus en plus teleurstellend et, euh, vaaaag.

La démission de Charles Michel à la Chambre: j'y étais et tout est vrai
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Il laissait quelques heures à de Premier pour venir devant le Parlement avec des textes clairs, mais il ne disait pas si, ces quelques heures, il les comptait dans le délai de 48 heures entre le dépôt et le vote d’une motion de méfiance ou bien s’il attendrait de voir ces textes clairs pour la déposer, sa motion de méfiance. C’était fort vaaaag et il s’en rendait bien compte, Elio Di Rupo, en disant que maintenant il devait aller discuter avec ses collègues.

Chaque groupe politique s’était retiré dans une salle de commission, sauf le CDH qui avait pris le petit salon des Ambassadeurs et Olivier Maingain, qui ne dirige qu’un groupe politique de deux parlementaires, et qui n’a pas dû beaucoup se concerter avec sa camarade Véronique Caprasse. « Moi c’est bon, j’ai délibéré : Charles Michel est tout nu, sans majorité, sans budget, et bientôt sans gouvernement », il disait, en attendant que les autres groupes politiques aient délibéré, eux, à plusieurs.

On ne savait toujours pas si l’opposition allait déposer une motion de méfiance. On savait seulement que Meryame Kitir, la cheffe de groupe des socialistes flamands qui avaient promis, le matin, qu’ils en déposeraient une, avait « besoin de se sentir soutenue ». C’était un député qui passait d’une salle à l’autre, entre écologistes et socialistes, qui nous l’avait dit. Et après il avait dit qu’enfin il était temps que quelqu’un ait le courage de prendre ses couilles en main et d’en finir. Mais on ne savait toujours pas si quelqu’un allait les prendre, ses couilles en main.

Et le chef de groupe MR, David Clarinval, ne le savait pas non plus. Ses parlementaires étaient dans la buvette, à attendre. Lui, il était venu nous voir, dans la salle des journaux, pour nous dire que cet appel de Charles Michel était décisif pour l’avenir du pays, que ce que la population attendait c’était de la stabilité et des décisions fortes, que l’opposition devait prendre ses responsabilités, et on lui a répondu que cette coalition gilet jaunes avait plein d’avenir, et il rigolait mais il rigolait doucement, parce que la présidente les libéraux flamands venait de tweeter que pour elle le jobs deal était prioritaire, et il a rerigolé un peu quand on lui a dit que c’était pas grave, qu’ils pouvaient faire sans l’Open VLD mais avec le PTB à la place, et puis il a encore moins rigolé parce que ce qu’il voulait c’était savoir si l’opposition allait bien la déposer, cette motion de méfiance.

« Nous, on a compris qu’ils attendent les textes, et qu’après ça, en fonction, ils la déposeront ou pas », il a dit, David Clarinval.

« Je crois qu’ils vont plutôt déposer la motion et attendre les textes et après ça, en fonction, ils la voteront ou pas », on a répondu.

« Ah oui mais alors là ça n’ira pas hein ! », a dit David Clarinval.

David Clarinval
David Clarinval© Belga

Et alors est arrivé Benoît Lutgen qui sortait du petit salon des ambassadeurs et qui avait une entaille sur le front, parce qu’il s’était pris une barre dans la tête à la Foire aux Noix, samedi, à Bastogne. « La noix c’est parce que Nuts ! et parce qu’avant les exploitants agricoles célibataires se mettaient une noix à la boutonnière. Je pissais le sang ! », il a raconté et il rigolait, et David Clarinval aussi, surtout quand on a refait le coup de la coalition gilet jaunes, et Benoît Lutgen nous a demandé si on était là parce qu’on sentait le cadavre, puis, nous, on lui a demandé si les socialistes et les écologistes allaient bien la déposer leur motion de méfiance et il a continué à rigoler mais moins, et il a dit « bien sûr, il n’y a pas de raison. Ils vont la déposer et on va attendre les textes de Michel, et après ça, en fonction, on la votera ou pas, hein ». Alors on a fait un clin d’oeil à David Clarinval, qui s’est redressé très vite, et qui a dit « Ah non mais alors pour nous ça n’ira pas, ça n’ira pas, ça n’ira pas », et en fait on n’a même pas entendu le troisième « ça n’ira pas », parce qu’il était parti en courant pour le dire à Charles Michel, qui attendait de savoir là-bas quelque part derrière la buvette.

Dix minutes plus tard, une dépêche Belga annonçait le dépôt d’une motion de méfiance cosignée par les socialistes francophones et flamands et par les écologistes francophones et flamands, et Siegfried Bracke faisait sonner la reprise des travaux.

Il était 19h45 et tout le monde était revenu à sa place, les parlementaires dans leur parlement, Charles Michel et ses ministres sur le banc du gouvernement, les journalistes et les porte-parole dans la tribune de presse. Et en effet, alors, Charles Michel a levé le doigt. « Il va nous baiser, il va nous baiser, il va nous baiser ! », a dit quelqu’un, et juste à côté du collaborateur socialiste qui voit qu’il se fait baiser, il y a un porte-parole du Premier ministre qui filme avec son Iphone et un petit sourire repu.

Et Siegfried Bracke lui donne la parole, à Charles Michel. Il la prend, la parole. Il se lève, il lisse l’avant de son veston avec ses deux mains, Kevin De Bruyne fait la même chose avec son short au moment de tirer un corner. Il a préparé son coup mais il a quand même la voix qui tremble un peu. Tous les parlementaires du CD&V sont déjà en train de le filmer avec leur smartphone, on a beau dire mais ça reste les mieux informés du pays. « J’ai constaté que mon appel n’a pas convaincu. J’ai compris qu’il n’a pas été entendu. Je dois donc le respecter et prendre note de cette situation. Je prends la décision de présenter ma démission et mon intention est de me rendre chez le Roi immédiatement », il dit, Charles Michel. Sur les bancs de sa majorité, on applaudit, debout mais mollement, soit parce qu’on filme encore, soit parce qu’on est triste, soit parce qu’on est content que ça se finisse, soit parce que cette idée de coalition gilets jaunes on la trouvait salement foireuse. Il y a même un député N-VA qui reste assis mais qui applaudit, une espèce de réflexe. Puis Charles Michel prend sa mallette de cuir mou, fait la bise à Maggie De Block et il s’en va penaud, les épaules voûtées comme un personnage de Houellebecq. L’opposition n’aura même pas eu le temps de déposer sa motion de méfiance. Charles Michel, avec sa mallette molle et ses épaules voûtées, les aura malgré tout encore un peu baisés. Mais son gouvernement est mort.

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