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La crise du coronavirus, un électrochoc pour la Belgique?

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Rudy Aernoudt, ancien enfant terrible de la politique belge, désormais chief economist à la Commission européenne, publie un livre prônant une thérapie de choc pour soigner le pays après la crise du coronavirus. Une approche très libérale.

Cela fait un petit temps que l’on avait perdu la trace de Rudy Aernoudt. Souvenez-vous… Cet économiste flamand fut chef de cabinet du ministre libéral wallon Serge Kubla de 2001 à 2003 avant de rejoindre la libérale flamande Fientje Moerman. Son cheval de bataille ? Mettre en oeuvre une stratégie pour redresser véritablement le Sud et simplifier l’architecture institutionnelle du pays. Il s’est égaré un temps aux côtés de Mischaël Modrikamen en créant l’ancêtre du Parti populaire, avant de rebondir sur les bancs académiques et, désormaus, comme chief economist à la Commission européenne. C’est en tant que tel qu’il publie un livre, qui sera diffusé en français par les éditions Mardaga (sortie le 20 août). Son titre : « Coronavirus : électrochoc pour la Belgique ? ».

Une thérapie de choc

« La crise du coronavirus suscite en moi des sentiments ambivalents, souligne-t-il. Je déplore bien entendu les malades et les morts : chaque victime est une victime de trop. Mais comme tant d’autres, je prêche depuis des années dans le désert pour que les choses changent dans ce pays. La Belgique compte 11 millions d’habitants, 7 gouvernements et 55 ministres. Elle figure en bonne place au classement des États les plus endettés du monde, alors même que ses citoyens sont surtaxés et que la qualité de ses services publics, à l’exception de la santé et de l’enseignement, est médiocre. »

Fidèle à sa ligne depuis toujours, l’économiste estime qu’une thérapie de choc s’impose. Une contribution qui entend porter à réfléchir au moment où les négociations pour la formation d’un gouvernement fédéral majoritaire, susceptible de préparer une réforme en profondeur du pays.

La préface et la postface sont due à deux ministres d’Etat, Mark Eyskens (CD&V) et Herman De Croo (Open VLD). « Rudy Aernoudt a écrit un livre remarquable, écrit le premier. Pleine de bon sens, son analyse s’accompagne de propositions d’avenir sans équivoque. (…) Prenant le contre-pied du pessimisme culturel, se montrant même par moments volontariste, Rudy Aernoudt espère que le virus provoquera dans notre société, masse inerte paralysée par les excès du consumérisme, l’électrochoc dont elle a tant besoin. »

« L’État a connu six réformes depuis 1970, rappelle encore l’ancien Premier ministre, et nous comptons aujourd’hui neuf ministres fédéraux et régionaux compétents en matière de santé publique. Peut-on vraiment parler de succès ? Sans compter les quatre ministres que nous avons dû mobiliser pour la gestion des masques de protection. Mais ce ne sont finalement que des détails : bien plus fondamentale est l’absence d’une véritable procédure d’arbitrage, capable de trancher les conflits d’intérêts entre États fédérés, et également entre un État fédéré et l’État fédéral. »

Simplifier l’Etat et limiter son envergure quand on le peut, pour lui permettre d’être fort quand on en a besoin. Voilà plantée la toile de fond de la réflexion de l’économiste. « Aucun économiste, pas même le plus ultra des ultralibéraux, n’a contesté l’intervention de l’État au moment de la crise, précise Rudy Aernoudt. Le problème est que celui-ci a dû assumer cette mission lors qu’il croulait déjà sous les dettes. La question n’est donc pas de savoir si l’intervention de l’État était judicieuse pendant la crise, mais plutôt si elle n’est pas excessive lorsque nous ne sommes pas en crise. »

L’auteur insiste : la crise du coronavirus n’est pas le « cygne noir » décrit par certains, c’est-à-dire un événement totalement imprévisible. Une telle pandémie n’est pas une première dans l’histoire et s’inscrit dans la liste de ces occurrences que l’homme doit prévenir. Traduction : l’anticipation doit être la règle, dans une politique marquée par une vision à long terme. Encore faut-il savoir laquelle.

Les ingrédients de la réussite

Le fonctionnaire européen souligne l’importance de plusieurs ingrédients pour la réussite. Le premier, c’est l’intérêt général. Il s’agit de rendre à nouveau la démocratie convaincante pour le citoyen en luttant contre la particratie à outrance, le gonflement des cabinets ministériels, la politisation de l’administration ou la dérive vers un « despotisme doux » que l’on a tendance à connaître. Ce n’est pas par hasard qu’il cite le Guy Verhofstadt ultra-libéral de l’époque du Manifeste citoyen, dans les années 1990: ‘Plus une société est politisée, moins elle est efficace’.

Deuxièmement, il faut an-ti-ci-per donc et mener des politiques anticycliques. Autrement dit, quand l’économie tourne et que les citoyens consomment, les autorités devraient économiser pour intervenir plus fortement lors des crises. « L’ingérence directe de l’État sur le marché de l’emploi n’est légitime que si elle est limitée dans le temps, écrit Aernoudt. Le fait qu’elle pèse sur les finances publiques n’est pas un problème. Le problème survient lorsque l’État intervient alors que ce n’est pas nécessaire (en période de haute conjoncture) ou de façon permanente alors que le problème est provisoire. »

Cela doit être couplé à une « non-étatisation de l’économie », c’est-à-dire une place plus grande laissée à l’initiative privée – un crédo bien libéral. Tenant compte des fonctionnaires, des pensionnés, des allocateurs sociaux, des chômeurs et des chômeurs techniques durant la crise, le poids de l’Etat est trop important à ses yeux: « On peut dire que sur une population (hors jeunes) de 7,6 millions de personnes, 5,6 millions, soit deux Belges sur trois, sont payés par l’État, écrit-il. Autrement dit, chaque personne active dans le secteur privé travaille pour financer deux autres ‘salariés’ de l’État belge, à l’exclusion des jeunes. Or, à ma connaissance, l’Europe ne nourrit pas l’ambition de devenir un continent communiste. »

Une vision politiqueglobale et très libérale

L’économiste ne renie pas son passé politique en développant une « vision politique globale » en dix temps.

Il prône ainsi « les vertus de la simplicité » pour les structures de l’Etat. « Je propose de refédéraliser un maximum de compétences », écrit Rudy Aernoudt. Qui ajoute: « Transférons les compétences communautaires aux Régions. (…) En bref, trois niveaux de compétences suffisent à notre pays : fédéral, régional et communal. »

Il soutient une sérieuse cure d’amaigrissement et une revalorisation financière des fonctionnaires pour soutenir la méritocratie. Et mettrait l’Etat au régime de façon globale avec des dépenses publiques à 42% du PIB. Il veillerait encore au remboursement de la dette: « Je ne suis pas favorable à l’introduction d’une taxe ‘corona » unique ; les citoyens paient déjà assez. Mais il existe des solutions alternatives. Nous avons fait valoir qu’un État solide devrait se limiter à ses missions essentielles. »

L’économiste libéral plaide encore pour une imposition à taux unique ou la recherche de l’excellence dans l’enseignement, mais aussi en faveur d’un investissement dans la lutte contre la pauvreté et d’une revalorisation de la pension minimale (couplée, toutefois, à une dépréciation des retraites les plus élevées et une place plus grande pour les pensions complémentaires… pour ceux qui en ont les moyens).

Un électrochoc? Les crises sont des opportunités, conclut Aernoudt. Le mot crise, du grec κρινομαι (krinomai), signifie se marquer, se distinguer, voir les opportunités et prendre des décisions. Le concept n’a aucune connotation négative. J’espère que la crise nous permettra de repartir en quête de l’essentiel et de lâcher du lest. »

Une utopie, comme il la nomme, à contre-courant : les recettes de Rudy Aernoudt illustrent un ultra-libéralisme… qui n’est guère dans l’air du temps.

Coronavirus, électrochoc pour la Belgique ?, Rudy Aernoudt, traduit du néerlandais par Guillaume Deneufbourg, éditions Mardaga, 266 p, 19,90 euros.

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