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La Défense belge tire la sonnette d’alarme: « On a dépassé la limite de l’acceptable »

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

En 2016, l’UE définissait une nouvelle Stratégie globale et la Défense publiait une nouvelle vision stratégique. Mais est-ce que la Belgique remplit ses obligations au niveau européen ? Pas tout à fait, pour la Défense belge, qui se montre alarmiste et pointe divers manquements. « On a dépassé la limite de l’acceptable », fustige-t-elle. En quelques questions-réponses, on tente de faire le point sur les réclamations de l’armée belge.

Est-ce que la Belgique est assez bonne élève dans la Défense européenne?

Oui et non. Du point de vue Défense, la Belgique est bonne élève à deux niveaux. En ce qui concerne l’engagement opérationnel, (c’est-à-dire quand l’UE lance des opérations via ses Etats membres), « la Défense fait sa partie du travail », nous dit-on.

Si on regarde l’ensemble des opérations européennes en cours, la Belgique est en effet intervenue dans la proportion attendue par l’UE, et parfois même au-delà. A chaque fois, « la qualité suivait la quantité », assure-t-on du côté de la Défense. Dans tout le travail de la construction européenne, où la Belgique a son rôle à jouer, le pays met « toute l’énergie nécessaire », selon nos sources. Aussi, la Belgique est clairement un bon élève de la classe dans l’optique de réflexion conceptuelle et pratique. Elle tire même le devant du peloton. Dans la volonté de construire quelque chose d’européen, « la Belgique fait sa part du boulot », donc.

Où ça bloque, alors ?

C’est dans les efforts individuels que chaque Etat fait dans le domaine de la Défense que ça coince, nous explique-t-on dans un entretien. Force est de constater que « la Belgique investit moins dans les domaines de Défense que nos voisins. C’est un fait indiscutable », nous assure-t-on. En une phrase, du point de vue de la Défense, l’Etat belge doit prendre ses responsabilités et mieux prendre en compte ce que l’UE attend de la Belgique. « Si tout le monde fait sa part, la Belgique, elle, pas assez ». Si on vulgarise encore, la Défense de l’Europe pourrait être comparée à une équipe de football amateur. Chacun doit amener son matériel et contribuer à la vie du club. Dans cette analogie, la Belgique serait en quelque sorte un club avec un gros potentiel, mais qui ne l’exploite pas assez.

0,9% du PIB, est-ce assez?

Concrètement, qu’est-ce que la Défense belge réclame ? Pour faire court : plus d’investissements du gouvernement fédéral dans l’armée. Actuellement, l’Etat consacre 0,9% de son PIB dans la Défense. Un chiffre bien trop faible, selon cette dernière.

Le 0,9%, c’est ce qu’on appelle « l’effort de défense ». C’est par exemple ce qui est utilisé dans le cadre de l’OTAN pour comparer l’effort de tous les Etats membres dans le domaine. Le 0,9%, est donc le budget de la Défense. Mais certains aspects méritent précision.

Dans ce fameux 0,9%, on trouve également la charge de pensions (à peu près 2 milliards, c’est-à-dire les pensions de tout l’ancien personnel de la Défense). Si on enlève ce budget pensions, on arrive à 0,56% du PIB, qui est en réalité le « vrai » budget octroyé à la Défense.

La Belgique avant-dernière de la classe ?

« Quand on compare ce chiffre de 0,9 avec les autres pays européens, la Belgique est l’avant dernière de la classe. Le seul pays derrière la Belgique est le Luxembourg. Pourquoi? Tout simplement car le Luxembourg est un pays extrêmement riche, avec un PIB extrêmement élevé et une population faible. Donc, pour nos voisins luxembourgeois, dépenser autant avec si peu de militaires, ça en deviendrait ridicule », apprend-on.

Est-ce qu’il faut investir plus que les 0,9? Vous l’aurez compris, pour la Défense, c’est trois fois « Oui ». Par contre, nos sources apportent une nuance. Il ne faudrait pas non plus aller vers ce fétichisme des 2% du PIB (le fameux chiffre de référence demandé dans le cadre de l’OTAN). « Car donner 2% à la Défense, ça serait clairement jeter de l’argent du contribuable par la fenêtre », nous avoue-t-on. « Tout simplement car on ne saurait pas utiliser ces moyens de façon efficiente. »

A ce sujet, le chef de la Défense a déjà fait plusieurs sorties médiatiques en disant qu’il faudrait à l’armée belge à peu près 1,25% du PIB en 2024. Ce dernier affirme que si la Défense reçoit ce montant, la Belgique aurait un appareil militaire fonctionnel et efficient. Il va plus loin en disant que si la Défense ne reçoit pas ces 1,25%, l’appareil militaire ne pourrait plus fonctionner de manière efficace. A ce moment-là, les attentes que le citoyen belge met dans la Défense ne seront pas atteintes, et par extension, les attentes que mettent les partenaires de la Belgique dans notre pays ne le seront pas non plus, selon nos sources.

Un message à faire passer aux politiques? « L’argent du contribuable belge est mis en jeu »

Que réclame alors la Défense au monde politique ? Actuellement, c’est davantage le message de la construction européenne qui prévaut, plus que le message belge. Ce que l’armée veut absolument faire comprendre aux politiques (et aux citoyens), c’est qu’il y a de l’argent du contribuable belge qui sera mis à la disposition de l’ensemble des pays européens pour leur industrie, pour la construction de la Défense et le développement industriel dans le domaine de la Défense. Et que l’Etat Belge a un rôle à jouer pour faire en sorte que son industrie puisse bénéficier de ces moyens.

Mais quel rôle ? Pour l’armée, c’est faire en sorte que l’industrie soit éligible, en respectant certaines mesures européennes. Autrement dit, c’est l’Etat belge qui doit aller communiquer à la Commission. Le but final de l’armée dans tout ça ? Récupérer la part du gâteau investie dans cette manne européenne mise à disposition. Par extension, par après, il y aurait donc un retour vers la Défense. « Puisque c’est l’industrie belge qui va utiliser des systèmes qui seront utilisés demain. En résumé : dépenser davantage sur le long terme, pour obtenir un retour sur investissement. C’est comme pour l’isolation d’une maison ».

Que recherche-t-on avec une Europe de la Défense ?

Le but final, au niveau européen, est d’arriver à une autonomie stratégique, notamment vis-à-vis des USA. Et donc d’avoir un tissu industriel européen assez fort pour amener une autonomie stratégique européenne. Mais pas n’importe comment. Pour y arriver, l’Europe met à disposition de tous les Etats membres un « Défense package », qui a pour but d’augmenter la coopération entre Etats. Le but ultime : arriver à prendre des décisions et à réaliser des actions indépendantes au niveau européen. Avec l’aide de différents organismes mis en place tels que CARD, PESCO, CDP ou EDF. Vu comme ça, on vous le concède, c’est très technique et pour le moins indigeste.

Mais on pourrait résumer l’utilité de ces organismes comme suit : ils servent à tirer les leçons des militaires sur le terrain, améliorer les technologies du futur pour arriver à plus d’intégration, amener une cartographie des besoins, des priorités, et une aide à la décision pour investir de façon intelligente, mettre en oeuvre une « global strategy » pour, in fine, tenter de matérialiser l’Europe de la Défense.

Quelles sont les nouvelles initiatives européennes en matière de Défense?

Pour bien comprendre, il faut surtout noter un changement majeur par rapport à la politique européenne menée ultérieurement. Avant, tous les sujets européens qui traitaient de la Défense relevaient de l’inter gouvernemental.

Qu’est-ce que cela signifie-t-il ? Simplement, que toutes les décisions européennes importantes étaient prises au Conseil européen, et devaient donc passer par l’accord de l’ensemble des Etats membres, dans une logique de consensus. Autrement dit, tous les Etats avaient un droit de veto dans la Défense européenne.

Qu’est-ce qui a changé aujourd’hui ? Principalement, c’est le rôle (clé) de la Commission qui a évolué. Les Etats membres délèguent une partie de leurs responsabilités militaires au niveau européen. Et pour déléguer cette responsabilité, il faut aussi la financer. Concrètement, le budget européen de Défense est désormais géré par la Commission.

Aujourd’hui, et dans l’avenir, la Commission va mettre du budget à disposition de la construction européenne. Là est la différence essentielle.

Pour le développement capacitaire, des moyens seront mis à disposition (dans le domaine de la recherche, par exemple.). Pour ce qui touche à l’engagement opérationnel, on reste par contre toujours dans cette logique inter gouvernementale. Dans ce dernier domaine, ce sont donc toujours les Etats qui doivent donner leur feu vert. En résumé, du point de vue de la Défense belge, « la Commission commence à prendre ses responsabilités ».

Pourquoi cette initiative arrive-t-elle maintenant?

Simplement car le contexte géopolitique commence à changer. Le rêve européen, -qui était de se dire « on se concentre sur nos affaires internes, sur notre sécurité interne, et quand ça va mal, les Américains viendront nous aider »-, ne peut plus être imaginé.

Pourquoi ? Car aujourd’hui, les USA mettent beaucoup plus l’accent sur le problème chinois et, si on vulgarise, disent aux Européens « Soyez un peu responsables de votre voisinage ».

« C’est donc pour cette raison que maintenant, on commence à parler Défense au niveau européen », nous explique-t-on du côté de la Défense belge. Avant, personne n’avait vraiment connaissance d’une Défense européenne, à part dans quelques milieux spécialisés, où l’on en rêvait.

Quel est le rôle de l’OTAN dans tout cela? N’y-a-t-il pas une sorte de doublon ?

L’avantage de l’OTAN, du point de vue de la Défense belge, c’est qu’il reste un outil politique comme un autre mais qui a eu une construction militaire extrêmement forte et poussée au fil des années, tout simplement parce qu’il y avait une menace russe bien présente. Et la plupart des Etats membre de l’OTAN ont d’ailleurs utilisé cette dernière comme un outil pour eux-mêmes se développer « capacitairement », c’est-à-dire à progresser dans l’utilisation de leurs outils militaires. Alors qu’avec l’UE, on était plutôt dans une optique « chacun a son outil, et maintenant on va mettre les outils ensemble ».

Aujourd’hui, on passe dans une autre logique. Ce que l’UE veut faire avec ces nouveaux moyens budgétaires mis à disposition, c’est motiver les Etats membres. Autrement dit, plutôt que de simplement mettre les outils des différents Etats membres ensemble, l’UE veut construire ces outils ensemble. C’est en fait ce que l’OTAN a forcé dans certains domaines.

Il suffit de faire un tour de l’ensemble des nations « otaniennes ». Beaucoup de leur matériel, pour ne pas dire une majeure partie, est du matériel américain. A l’OTAN, certains pays membres ont clairement construit leur capacité ensemble.

L’Europe veut essayer de faire la même chose. « Les USA n’ont rien contre l’autonomie européenne, tant qu’on achète de l’américain. C’est un peu trop simpliste, pas du tout la réalité, mais à vrai dire dans le cadre OTAN, on est pratiquement dans cette logique-là. »

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