© Thinkstock

La cannibalisation galopante des maisons de repos

Le Vif

Depuis une dizaine d’années, le secteur des maisons de repos change de visage. Les grands groupes rachètent les petites structures à tour de bras. Ce qui ne serait pas sans influence sur les tarifs et les conditions de travail. Mais le public, financièrement exsangue, ne peut se passer de ces acteurs privés…

Il venait d’acheter une baignoire à porte. Investissement : 15 000 euros. Le prix à payer pour se conformer aux règles. « Je vais pouvoir la mettre au placard ! Car depuis le 1er janvier dernier, il faut posséder des baignoires à hauteur variable », soupire Geoffroy Matagne. Encore plusieurs milliers d’euros à débourser.

Au fil des ans, ce gestionnaire de deux maisons de repos ne compte plus les nouvelles normes imposées par les pouvoirs publics. Sa comptabilité s’en souvient pour lui. La superficie minimale des chambres individuelles est passée de 12 à 15 m², toutes doivent désormais comporter des sanitaires individuels adaptés aux personnes à mobilité réduite, la taille des espaces communs a été revue à la hausse, les portes coupe-feu ont été rendues obligatoires, le nombre de résidents par infirmière de nuit a été diminué de 75 à 60… « J’ai 68 personnes âgées, il m’en faut donc deux maintenant. Quelqu’un doit bien payer ce salaire supplémentaire ! »

En douze ans d’activité, Geoffroy Matagne a vu tous ses collègues jeter l’éponge. À l’heure actuelle, il est le seul patron indépendant toujours en activité à Braine-l’Alleud. « Quand on est fatigué, on revend… »

Ses confrères n’ont cependant pas remis leur affaire à n’importe qui. Les groupes qui frappaient à leurs portes brandissaient des arguments financiers souvent (plus que) convaincants. Conséquence : les « petits indépendants », encore majoritaires dans le paysage il y a dix ans, ne dirigent plus qu’environ la moitié des maisons de retraite privées. Des institutions belges se sont d’abord rassemblées entre elles, dans l’espoir d’atteindre une taille suffisante pour appréhender l’avenir. Nos homes ont ensuite commencé à intéresser des colosses étrangers, surtout français, parfois cotés en Bourse.

C’est ainsi qu’ont émergé les noms d’Armonea (né de la fusion de deux entreprises familiales flamandes en 2008 et qui exploite 76 implantations), d’Orpea (firme hexagonale devenue internationale, qui gère 48 sites belges), de Senior Assist (société belge aux 35 maisons, qui s’est étendue au Pérou, au Brésil, au Chili, en Turquie et aux Pays-Bas) et de Senior Living Group (41 adresses).

Les « big 4 ». Talonnés par quelques outsiders (moins d’une vingtaine de points d’ancrage) aux dents longues : Soprimat, Vivalto, Noble Age, Animacare, Vulpia, Royal Assist… « Nous avons identifié 86 groupes en Belgique, des plus petits (3-4 sites) aux plus grands (40, 50 voire plus) », note Vincent Frédéric, secrétaire général de Femarbel, la fédération du secteur.

Bruxelles et la Wallonie ont dans un premier temps attisé leur appétit. C’est là que les petites infrastructures, les plus susceptibles d’être vendues, étaient majoritaires. La Flandre, elle, historiquement dominée par le mouvement associatif chrétien, était davantage épargnée. Tant et si bien que le privé à but lucratif administre actuellement 62,5 % des lits dans la capitale, 47,5 % dans le sud du pays (où un seuil de 50 % maximum a été fixé, la moitié restante se répartissant entre l’associatif et le public, via les CPAS) et seulement 15,1 % dans le nord. Cela devrait changer : la plupart des géants lorgne désormais du côté flamand.

Mélanie Gelkeens

Le dossier dans Le Vif/L’Express de cette semaine. Avec :

  • Un vent de professionnalisation
  • La volonté politique
  • Les budgets requis
  • Les conditions de travail du personnel
  • Le traitement des personnes âgées
  • Le nombre de plaintes adressées à l’égard des maisons de repos
  • Le feu aux prix

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire